ABDOU KARIM FOFANA, DANS LES PAS DU PÈRE
Le ministre de l’Urbanisme est chargé de réaliser un vœu cher au président : rendre le Sénégal propre. Trajectoire d’un «fils de…», grand héritier du legs politique de son géniteur, feu Abdoulaye Fofana
A 38 balais, le nouveau «M. propre» de la République se refuse homme-lige, mais goûte peu à la vie foutraque. L’homme n’est pas du genre à la ramener, à tout flamber. Pourtant, à cette époque truculente, où les «fils de…» consument leur avenir dans les soirées émoustillées, au volant de gros bolides, déchirant les chaudes nuits dakaroises, nymphes à bord, boulettes dans la boîte à gants, il aurait pu choper les germes de l’excentricité. Mais le jeune Abdou Karim Fofana ne s’est pas choisi ce destin de patachon, à la fois déréglé et agité. Il a préféré celui qu’offrent les parchemins, la réussite du papa en ligne de mire, la fermeté de maman en prime. Pas tête d’œuf ni crack, le garçon a vécu une vie d’élève moyen, de lycéen studieux et d’étudiant ambitieux. Et au moment d’entrer dans la vie professionnelle, le jeune diplômé a choisi de monter sa propre affaire avec un groupe d’amis. Une vie d’adulte coltinée d’un engagement politique auprès du patron de l’Alliance pour la République qui lui a ouvert, en avril dernier, les portes du Gouvernement.
«Mon papa, ancien ministre, m’a eu à 64 ans»
Est-ce parce que ce fils de l’ancien ministre et ambassadeur Abdoulaye Fofana n’a pas vécu la toute-puissance de son papa qu’il en est arrivé là ? Faisant de l’absence matineuse d’un père qui l’a eu sur le tard et tant chouchouté avant de le quitter, le moteur d’une vie de boy contraint à suivre le sillon familial. «C’est vrai que j’aurais aimé qu’il soit là aujourd’hui, tout comme ma mère. Mais ainsi va la vie. La mort est un passage obligé, mais celle de parents constitue un terrible moment de passage à vide, de souffrance. Il m’arrive aujourd’hui de vouloir prendre une décision et de me dire, le tout naturellement du monde, est-ce que mon père aurait agi pareillement», souffle-t-il des trémolos dans la voix. Pour parler de son pater, sa mémoire est une splendide machine à reculer, à rembobiner le film de son enfance qu’il a passée à côté d’un homme qui avait l’âge de son grand-père. Il confie : «Je n’étais pas encore né quand mon père était ministre, donc je n’ai pas vécu la période fils de ministre. Je suis l’un des derniers enfants de mon père. Ma mère était sa troisième épouse et mon papa avait 64 ans quand je suis né. Donc il était presque comme un grand-père pour moi. Mon papa était très affectueux et avait du temps pour moi. Il fréquentait à l’époque, un célèbre Grand-Place qui s’appelait Keur Baye Mbarick, et j’y allais souvent avec lui. Ce sont des choses qui ont beaucoup marqué mon enfance», souffle-t-il.
Si l’aveu prête à sourire, c’est qu’il relève d’une situation très inhabituelle dans les relations filiales. Mais la différence d’âge d’avec papa Abdoulaye a permis au petit Abdou Karim de partager ses hobbies. Aux côtés d’un père président de la Fédération sénégalaise de football (Fsf), le jeune Karim fréquente assidûment les terrains de foot. «J’allais souvent voir les matches avec mon père, je me rappelle un match organisé par la Fondation Solidarité-partage de l’ancienne Première dame Elisabeth Diouf, dans les années 90, c’est moi qui devançait les joueurs avec le ballon.» Le ministre se remémore avec émotion sa première rencontre avec feu Jules François Bocandé. «Le Sénégal venait de se qualifier à la Coupe d’Afrique Caire 1986, j’étais très jeune à l’époque. Un bon matin, les joueurs sont venus à la maison pour voir mon père, c’était la première fois que je voyais Bocandé de près, ainsi que les autres joueurs, et j’étais vraiment impressionné.» Abdou Karim Fofana a même eu l’occasion d’être la mascotte de l’équipe du Jaaraf, club dans lequel son père avait des fonctions. «Lors de la fameuse finale JA-Jaaraf de 1991, j’étais sur le banc de touche, c’était un match très intense et il y avait beaucoup d’émotion. Des souvenirs qui ont marqué mon enfance.» Mais quoique passionné qu’il fut par ce sport, Karim n’a pas été brillant, balle au pied. «Je n’ai jamais été bon au foot, j’ai eu à fréquenter des écoles de football, on en faisait également au collège Cathédrale, mais je n’étais pas très doué malheureusement.»
