CES TURBULENTES PIONNIÈRES AFRICAINES OUBLIÉES DE L'HISTOIRE
Dès les années 1930, des Africaines en avance sur leur temps se sont imposées dans des bastions farouchement masculins. Géraldine Faladé Touadé ranime le souvenir de ces pionnières injustement méconnues dans un essai remarquable
Madeleine Ly, Marie Madoé Sivomey, Jeanne Martin Cissé, Sita Bella… Ces noms de femmes n’évoquent rien pour certains d’entre vous ? Ils devraient pourtant. Médecin, maire, institutrice ou journaliste, elles ont été des pionnières dans leur domaine dès les années 1930, dans des bastions jusque-là réservés aux hommes. L’ancienne journaliste Géraldine Faladé Touadé leur rend hommage dans un essai paru en septembre dernier aux éditions Présence africaine : Turbulentes ! Des Africaines en avance sur leur temps.
À 86 ans, celle qui se présente comme une « passeuse de mémoire » dresse le portrait de dix-sept « combattantes » déterminées, anticonformistes, qui ont fait bouger les lignes malgré les obstacles et parfois au péril de leur vie. À défaut d’en faire leurs modèles, Géraldine Faladé aimerait que les jeunes générations découvrent ces femmes injustement méconnues, et sachent ce qu’elles ont enduré pour leur ouvrir la voie.
Précurseuse du mouvement nappy
Première de ces guerrières placées sous les projecteurs, une « simple esthéticienne » : Josepha Jouffret, dite Josepha. « Dans les années 1960, les Parisiennes noires qui ne défrisent pas leurs cheveux dissimulent leurs tresses sous un foulard. Inconsciemment – ou peut-être pas –, elles s’ingénient à renier leur africanité. Josepha leur a appris à l’aimer et à l’assumer. Elle nous a donné envie d’être nous-mêmes », explique Géraldine Faladé Touadé.
Elle déroule ensuite la success story de cette femme née à la Martinique, mais qui se présentait toujours comme Guinéo-Sénégalaise : l’ouverture, audacieuse, au cœur du Quartier latin, du premier espace de beauté entièrement consacré à la femme noire ; la ruée du tout-Paris de la mode vers la rue Gay-Lussac, contribuant à la notoriété d’une adresse qui devient vite mythique ; la concurrence des géants de la cosmétique qui fleurent le bon filon…
À la puissance financière de ces derniers, Josepha oppose sa culture, son assurance et sa créativité. Sur les bâtons à lèvres, elle convoque le bleu et l’ambre en lieu et place du rouge écarlate, qui devient criard sur les peaux mates et alourdit les traits. Aux fonds de teint, elle attribue des noms évocateurs de peuples d’Afrique : bambara, peul… « Elle nous apportait glamour et style et nous cessions d’être des Africaines en peine. » Pour Géraldine Faladé Toundé, Josepha a ouvert la voie à la reconnaissance de la grâce particulière des femmes noires, et son mode de pensée est précurseur de mouvements d’aujourd’hui, tel le nappy.
Une des premières sage-femme d’Afrique francophone
Autre portrait marquant, celui d’Aoua Kéita, femme aux talents multiples et au caractère de feu. Son carburant ? D’abord son père, qui l’a toujours soutenue. Puis son mari, qui l’éveille à la politique avant leur séparation – la pression familiale aura raison de leur couple sans enfants. Et sans doute aussi, les déboires qu’elle rencontre sur son chemin. Née dans le Bamako colonial de 1912, Aoua Kéita est destinée à être mère au foyer. Son père l’inscrit en secret à l’école, contre l’avis de son épouse, qui tente de freiner l’enthousiasme de la gamine.