LE SUMMUM DE L’EXPLOITATION HUMAINE
Elles sont indispensables dans la marche de nos familles. Difficile à Dakar de trouver une famille aisée sans femme de ménage. Communément appelées bonnes ou domestiques, elles font le boulot de toute une maison
Elles sont indispensables dans la marche de nos familles. Difficile à Dakar de trouver une famille aisée sans femme de ménage. Communément appelées bonnes ou domestiques, elles font le boulot de toute une maison. A la fin, elles ne récoltent que des miettes et beaucoup d’ingratitude de la part de leurs employeurs.
Trouvées dans une grande chambre au quartier Dalifort, elles ne sont pas moins d’une dizaine à se la partager. Toutes issues du même village dans la région de Thiès, elles ont coordonné leur jour de repos pour se retrouver ensemble le temps d’un week-end. Cela se fait tous les quinze jours. Ce sont les seuls moments du mois où elles sont maîtresses de leur temps. La plus âgée, Fatou Ndiaye, est allongée sur un des trois matelas qui composent la chambre.
Les yeux fixés sur le téléphone, elle a l’air fatigué. C’est à l’âge de 17 ans qu’elle est venue à Dakar. Aujourd’hui âgée de 26 ans, elle dit en avoir vu de toutes les couleurs. «J’ai failli tout abandonner et retourner au village. Au début, on m’avait dit que ce n’était pas trop pénible. Je ne m’occuperais que des tâches classiques. Nettoyer, préparer les repas et faire la vaisselle. Mais ma patronne était presque inhumaine. Je me réveillais à 6 heures du matin pour préparer les enfants. Je ne m’arrêtais plus jusqu’à 23 heures. Parfois même, elle me réveillait pour que je lui nettoie les chaussures qu’elle doit porter le lendemain», se souvient-elle. Le plus dur, c’est que Fatou ne percevait que 35 000 francs Cfa par mois. «Au début, j’étais impressionnée. C’était la première fois que je touchais un tel montant», dit-elle avec ironie. Si à un moment elle a pensé tout abandonner, Fatou a été convaincue par une de ses cousines qui lui a trouvé un autre point de chute. «Là aussi, c’était presque pareil, mais on me traitait avec beaucoup plus d’égards», se souvient-elle. Depuis, elle n’a plus jamais quitté cette maison. Alima est sa cousine. Aujourd’hui elle travaille comme ménagère dans un restaurant au centre-ville. Un travail qu’elle a choisi par défaut. « Je suis venue du village pour être femme de ménage. Mais je n’ai pas fait plus de quatre mois. On me payait 40 000 francs cfa. Mais je perdais ma dignité à la limite. On ne me parlait presque pas. Je n’étais jamais avec les gens. Quand on me parlait, c’était pour me donner un ordre. Même les enfants ne me considéraient pas. C’était comme une boule à la gorge», dit-elle dans un bégaiement.
16 HEURES DE TRAVAIL PAR JOUR
Même si elle a tenté de tenir le coup au début, au bout de deux mois, elle en avait marre. «J’en ai parlé à celle qui m’avait amenée là-bas. Je n’en pouvais plus. J’ai décidé de rentrer au village», se souvient-elle. Alors qu’elle avait fini de prendre sa décision, ses sœurs la convainquent finalement. « Après, j’ai été recrutée chez une femme qui avait à peu près mon âge, soit 35 ans. Si au début elle me traitait bien, elle a complètement changé par rapport aux tâches que je devais faire. Je faisais le tour de la maison que je nettoyais de fond en comble, avant de préparer le repas, faire la vaisselle, préparer le dîner, préparer son petit-déjeuner du lendemain, et faire le linge tous les dimanches. Alors qu’il était convenu que je ne ferais que les repas et nettoyer la maison. J’ai tenu deux mois pour un salaire de 40 000 francs. Je n’en pouvais plus.» C’est comme ça qu’elle a démissionné. «Je travaillais de 7h à 23 heures presque tous les jours. Je ne dormais pratiquement pas. C’était à la limite inhumain», se plaint-elle. Si elle a pris le soin de négocier un week-end de repos tous les 15 jours, Nogaye dit n’en bénéficier qu’au gré de sa patronne. «Au début, elle faisait tout pour me donner une tâche rude le samedi, de sorte que je finissais très tard avant de prendre mon week-end. Mais quelle que soit l’heure, je partais. A la fin, c’est à la limite si elle ne m’ordonnait pas de surseoir à mes weekends parce qu’elle avait un rendez-vous ou une cérémonie, alors que c’était dans mes droits», regrette-t-elle. Pour un salaire de 45 000 francs, dit-elle, il fallait attendre le 10 du mois pour être payée. «C’était de l’exploitation», clame-t-elle. Pire, quand elle a commencé à lui opposer un refus, la patronne a tout bonnement décidé de la remercier. «De manière froide, elle m’a demandé d’arrêter alors qu’elle ne m’avait pas encore payée. Elle m’a dit qu’elle m’appellerait pour mon argent. Il s’en est suivi une dispute. Il a fallu l’intervention de son mari pour que je rentre dans mes fonds», se rappelle-t-elle.
