LÉGALISATION DE L'AVORTEMENT MÉDICALISÉ, UNE PILULE QUI PASSE MAL
Plusieurs organisations de la société civile s’activent pour que l’avortement soit autorisé au Sénégal en cas de viol, d’inceste ou d’atteinte à la vie de la mère. Une initiative contre laquelle d'aucuns s'érigent en boucliers
La légalisation de l’avortement médicalisé continue de susciter des controverses au Sénégal où le débat a été posé depuis les années 70. Les religieux et une partie des Sénégalais soutiennent que l’interruption thérapeutique de la grossesse est contraire à nos réalités socioculturelles. Alors que pour la taskforce qui rappelle le Protocole de Maputo signé par notre pays, il y a mille et une raisons de légaliser l’avortement médicalisé au Sénégal.
Une vieille controverse
La controverse sur l’avortement médicalisé ne laisse pas insensibles les populations. Catégoriques, certains estiment qu’il doit être interdit sous toutes ses formes. D’autres pensent qu’il doit être autorisé dans des cas bien précis.
Le débat sur l’avortement médicalisé refait rage au Sénégal. Plusieurs organisations de la société civile, notamment celles défendant les femmes, s’activent pour que l’avortement soit autorisé au Sénégal en cas de viol, d’inceste ou d’atteinte à la vie de la mère. Face à ces associations, d’autres organisations comme le Comité de défense des valeurs morales, le Syndicat des travailleurs de la santé, l’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal… s’érigent en bouclier afin qu’une loi légalisant l’avortement médicalisé ne soit jamais appliquée au Sénégal. On retrouve chez la population les mêmes confrontations d’idées notées sur les plateaux de télé, les radios, les réseaux sociaux. À Keur Massar, la question intéresse au plus haut point les habitants qui suivent l’actualité. Au quartier Serigne Mansour, Babacar Diop, la soixantaine mais toujours très actif, s’oppose totalement à l’avortement. « On est à la fin des temps. Il est plus difficile d’être dans la vérité que de tenir des braises entre ses mains. On ne peut pas cautionner l’avortement médicalisé dans un pays religieux comme le Sénégal. C’est même impensable. Je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui veulent légaliser l’avortement au Sénégal », lâche-t-il d’emblée. Si une loi autorisant l’avortement médicalisé était appliquée, ce serait la porte ouverte à toute sorte de dérive, estime M. Diop. Dans ce cas, « une fille peut aller faire tout ce qu’elle veut. En cas de grossesse, elle peut accuser faussement quelqu’un de l’avoir violée pour avoir le droit d’avorter. Un innocent peut même être accusé de viol et cela mènerait vers d’autres problèmes. Si jamais l’avortement médicalisé était autorisé, ce serait une porte ouverte pour ceux qui envisagent de dépénaliser l’homosexualité », assène-t-il. D’après lui, l’avortement médicalisé ne doit être autorisé qu’en cas de force majeure. « Cet avortement ne doit être autorisé que si la santé et la vie de la mère sont en danger. Ce sont des forces venues de l’extérieur qui veulent nous imposer des lois qui ne sont pas en accord avec nos réalités sociales et culturelles », ajoute Babacar Diop.
Barka Niang convoque aussi la religion pour rejeter toute légalisation. « Il faut seulement appliquer ce que Dieu nous a ordonné de faire. On peut tout changer sur cette terre sauf les lois de Dieu », dit-il. Il encourage le retour aux enseignements religieux pour éviter les mauvaises influences « venues de l’extérieur ». « Je suis foncièrement contre l’avortement médicalisé. C’est mauvais. Si c’est autorisé au Sénégal, on se rendra très vite compte des conséquences néfastes que cela provoquerait », avertit-il.
Même son de cloche auprès d’Amadou Diop. « Nous sommes dans un pays de croyants. Nous ne pouvons donc pas être d’accord avec l’avortement. Il n’est pas normal pour une femme de traîner dans les rues jusqu’à contracter une grossesse et décider de mettre un terme à celle-ci en avortant. Musulmans et Chrétiens ne sont pas d’accord. Si les catastrophes ont augmenté dans ce pays, c’est aussi à cause de la dégradation des mœurs », soutient-il. Aliou Lô fustige également les influences extérieures et crie à l’infamie. « Ce sont des pays occidentaux qui veulent nous l’imposer mais ce n’est pas en accord avec nos valeurs. L’avortement est un crime. L’Islam a parlé des différentes étapes de la grossesse et du moment où l’âme est insufflée au fœtus. Oser s’attaquer à ce fœtus est une infamie », répond-il, tout en alertant les familles religieuses « à réagir et condamner avec la dernière énergie l’envie de certaines personnes de légaliser l’avortement au Sénégal ».
Pour Amy Sow, célibataire de près d’une trentaine d’années, autoriser l’avortement médicalisé peut-être un « précédent dangereux ». « Nous avons nos propres réalités sociales et religieuses. Il est bien de s’ouvrir au monde mais il est tout aussi dangereux de prendre toutes les influences étrangères. À mon humble avis, l’avortement ne devrait être autorisé que si la grossesse est susceptible de mettre en danger la vie de la mère. D’ailleurs, c’est à cette seule condition que l’Islam l’autorise », dit-elle.
Rencontrée au Point E, Aïda Sall, tout en évitant de cautionner l’avortement, demande aux autorités étatiques d’aider davantage les jeunes mères victimes de viol ou d’inceste. Elle plaide pour la prise en charge des victimes et des enfants incestueux. Qu’il soit médicalisé ou clandestin, l’avortement est un meurtre aux yeux d’Abdoulaye Sène, informaticien. « Ce sont les féministes qui nous tympanisent avec la légalisation de l’avortement. Cela ne se fera jamais dans ce pays. Nous ne sommes pas des Blancs, nous sommes des musulmans. Si on avait respecté les préceptes de l’Islam, on n’aurait pas connu tous ces maux qui gangrènent la société », sermonne l’homme au physique athlétique.
L’étudiante Seynabou Dieng rame à contre-courant, indiquant qu’elle est favorable à l’autorisation de l’avortement dans certains cas. Selon elle, si la grossesse est issue d’un inceste ou d’un viol, l’avortement doit être autorisé au cas où la victime le solliciterait. « Le viol est quelque chose de très cruel. On vole à la femme ce qu’elle a de plus chère dans sa vie ; donc si elle en tombe enceinte, c’est sûr qu’elle ne va jamais aimer l’enfant, qui va toujours lui rappeler ces moments atroces. Donc, dans de pareils cas, l’avortement doit être autorisé », a-t-elle soutenu. Avant de faire savoir que ce sont ces victimes qui, très souvent, commettent l’infanticide. Parce que, regrette-t-elle, « il n’y a pas de structures de référence pour prendre en charge les victimes d’abus sexuels qui sont livrées à elles-mêmes ». Abou Faye, croisé non loin de la piscine olympique, abonde dans le même sens. À son avis, on peut permettre l’avortement si la grossesse est le fruit d’un viol avéré.