CES COMPAGNONS DE L'INDÉPENDANCE SACRIFIÉS PAR SENGHOR
Qu’a retenu l’Histoire du rôle de Mamadou Dia et de Valdiodio Ndiaye dans l’accession du pays à l’indépendance ? Éclipsés par la trace indélébile laissée par le président-poète, leurs noms ont été jetés aux oubliettes par l’écriture d’une histoire biaisée
En 1962, le président Léopold Sedar Senghor fait arrêter puis condamner son Premier ministre, Mamadou Dia, et quatre de ses ministres, qui voulaient bousculer les intérêts français au Sénégal. À l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance, Jeune Afrique revient sur cette page méconnue de l’histoire post-coloniale.
Qu’a retenu l’Histoire du rôle de Mamadou Dia et de Valdiodio Ndiaye dans l’accession du Sénégal à l’indépendance, le 4 avril 1960 ? Éclipsés par la trace indélébile laissée par Léopold Sédar Senghor, président-poète et « père de l’indépendance », leurs noms ont été « jetés aux oubliettes par l’écriture d’une histoire politique et biaisée », tranche d’emblée l’historien sénégalais Iba Der Thiam.
Pourtant, Mamadou Dia, chef du premier gouvernement indépendant du Sénégal, et Valdiodio Ndiaye, qui fut un temps son ministre de l’Intérieur, ont été bien plus que des seconds couteaux dans l’histoire contemporaine du pays.
Disgrâce
Longtemps considéré comme le protégé de Senghor, auprès de qui il siégea à l’Assemblée nationale française, Mamadou Dia est président du Conseil dès 1956, avant de rempiler en 1960 lors de l’Indépendance. Il est l’homme de la politique intérieure et des affaires économiques. Léopold Sédar Senghor, lui, a la main sur la politique extérieure. Une organisation bicéphale du pouvoir, calquée sur celle de la IVe République française, qui va rapidement mettre à nu les dissensions entre les deux hommes et valoir à Mamadou Dia de tomber en disgrâce, dès 1962.
Au sein du premier gouvernement Dia, une autre figure montante de la politique sénégalaise : Valdiodio Ndiaye, charismatique avocat à qui l’on a confié le portefeuille de l’Intérieur. De son nom, il ne reste aujourd’hui que les lettres noires qui ornent l’enceinte du lycée éponyme, sis à Kaolack, ville fluviale du bassin arachidier dont il était originaire.
Toute une génération a pourtant été marquée par son discours sur la Place Protêt (rebaptisée Place de l’Indépendance en 1961), à Dakar, le 26 août 1958. Alors que le président est en Normandie et que Mamadou Dia est retenu en Suisse pour une cure, c’est Valdiodio Ndiaye qui reçoit le Général de Gaulle, lequel achève à Dakar un périple africain qui l’a mené à Fort-Lamy (actuelle N’Djamena), Alger, Brazzaville, Abidjan ou encore Conakry.
Une tournée dans les colonies, un mois seulement avant le référendum constitutionnel qui posera les bases de la Ve République. À travers ce vote, les colonies africaines doivent choisir : la « communauté avec la France », en votant oui ; ou « l’indépendance dans la sécession », en votant non.
Plaidoyer indépendantiste
Devant une foule galvanisée et un général de Gaulle « visiblement irrité », selon certains récits de l’époque, Valdiodio Ndiaye déroule son plaidoyer en faveur de l’indépendance sénégalaise. « Le peuple d’Afrique, comme celui de France, vit en effet des heures qu’il sait décisives et s’interroge sur le choix qu’il est appelé à faire. Dans un mois, le suffrage populaire, par la signification que vous avez voulu donner à sa réponse Outre-mer, déterminera l’avenir des rapports franco-africains. Il ne peut donc y avoir aucune hésitation. La politique du Sénégal, clairement définie, s’est fixé trois objectifs qui sont, dans l’ordre où elle veut les atteindre : l’indépendance, l’unité africaine et la Confédération », tonne-t-il.
Amnésie collective
Aujourd’hui, peu de traces subsistent de ces premières revendications indépendantistes. Dans une forme d’amnésie collective, le Sénégal n’a retenu que la chute de Mamadou Dia et de ses ministres Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall.
« On les a décrit comme ceux qui avaient conjuré contre la sécurité de l’État, éludant complètement le rôle qu’ils ont joué dans l’indépendance sénégalaise. Pourtant, si la question de l’indépendance avait été uniquement entre les mains de Senghor, nous serions peut-être encore sous domination française », analyse Iba Der Thiam.
En décembre 1962, les cinq hommes sont arrêtés, accusés par le président Senghor de fomenter un coup d’État. En mai 1963, alors que le procureur général n’a requis aucune peine, Mamadou Dia est condamné à perpétuité, tandis que ses quatre ministres écopent de 20 ans d’emprisonnement. Ils seront graciés onze ans plus tard, avant d’être finalement amnistiés en 1976.