LE SÉNÉGAL EN QUÊTE DE SOUVERAINETÉ PHARMACEUTIQUE
Le pays compte sept unités de production de médicaments, dont une est en cours de relance. Mais les obstacles au développement sont nombreux
Devant les bâtiments abandonnés de l’usine Médis, une douzaine d’anciens salariés se protègent de la chaleur à l’ombre d’un grand arbre. Ils partagent le thé, lisent le journal, discutent. Faute de mieux. A Thiaroye, en banlieue de Dakar, la seule usine pharmaceutique du Sénégal est à l’arrêt depuis le 15 janvier 2020. L’Etat s’est engagé à investir 5,5 milliards de francs CFA (8,4 millions d’euros) pour relancer le site et entrer au capital de Médis. Mais les discussions piétinent et les ouvriers se languissent.
Certains, comme « M. Diagne », ont travaillé plus de vingt ans entre ces murs désormais rongés par les herbes. Privé de salaire et de couverture maladie, l’ancien opérateur de production aligne « dix-neuf mois d’arriérés de loyer et ne [peut] plus payer l’école de [ses] trois enfants ». Ali*, qui a exercé comme conducteur de machine pendant vingt-deux ans, en est à peu près au même point. « Un huissier est venu chez moi pour m’expulser car je n’ai pas versé mon loyer depuis des mois. Mais je n’ai même pas de quoi payer un transporteur pour sortir mes bagages », lance-t-il, le regard anxieux.
Pourtant, la relance de l’usine pharmaceutique a été plusieurs fois discutée en conseil des ministres. Le site, a souligné le président Macky Sall, est indispensable pour atteindre une « souveraineté durable du Sénégal sur certains médicaments, produits et équipements de première nécessité ». Une liste de molécules considérées comme prioritaires – comme le paracétamol, le fer ou les produits utilisés dans la lutte contre le Covid-19 – est en train d’être validée par le gouvernement. Avec un objectif : satisfaire, grâce à la production locale, 50 % des besoins nationaux en médicaments d’ici à 2035.
« Mauvaise gouvernance »
Mais le pays en est encore très loin. Depuis l’arrêt de l’usine Médis, 96 % des médicaments et traitements sont importés, contre 90 % avant la fermeture du site, selon le docteur Abdoulakhat Mangane, conseiller auprès du ministère de la santé. Une dépendance vis-à-vis de l’étranger qui s’est fait particulièrement sentir au plus fort de la crise sanitaire du Covid-19. Quelques produits ont connu des ruptures de stocks épisodiques, comme le phénobarbital (antiépileptique) ou les antidiarrhéiques. Pour les produits de lutte contre le Covid-19, le Sénégal a pu compter sur une solidarité internationale sans laquelle d’autres ruptures auraient pu s’ajouter.
Créée en 1973 sous le premier président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, le site, d’abord public, a été tour à tour racheté par Rhône-Poulenc, Aventis, Sanofi et dernièrement Médis Tunisie. Après trois ans d’activité, il a fermé ses portes pour « difficultés financières », selon les maigres explications fournies par Médis à ses employés. « Nous avons fustigé une mauvaise gestion et une mauvaise gouvernance. Nous avons négocié, quitte à perdre des avantages. Mais la direction a refusé et a cessé l’activité sans respecter la procédure », regrette Médoune Diop, porte-parole des délégués du personnel.