AUX ÉTATS-UNIS, LE MYTHE DU VOTE IDENTITAIRE
David Brooks révèle, dans une analyse au New York Times comment l'inflation, la sécurité et la politique étrangère façonnent les choix électoraux des citoyens américains, au-delà des clivages communautaires
(SenePlus) - Dans un édito publié le 14 novembre dans le New York Times (NYT), David Brooks remet en question les certitudes sur le vote identitaire aux États-Unis. Le chroniqueur démontre, chiffres à l'appui, que les prévisions basées sur l'appartenance ethnique ou le genre se sont révélées largement erronées lors des dernières élections.
"Les Démocrates ont perdu parce que tous les groupes, à l'exception des Blancs, se sont rapprochés de Donald Trump durant ce cycle", résume le sociologue Musa al-Gharbi, cité par Brooks. Un constat qui bouscule les théories établies : Kamala Harris a réalisé de moins bons scores que Joe Biden en 2020 auprès des électeurs noirs, des femmes, des Latinos et des jeunes. Paradoxalement, elle n'a surpassé son prédécesseur qu'auprès des électeurs blancs, particulièrement les hommes blancs.
Le chroniqueur du NYT s'interroge sur ces résultats qui défient la logique apparente : "Beaucoup d'entre nous évoluons avec des modèles mentaux défectueux. Beaucoup d'entre nous traversons la vie avec de fausses hypothèses sur le fonctionnement du monde."
Brooks pointe du doigt une vision du monde héritée des mouvements de libération qui ont marqué les dernières décennies : droits civiques, libération des femmes, droits des homosexuels et des personnes trans. Cette approche, qui divise la société entre "privilégiés" (hommes blancs hétérosexuels) et "marginalisés" (tous les autres), se heurte aujourd'hui à une réalité plus complexe.
L'auteur souligne que les catégories utilisées manquent souvent de pertinence. Selon une étude du Pew Research Center qu'il cite, 32% des Américains d'origine asiatique, 30% des Hispaniques et 23% des Noirs se sont mariés hors de leur groupe ethnique en 2022. Plus frappant encore, 58% des Hispaniques s'identifient également comme blancs.
"Les gens ne se comportent pas comme des ambassadeurs de tel ou tel groupe. Ils pensent par eux-mêmes de manière inattendue", observe Brooks, qui appelle à dépasser une vision binaire opposant oppresseurs et opprimés. Le chroniqueur rappelle que les électeurs sont préoccupés par des questions concrètes comme l'inflation, la criminalité ou la politique étrangère, qui transcendent les clivages identitaires.
Pour Brooks, il est urgent de construire "une vision sociale aussi moralement convaincante que la politique identitaire mais qui décrit mieux la réalité." Il cite le juriste britannique Patrick Devlin qui, dès 1959, avertissait : "Sans idées partagées sur la politique, la morale et l'éthique, aucune société ne peut exister."
Face à ces constats, le chroniqueur du New York Times plaide pour une approche plus nuancée, prenant en compte la complexité des individus au-delà de leur appartenance à un groupe. Une réflexion qui intervient à un moment crucial pour la démocratie américaine, alors que le pays s'apprête à vivre une nouvelle pésidence Trump.