«JE VEUX ETRE AVOCAT ET RAPPEUR EN MEME TEMPS»
Dans cet entretien accordé à «L’As» Iss 814, auteur du célèbre tube «Noce» et ancien étudiant en droit à l’université de Dakar, compte rependre les cours qu’il avait suspendus, rien que pour devenir avocat, un métier qui constitue sa passion.
Il n’est plus à présenter dans le monde du rap au Sénégal. Iss 814, Ismaëla Talla à l’état-civil, est devenu un talent confirmé du hip hop sénégalais. Il a remporté quatre trophées majeurs lors de la dernière édition de Galsen Hip Hop Awards. Jeune frère du célèbre rappeur Fou malade, Iss814 n’a pas eu le même destin que son aîné, lui qui a commencé comme beatmaker avant de se lancer dans le rap. Dans cet entretien accordé à «L’As» Iss 814, auteur du célèbre tube «Noce» et ancien étudiant en droit à l’université de Dakar, compte rependre les cours qu’il avait suspendus, rien que pour devenir avocat, un métier qui constitue sa passion.
L’As : Qui est Iss 814 beats ?
Iss 814 beats : Je m’appelle réellement Ismaëla Talla. Iss vient du diminutif de mon nom Ismaëla, et 814 c’est le numéro de la maison où je suis né, où j’ai grandi et où je vis toujours. Je suis né dans une famille d’artistes où existe la liberté d’expression et où le droit d’ainesse est respecté. C’est à la villa 814 que l’histoire de faire carrière dans la musique a réellement commencé. C’est la raison pour laquelle, j’ai choisi ce nom Iss814 pour être beaucoup plus proche de mon histoire.
Vous avez abandonné les études pour la musique. Pourquoi ce choix ?
J’ai fait des études jusqu’en année de licence en droit privé, à la faculté de droit de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je devais faire la licence, mais j’ai arrêté pour faire la musique que j’aime énormément. Je ne veux pas, dans dix ans, me retrouver dans un bureau en train de signer des papiers comme un fou.
Comptez-vous reprendre les études ?
Oui je vais reprendre les études, car je veux devenir avocat. Grâce à un film que j’ai suivi, le métier d’avocat me plait énormément. J’ai une nouvelle ambition. C’est le rap qui m’a demandé d’aller faire ce métier pour défendre les couches démunies. Le métier d’avocat est très libéral. Je ne vais pas laisser tomber le rap ; jamais. Je vais juste mettre en veilleuse le rap, pour me concentrer sur la production musicale. Actuellement, je suis plus dans les musiques de films, de documentaires et de publicités. Il est important de se faire de l’argent en ce moment et d’ici deux ans de reprendre les études. Je ne souhaiterai pas être payé quand je ferai mon stage. Je veux juste le faire de façon bénévole dans un quelconque cabinet et après créer mon propre cabinet et exercer pleinement cette passion. Je veux être avocat et rappeur en même temps. C’est possible.
Comment êtes-vous passé de beatmaker à rappeur ?
C’est venu naturellement. A chaque fois que je crée un beat, je rappe dessus. Cela fait à peine deux ans que j’ai commencé réellement à chanter. Cela me crée un autre marché et me rend beaucoup visible, parce que les rappeurs ont beaucoup plus de visibilité que les beatmakers. Le beatmaking me permet de vendre beaucoup de beats.
Vous avez créé un nouveau style, le Dakar Trapp. Pourquoi ce choix ?
C’est un choix que je me suis imposé. Je voulais apporter quelque chose de nouveau dans le rap. Et on a toujours pris des samples américains et français pour composer nos morceaux, mais à un moment donné, il fallait faire ce retour en arrière et venir se ressourcer sur ce que nous avons. C’est de là qu’est venue l’idée d’utiliser des instruments africains. Mais, il faut aussi connaître ce que c’est la musique africaine et comment elle se joue. Je suis content de la manière dont ce style a été accueilli par les Sénégalais.
Pourquoi le rap au détriment du beatmaking ?