«La politique, principal sujet de discussion à la maison»
Comme pour le foot, l’influence paternelle marquera les choix de carrière de Abdou Karim. Il en convient : «Je pense qu’il m’a peut-être influencé dans la passion de la politique et de la chose publique, la lecture aussi, j’achète tout le temps des livres que je n’ai même pas le temps de lire. Mais je ne pensais vraiment pas entamer une carrière politique.» Toutefois, le fait de grandir dans un environnement très politisé a pesé sur l’évolution et la formation du jeune homme. «J’ai grandi dans un milieu où on a la culture politique, avec un père à la retraite, on discutait politique, on lisait politique. Même ma mère qui n’a pas fait les bancs avait une culture politique extraordinaire, elle nous racontait les discours de Senghor, Mamadou Dia… et c’était impressionnant. La politique était le principal sujet de discussion à la maison, et cette atmosphère a nourri ma passion.» Et ses études suivront pratiquement la même voie.
Après avoir commencé ses humanités au collège Cathédrale de Dakar, puis obtenu le Bac G au Lycée Maurice Delafosse en 2000, Karim s’oriente vers le Droit. «Avec un Bac G, je pensais plutôt faire de l’expertise comptable, mais il me fallait suivre une filière économique, avec beaucoup de mathématiques et je n’aimais pas trop ça, raison pour laquelle je me suis tourné vers le droit, et ça m’allait bien parce que ça ouvre beaucoup sur les débats politiques, le droit constitutionnel, les institutions politiques… ». Après six années à Lyon, précisément à la Faculté de Droit de l’Université Jean Moulin, il revient au Sénégal, pour cette fois-ci, faire de la Gestion, à l’école de commerce Bem Dakar (Bordeaux Management School).
Bien qu’il commence à s’immiscer dans l’entrepreneuriat, en mettant sur pieds, avec des amis, une société d’importation de café du nom de Soura, sa passion pour la politique demeure latente. Sa rencontre avec le Président Macky Sall, qui remonte à 2009, sera un déclic dans la vie du jeune homme. Abdou Karim Fofana raconte. «J’avais une bande d’amis qui collaborait avec le Président Macky Sall, et on discutait souvent des changements qu’il devait y avoir après Wade. Je faisais quelques critiques sur la communication du Président Sall, opposant à l’époque, je m’étonnais du fait qu’il faisait beaucoup de tournées dans les régions, durant la précampagne, et qu’on en entende parler sans voir les images. Et c’était l’époque où le numérique prenait de l’essor, avec les chaines YouTube, les pages Facebook… je louais ses efforts et faisais des recommandations, et mes amis me suggéraient d’aller en parler au candidat Macky Sall, car il est assez ouvert. C’est ainsi qu’ils nous ont mis en rapport et organisé une rencontre.» Une entrevue qui marquera le début de la collaboration entre les deux hommes. «Je suis allé le voir avec un document PowerPoint, pour lui suggérer de créer une communication numérique visuelle, de changer de démarche et de ne pas compter uniquement sur les télés et radios pour décupler sa visibilité. Je lui ai laissé le document et mon numéro de téléphone, et il m’a rappelé moins d’une heure après, me disant qu’il avait lu, et en me demandant de revenir le lendemain pour une réunion afin de mettre en place ce que je lui proposais. Et c’est comme ça que nous avons commencé à travailler ensemble.»
«La plus grande chose que le président Macky Sall m’a offerte… »
Pour un début, Karim commence par aider le futur candidat à la Présidentielle de 2012 dans sa communication et ses stratégies, en lui faisant des notes sur certains sujets, et en allant le retrouver dans certaines régions où il se trouvait en tournée. Une expérience marquante. «Pour le citadin que j’étais, faire le tour du Sénégal des profondeurs, ça donne des vocations, on se rend compte qu’il y a un grand décalage dans les niveaux de vie, avoue-t-il. Cela crée des indignations personnelles et ça m’a beaucoup apporté, cela donne un électrochoc chez un citadin. J’estime que la plus grande chose que le président Macky Sall m’a offerte, au delà des nominations, c’est de m’avoir permis de voir le Sénégal des profondeurs.» Le ministre de l’Urbanisme est d’avis que toute personne qui aspire à avoir des responsabilités publiques ou politiques, doit faire cet exercice, car un homme politique, ce n’est pas seulement un discours politique.
