LA RÉVOLUTION DU RETOUR AU NATUREL
Des ancestrales coiffures africaines à la libération de leur texture naturelle, les cheveux afro, longtemps stigmatisés, sont aujourd’hui l’objet d’une réappropriation aussi créative qu’émancipatrice
Peigne brûlant, cuir chevelu abîmé ou foulard imposé, voici quelques-unes des pratiques employées par l’entreprise coloniale et esclavagiste sur le cheveu afro, comme le note notamment la sociologue Juliette Sméralda dans Peau noire, cheveu crépu – L’histoire d’une aliénation (Editions Jasor). Depuis des siècles, il est discriminé, animalisé, suspecté d’être moins hygiénique et beau que le cheveu lisse – mais est aujourd’hui célébré pour son potentiel esthétique et engagé.
Mouvement “nappy”
Avant Juliette Sméralda ou encore l’experte Aline Tacite, leurs consœurs anglo-saxonnes s’étaient déjà pensé la capillarité des afro-descendants comme outil sociologique et activiste. Portant fièrement son afro, Angela Davis affichait les liens intrinsèques entre estime de soi, intimité et militantisme. En Amérique, Noliwe M. Rooks, auteure, chercheuse et professeure à l’université de Cornell a écrit Hair Raising – Beauty, Culture and African American Womenen 1996, une petite révolution à l’époque.
En France, ce n’est qu’au début des années 2000 que le sujet commence à émerger, d’abord sur des forums comme Beauté d’Afrik, où les groupes de discussion alimentent la conversation sur la manière dont on peut prendre soin de ses cheveux “au naturel”, sans aucune altération chimique. Ce retour au naturel va être le début de ce que la presse appellera le mouvement “nappy”, qui peut avoir plusieurs traductions, mais est souvent présenté comme la contraction de natural et happy, “heureux d’être soi-même”. Ce processus de retour au naturel s’apparente à une révolution, les femmes noires étant auparavant vouées à se défriser dès le plus jeune âge.
"Une idée de beauté basée sur des normes blanches"
“Il y a toute une génération qui a grandi avec une idée de beauté basée sur des normes blanches. Ce sont des agressions et des traumatismes vécus dès l’enfance, dans les remarques comme dans la violence des pratiques, qui mènent à l’alopécie entre autres”, explique Eymeric Macouillard Gillet, activiste et conférencier. On parle de produits cancérigènes, de brûlures à cause de cette crème composée principalement de soude et d’ammoniaque, deux produits dangereux et utilisés par de nombreux coiffeurs afro pour “discipliner” les cheveux.
“C’est une affaire de domination : le Blanc se désigne à la fois comme la norme et l’idéal, à commencer par l’esthétique. C’est un exercice de contrôle”, ajoute-t-il. Effectivement, difficile d’oublier qu’en 2016, un lycée sud-africain voulait interdire à des lycéennes de laisser leurs cheveux au naturel – ils étaient considérés comme “peu soignés”. Plus récemment, en Martinique, c’est un petit garçon de 4 ans qui a été pointé du doigt en raison de sa chevelure jugée “négligée”.
La blogueuse Fatou N’Diaye contre l'invisibilisation et la discrimination
Depuis, les cheveux afro, texturés, frisés ou crépus sont entrés dans le paysage médiatique. Une visibilité initiée par les premières blogueuses phare de la sphère afro française : Curlidole, BrownSkin ou BlackBeautyBag pour ne citer qu’elles. Cette dernière, plus connue sous le nom de Fatou N’Diaye est de celles qui ont réussi à s’imposer jusqu’à en faire leur métier. Depuis la création de son blog BlackBeautyBag en 2007, elle est devenue un modèle français pour la représentation des femmes noires dans leur ensemble. Coiffure, mode et beauté incluses.
Aujourd’hui égérie pour L’Oréal, son discours est resté le même et valorise la création afro sous toutes ses formes. Avec ses 130 000 abonnés sur Instagram, autant sur Facebook et plus de 13 000 sur Twitter, son succès n’est plus à démontrer. Douze ans après la création de son blog, elle use de sa visibilité pour faire passer des messages, notamment auprès des marques avec lesquelles elle travaille. “En tant que femme noire française, dans une société soi-disant libre, j’ai grandi en ne voyant personne dans les publicités, à la télévision, qui me ressemblait. Cette invisibilisation et cette discrimination me suggéraient que ma beauté ne méritait pas d’être montrée, célébrée ; le défrisage découle de là, d’une pression autour de l’assimilation depuis l’enfance”, dit-elle.
Dans son travail de consulting auprès de nombreuses grandes marques de cosmétiques, elle conseille de ne pas utiliser des mots comme “cheveux indomptables, sauvages, crinières de lionne, car ça nous ramène à une chosification et une animalisation ancienne”.
Le cheveu afro et ses infinies possibilités
Depuis les années 2010, c’est sur le tapis rouge que le combat se mène, avec des célébrités comme Aïssa Maïga ou Lupita Nyong’o qui arborent des coiffures majestueuses, remettant le cheveu afro et ses infinies possibilités sur le devant de la scène. Des mouvements comme Hrach is beautiful (hrachdésigne les cheveux crépus dans les pays du Maghreb) créé par Samia Saadani et Yassin Alamy apportent une autre dimension au sujet, rappelant que les cheveux texturés et les stéréotypes qui vont avec concernent tous les afro-descendants.
De nombreux livres font la part belle à cette chevelure, que ce soit pour les adultes avec des conseils pratiques comme dans Beauté noire – Cosmétiques faits maison pour peaux noires et cheveux crépus (La Plage, 2018) de Michèle Nicoué-Paschoud ou pour les enfants avec un discours sur l’estime de soi (Comme un million de papillons noirs de Laura Nsafou, Cambourakis, 2018).
C’est même une forme d’art : l’artiste capillaire Nadeen Mateky recrée des coiffures ancestrales à la portée symbolique : une coiffe nommée Wata (en référence à la déesse Mami Wata), imagine une sorte de pirogue qui traverse un fleuve ; elle y ajoute raphia, bambou et fil de fer pour montrer avec quelle richesse et quelle diversité peut composer le cheveu afro. “C’est le seul cheveu qui défie les lois de la gravité, il faut le porter comme une couronne”, s’exclament à l’unisson Fatou N’Diaye et Nadeen Mateky.