Le beatmaking est ma formation initiale. Avec cela, j’ai gagné beaucoup de millions. Par contre avec le rap, on a une visibilité. Cependant, le rap ne m’a pas encore rendu tout ce que je lui ai donné. Je n’ai pas gagné quelque chose avec le rap. Mais, je sais qu’un jour le rap va me rapporter beaucoup plus. Il faut juste un peu de temps. Je ne vais pas abandonner le beatmaking pour le rap. Ce n’est la même chose,
Vous avez remporté quatre prix lors du dernier Galsen Hip Hop Awards. Peut-on dire que Iss814 est devenu un artiste confirmé ?
Je ne pense pas que je suis un artiste confirmé. Je travaille sur beaucoup de sons. Ces sons définissent mieux ma personnalité et le cadre artistique dans lequel j’évolue. Ces prix, je les considère comme un challenge parce qu’il n’y a jamais eu de contestation par rapport aux prix de la part du public. Ce qui m’importe le plus, ce ne sont pas les trophées. On peut gagner des prix, certes, mais ils ne peuvent pas définir réellement les potentialités artistiques d’un rappeur. Les prix sont plutôt une motivation supplémentaire pour moi.
En tant que beatmaker, ne pensez-vous pas que les mix de tous genres vont tuer le rap classique ?
Tout ce qui est classique ne meurt pas. En fait, c’est la tendance qui meurt, parce que c’est juste une question de période. Mais, les classiques sont transgénérationnelles. Tout ce qu’il faut, c’est un bon dosage. On ne peut pas mélanger le rap et le mbalax. Quand ce dernier domine, on ne peut pas dire que c’est toujours le rap. Il faut trouver le juste milieu. Je souhaite même faire des featurings avec Youssou Ndour, Baba Maal. Je veux explorer d’autres créneaux, mais la base sera toujours le rap.
Par le passé, vous avez été au cœur d’un violent clash entre Dipet Omzo Dollars. Avez-vous des regrets ?
Je ne souhaite pas parler de cet épisode, bien vrai que j’assume jusqu’à la fin. Il n’y a pas de place pour les regrets dans le rap. Mais, retenez une chose, entre temps on a gagné en maturité. Si c’était à refaire, je le ferai, mais de manière intelligente.
Actuellement, quelles sont vos relations avec Dip et Omzo ?
Dip, c’est un ami et un collègue. C’est un artiste que je respecte beaucoup. Omzo, lui, n’a jamais été mon ami, mais juste une connaissance. Mes vrais amis sont ceux avec qui j’ai grandi à Guédiawaye et eu la même histoire. Ce sont eux que je considère comme mes vrais amis. Les autres, je les ai connus à travers la musique. Avec certains, j’ai gardé de bonnes relations, avec les autres, on devait garder de bonnes relations malheureusement, cela a pété. La vie, c’est juste un puzzle, il faut enlever les pièces qui ne font pas partie du puzzle. Il ne faut pas avoir peur des séparations.
Quelles sont vos influences ?
Ce qui m’influence le plus, c’est ma misère. Si j’étais un milliardaire, je n’allais jamais devenir engagé. Je ne fais qu’évoquer ce qui se passe autour de moi. C’est le milieu dans lequel on est né et on a grandi qui détermine nos choix. Il faut toujours rapper ce que l’on vit, et vivre ce que l’on rappe.
Que pensez-vous du système politique actuel ?
Les poumons de ce système politique sont pourris. Les Sénégalais sont très fatigués. Il n’y a pas eu de rupture depuis 1960. Depuis Senghor, jusqu'à Macky Sall, il y a toujours eu des mouvements d’étudiants et des grèves très sanglantes. Pourquoi laisse t-on les mêmes problèmes persister toujours ? Pour anéantir une société, il faut passer par l’éducation. Dans dix ans, le pays sera méconnaissable. Les politiciens ont réussi à détruire, l’éducation, la santé les mœurs et cela de façon indirecte, en s’immisçant dans tout. Maintenant, tous les secteurs de l’Etat sont politisés. Le gouvernement a fait des emprunts énormes. Et dans cinq ans, on fera face aux conséquences de tous ces prêts
Que pensez-vous de Macky Sall ?