Après l’élection et la victoire de Macky Sall en 2012, Abdou Karim Fofana est coopté dans le ministère des Infrastructures et des transports, en tant que Conseiller technique. Son boss de l’époque, Mor Ngom, fait un témoignage élogieux à son endroit. «C’est un garçon qui apprend très vite et il s’assume très vite. Quand il est devenu Dg de l’Agence de gestion du patrimoine bâti de l’Etat (Agpbe) par exemple, il a très vite trouvé ses marques et a su mettre en exergue l’agence et tout le monde a vu ses réalisations. Il faut lui reconnaître son savoir-faire communicationnel et son management.» L’actuel ministre-conseiller du chef de l’Etat décrit Abdou Karim Fofana comme un homme loyal et fidèle. Et son passage à la Direction de l’Agpbe, où il a été nommé Dg en 2015, fait toujours parler de lui, notamment avec la mise sur pieds des sphères ministérielles de Diamniadio. «J’ai intégré l’Agpbe en début 2013, en tant que chef de division, et c’est là-bas qu’on a commencé à travailler sur les grands projets de Diamniadio. Ce n’était pas facile, il fallait revoir le fonctionnement de l’immobilier de l’Etat, le premier souci, c’était de baisser les loyers et d’avoir du patrimoine disponible. Il y a des bâtiments dont la rénovation coûte plus cher que la construction. On s’est donc dit qu’il fallait créer du patrimoine nouveau, adapté à notre mission. C’est comme ça que nous avons monté les sphères ministérielles de Diamniadio, avec aussi l’idée de permettre à l’Administration sénégalaise d’avoir de nouveaux habits et de décongestionner Dakar.» Bachir Fofana, ami de longue date de Karim, se réjouit de cette réalisation. «Il a géré de main de maître ces chantiers, et ce qui m’a le plus plu, c’est que les travaux ont été livrés avant délai, ce qui est rare dans une administration où il y a toujours des retards dans l’exécution des travaux. Ce qui montre sa rigueur et son sérieux. Et il a une qualité dans le travail, quand il y a des aspects techniques qu’il ne maitrise pas, il n’hésite pas à faire appel aux personnes compétentes dans le domaine concerné, les experts, pour discuter avec eux et prendre leur avis avant de prendre une décision, il a l’humilité de dire qu’il ne sait pas ou qu’il ne maitrise pas tel domaine.»
Casse, casse, casse-tout
Ministre de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique, il ‘’casse’’ tout sur son passage. Au sens propre. Même le mythique marché Sandaga de Dakar ne résiste pas à sa détermination. Comme un cheval avec des œillères, il ne voit que son but, fixé par le président de la République : le désencombrement de l’espace public et la propreté du Sénégal. «Le désencombrement est une nécessité, quand on voyage dans d’autres pays ou que l’on reçoit des hôtes au Sénégal, on se rend compte qu’on est dans une situation très déplorable, fait-il remarquer. Le Sénégal est souvent cité en exemple, mais nous sommes conscients qu’il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous devons faire des efforts, que ce soit du point de vue comportemental ou social. On ne doit pas avoir un attentisme coupable vis à vis de l’Etat, il faut savoir corriger et agir.» Agir, Abdou Karim Fofana est conscient que ce ne sera pas une sinécure. «Je sais que ce n’est pas facile, je commence déjà à prendre des cheveux blancs (rires). Mais je pense que c’est bien possible, parce que les Sénégalais sont capables du meilleur. C’est difficile certes, mais pour faire des omelettes, il faut casser des œufs», déroule-t-il avec aisance. Pour lui, les Sénégalais ont peur du changement, mais il faut avoir conscience qu’il faut transformer les choses. Lesdits cheveux blancs sont bien visibles sur sa barbe qui entoure son visage joufflu. Avec son teint noir de jais et sa taille imposante, le ministre ne passe pas inaperçu.