F. T : « IL M’EST ARRIVÉ DE DORMIR DANS LA CUISINE»
Très battante et bien préparée aux affres de ce métier, F. T, originaire de Safène, pensait pouvoir supporter. Si au début tout se passait bien entre elle et sa patronne, les problèmes ont commencé à se poser quand le traitement qui lui était infligé se dégradait au fur à mesure. «Au début, on me faisait croire que j’étais comme chez moi, qu’il n’y aurait pas de différence entre moi et les enfants de la famille. On regardait la télévision ensemble dans la cour. Je commençais même à avoir certaines affinités avec les enfants», se souvient-elle. La nuit, dit-elle, je dormais dans une chambre avec la nièce de ma patronne. Mais tout a basculé quand une de ses sœurs leur a rendu visite. «C’est elle qui a commencé à me différencier des autres. Par exemple, quand elle faisait du lait ou des jus de fruits, elle servait les autres dans des verres, moi dans un pot en plastique. Et ma patronne l’a suivie», se souvient-elle.
A son arrivée, poursuit-elle, le mari de ma patronne était en voyage. «Elle dormait avec ma patronne, mais quand son mari est rentré, la dame a décidé d’occuper la chambre dans laquelle je dormais. Elle m’a demandé de choisir entre le couloir et la cuisine. Même si cette dernière était spacieuse, je n’imaginais pas qu’on pouvait y faire passer une nuit à un être humain. Mais comme il y avait beaucoup de chats dans la maison, j’ai préféré dormir dans la cuisine. Cela a duré plus d’une semaine», se rappelle-t-elle, amère. Il a fallu que le chef de famille découvre cela pour que tout revienne à la normale. «Mais ma patronne n’a jamais supporté cela. Elle était persuadée que j’avais tout manigancé pour que son mari soit au courant. Elle m’a mené la vie dure. J’ai fini par démissionner », dit-elle.
VOL, COURTISANERIE… DES ACCUSATIONS PARFOIS GRATUITES
Selon Fallou Guèye qui place des femmes de ménage dans des maisons, beaucoup de ses collaboratrices sont très souvent accusées de vol, de courtisanerie par des patronnes véreuses. Mais d’après lui, c’est une façon de se débarrasser d’elles. « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Un jour, une de mes clientes a été accusée d’avoir volé les bijoux de sa patronne. Le comble, c’est le jour où elle devait lui donner son salaire après l’avoir renvoyée qu’elle a sorti cette histoire. Si son mari n’était pas tombé sur l’affaire, la femme de ménage aurait même pu atterrir à la Police. Des cas comme ça, on en vit presque chaque semaine. En plus de payer des miettes, ces patronnes surexploitent les femmes de ménage», dénonce Fallou. Taille élancée, teint d’une noirceur brillante, Saly Soumaré ne laisse personne indifférent. Femme de ménage de son état, elle peine à durer quelque part. La faute à la jalousie chronique de ses patronnes. «J’en souffre beaucoup. J’ai fait tous les efforts du monde. J’ai même décidé de ne plus porter certains habits pour ne pas attirer les regards, mais rien », dit-elle désolée. La dernière scène l’a poussée à suspendre ses activités. «Alors que je m’apprêtais à prendre mon week-end, le mari de ma patronne me demande de lui donner à boire. Je le sers et attends qu’il finisse de boire. Son épouse tombe sur la scène et pète un câble. Elle amplifie les choses allant jusqu’à m’accuser d’avoir embrassé son mari. Cette histoire a même eu des répercussions au village. Comme j’étais fiancée, les gens en ont fait une histoire de famille. Depuis lors, je ne suis pas retournée travailler. Il y a de cela deux ans», se souvient-elle.
OULIMATA FAYE, INSPECTEUR DU TRAVAIL «LES FEMMES DE MÉNAGE PEUVENT POURSUIVRE LEURS EMPLOYEURS, MÊME SANS CONTRAT ÉCRIT»
A défaut d’une médiation, les femmes de ménage finissent toujours par perdre leur bras de fer contre leurs employeurs. Pourtant, selon l’inspecteur du travail Oulimata Faye, elles peuvent bel et bien poursuivre leurs patronnes si elles estiment avoir été lésées. Selon elle, même s’il n’y a pas de contrat écrit, on considère que l’employeur et l’employé sont liés par un contrat verbal. « Si la durée de travail n’est pas mentionnée au moment de l’embauche, la loi considère que l’employée travaille dans le cadre d’un CDI ou Cdd. Même si elle est renvoyée, elle peut porter plainte pour licenciement abusif. En effet, dit-il, la section gens de maison au tribunal du travail concerne ce type de litige. «Mais comme elles ignorent leurs droits, parce que pour la majorité non instruites, elles sont très souvent victimes.»