Ce qu’il fait me laisse indifférent. Macky Sall a tout fait pour avoir la confiance du peuple. Mais dès qu’il a gagné cette confiance, il a fait tout ce qu’il a voulu. Il a l’Exécutif et le Législatif entre les mains, donc forcement il fait tout ce qu’il veut. Macky Sall est arrivé à un stade où il ne peut plus reculer. Certes, il a été au sein du pouvoir par le passé, mais ne comprenait pas ce que c’est le pouvoir. Maintenant en tant que chef suprême, il a compris ce que c’est réellement le pouvoir. Les présidents ne sont intéressés que par leur réélection et la conservation du pouvoir. Beaucoup de ces nouvelles infrastructures inaugurées ne sont pas totalement achevées. On va vers des élections et la campagne est basée sur des bilans. L’erreur que tout le monde fait, c’est de confier l’Exécutif et le Législatif au Président. En ce moment, il n’y a plus de frein et c’est ce que j’appelle mettre le Président sur une« autoroute politique sans péage».
Vous êtes adulé par la jeunesse. Etes-vous sollicité par des hommes politiques pour un éventuel soutien ?
Je ne compte pas sur la politique pour vivre. Je gagne bien ma vie avec ce que je fais actuellement. Les politiciens savent à qui ils vont demander un soutien. Et je pense qu’il faut manquer de respect intellectuellement à une personne pour oser lui demander de te soutenir et de t’accompagner dans tes meetings et autres. Je me respecte. Aucun politicien n’osera me proposer une telle chose. Et si quelqu’un s’aventure à me dire cela, il ne va plus le répéter. De toute façon je ne voterai pour personne.
Etes vous toujours sous l’aile de Malal ? Et que pensez-vous des critiques qui lui ont été faites sur sa publicité pour le TER ?
Malal, c’est la base, c’est mon grand frère, mais je n’ai jamais été sous son aile. Il m’a toujours conseillé de m’envoler de mes propres ailes. La vie n’a jamais été facile pour lui. Pour la publicité, c’est juste une campagne de prévention. Cela n’a rien à voir avec la politique. Par le passé, il avait craché sur 25 millions Fcfa. Pourquoi accepterait-il de se vendre pour une publicité où il a reçu 750.000 francs? Les gens qui critiquent ne comprennent. Un jour, ils auront des proches tués par le train, alors là ils demanderont à ce que la publicité de Malal soit encore diffusée. Il n’a jamais parlé de politique dans la publicité, il a juste demandé de faire attention à la forte électricité du train.
Votre morceau, «Noce» a fait un tabac d’où vous est venue cette inspiration ?
Dans la vie, il faut se contenter de ce que l’on a. La vie est compliquée si on veut qu’elle soit compliquée et simple si on la veut simple aussi. Il faut croire en soi et ne pas envier les autres et vraiment faire preuve d’humilité. Ce morceau, je l’ai écrit et enregistré quand j’avais une jambe cassée. Un ami m’a porté sur son dos, je suis allé enregistrer le morceau au studio, l’inspiration m’est venue tout naturellement.
Quels sont vos projets ?
Je vais sortir mon album cette année et passer à autre chose. J’ai sorti un pré album qui m’a valu quatre trophées. Je me donne à fond pour produire un très bon album, donner de bonnes énergies à tout le monde, et après je vais m’orienter de nouveau dans les études. Je veux écrire un livre et le faire sortir en même temps que mon album. Le livre parlera de ce que c’est réellement la « médiocratie », c’est à dire la philosophie de la rue. C’est quoi l’auto entreprenariat et qui sont les gens qui le font. Il ya des gens à qui la vie n’a pas fait de cadeaux, des gens qui n’ont pas réussi avec l’école, mais à force de persévérance et d’abnégations ont réussi dans la vie et sont à l’abri du besoin. A travers de petites ressources, ils ont réussi à se hisser au sommet de la classe sociale. Je suis en collaboration avec un label allemand, et si je ne voyage pas pour les besoins de mon travail, je compte pendant le Ramadan me consacrer exclusivement à l’écriture de ce livre.