Les confidences de son épouse
Abdou Karim Fofana n’en est pas moins pointilleux, à en croire son ami Bachir Fofana. «Parfois il est trop dans les détails, il ne sait pas déléguer certaines tâches dans sa gestion au quotidien, il veut tout faire lui-même. C’est ce que je lui reproche concernant les opérations de désencombrement par exemple, il est trop au devant de la scène.» Un trait de caractère que ses proches lui reconnaissent à l’unanimité, son entêtement. Mor Ngom : «Il est un peu têtu, pas dans le sens négatif, mais quand il sait qu’il a raison, il s’entête.» Son épouse, Salimata Dièye confirme la sentence : «On ne peut pas le forcer à faire quelque chose, s’il n’en a pas envie, si vous ne voulez pas qu’il fasse une chose, il faut insister sur cette chose. Il cherchera toujours à savoir le pourquoi du comment.» Le concerné en rit et s’explique. «On est dans une société où l’on dit que ‘’dangay massla ba gnou massalé leu’’. Il y a des choses, il faut les faire tout simplement. C’est comme pour le marché Sandaga, certes il faut discuter et instaurer le débat, mais à un moment donné, il faut agir. Il faut que l’on encadre notre action dans le temps, savoir agir dans les délais. C’est peut-être pour cela que l’on dit que je suis entêté, mais j’écoute quand même, je consulte beaucoup. Mais bon il faut me convaincre que ce n’est pas la bonne idée», admet-il. Karim Fofana est également présenté comme un homme simple, accessible et généreux.
«J’aime les bons plats»
Cette après-midi de rendez-vous, il déboule au pas de charge dans le hall de sa demeure, téléphone collé à l’oreille, sous les froufrous de son caftan beige bien amidonné. S’excusant d’abord de son retard, il demande si le déjeuner était déjà servi, trahissant ainsi sa nature gourmande. Chose que sa tendre moitié confirme. «C’est un homme très gentil et sensible, excessivement généreux et très humain, confie l’épouse du ministre. Mais c’est un gourmand, s’esclaffe-t-elle. Il aime inviter des amis à manger et s’entourer de gens autour d’un plat, il paraît que même quand il était plus jeune, il débarquait tout le temps à la maison avec ses amis et ils mangeaient tout ce qu’ils trouvaient là-bas.» Une habitude qui ne l’a pas quitté et que le ministre Mor Ngom souligne. «Il aime la vie, les bonnes choses, bien manger… si je veux connaître les bons restaus de Dakar, c’est à lui que je demanderais. Mais maintenant qu’il est ministre, je suppose que cela va un peu changer.» Mais pour Karim Fofana, être bon viveur, c’est juste être gourmand. «Et je l’avoue, j’aime les bons plats.» Son péché mignon ? Le «mbakhalou saloum», plat que sa mère, sérère originaire de Diakhao, leur faisait tous les dimanches. Un bon «thiebou dieun» est également bienvenu chez ce père de deux garçons. Des enfants pour qui il souhaiterait avoir plus de temps. «Je ne vois pas mes enfants autant que je voudrais, regrette-t-il. Un de mes défis en ce moment, c’est organiser mon temps, avoir plus de temps pour ma famille et aussi pour moi, pour prendre du recul et concevoir mes arguments personnels.» Se targuant d’une forte culture mouride, Abdou Karim Fofana se dit aussi fasciné par l’Asie. «J’ai découvert tardivement l’Asie et j’ai l’impression que le soleil se lève à l’Est. J’admire la force des villes asiatiques, leur capacité à se transformer et à se développer économiquement. Des villes comme Dubaï, Bangkok, Singapour… ça me fascine vraiment et j’y vais dès que j’en ai l’opportunité.»
«Ce qui m’a le plus marqué …»
Aujourd’hui, après dix ans de compagnonnage avec le Président Macky Sall, Abdou Karim Fofana retient de lui un homme profondément humain. «Ce qui m’a le plus marqué chez lui, c’est qu’il est resté humain, dans sa manière d’être et de vivre. Il est toujours attentif, avec la compassion qu’il faut, il a un marqueur social fort.» Leur relation a été renforcée par le décès de la mère de Karim, en 2010. «Ça faisait juste quelques mois qu’on venait de se connaître, mais il était parmi les premiers à venir à la maison. Il a passé l’après-midi avec la famille et c’était très marquant pour moi et a renforcé nos liens.» Ministre depuis moins de six mois, Abdou Karim Fofana dépeint Macky Sall comme un président très ouvert et réactif avec ses collaborateurs. «Il suit de près certains dossiers. Quand j’étais au patrimoine bâti par exemple, il s’enquérait directement de l’évolution de certains dossiers urgents. Il appelle, envoie des messages… Cela facilite la collaboration et lui permet d’être informé et de prendre des décisions.» Comme pour prouver ses dires, son téléphone sonne. «Ah c’est le chef de l’Etat qui appelle !» Il décroche, la voix déférente. «Mes respects M. le Président», répond-il, avant de s’éloigner. Clap de fin.