ABDOUL AIZIZ MAYORO DIOP, TRAJECTOIRE SINGULIÈRE D'UN GRAND CRITIQUE DE SENGHOR
« Il m’était plus aisé, bien que la critique ne fût point tolérée, de pointer du doigt la politique du Président Senghor, que de commettre une faute de français au micro », raconte l’ancien journaliste de « Radio Sénégal »
« Il m’était plus aisé, bien que la critique ne fût point tolérée, de pointer du doigt la politique du président Senghor, que de commettre une faute de français au micro », raconte l’ancien journaliste de « Radio Sénégal ». Très critique contre le pouvoir du président-poète, Abdoul Aziz Mayoro Diop est envoyé en Casamance pour avoir mis le xalam de Samba Diabaré Samb à l’antenne. Puis, il sera encore sanctionné à cause de ses positions trop critiques à l’égard du pouvoir et envoyé en Cologne, en Allemagne, comme correspondant. Le journaliste y prit sa retraite avec la « Voix de l’Allemagne » après avoir démissionné de « Radio Sénégal » contestant à Senghor la « paternité de la démocratie » sénégalaise.
Cologne, en Novembre ! Le ciel est gris, bas. Le froid, intenable. Les gens, austères. « Des étrangers pour moi. Ils ne boivent que de l’eau gazeuse. Ont du pain paysan. N’en mangent même pas, s’ils ont de la pomme de terre », se souvient Abdoul Aziz Mayoro Diop entré en journalisme pour « exprimer sa révolte ». C’est Serigne Abdoul Aziz Dabakh qui lui donna son propre nom, à sa naissance, à Saint-Louis, le 11 novembre 1948. Il réussit le concours d’entrée au centre de Maisons-Laffitte que la France organisait alors dans tous les pays francophones. Ils étaient trois Sénégalais admis à l’époque, l’un préféra suivre ses humanités classiques, à Paris, l’autre c’est son ami le regretté Abdou Bâ Ndongo alias « Fredy », un « éminent homme de radio, passionnément amoureux de jazz, producteur émérite ».
Entre le président et le journaliste, malgré les « conflits » inhérents au système du parti unique, il y avait quelque part de l’estime. Le Premier Noir Africain membre de l’Académie française avait l’ambition de faire du Sénégal indépendant une République respectée. Il s’était impliqué dans la création du quotidien national « Le Soleil ». « Commettre une faute, t’enlevait tout appétit et t’empêchait de dormir les poings fermés. Tellement le péché était grand », témoigne M. Diop. « Pour autant cependant, même avec les plus belles locutions, on ne pouvait pas se permettre de mettre un tant soit peu au pilori son programme ». Néanmoins, « je pouvais recourir à des subterfuges et questionner certains points. Souvent par le biais du micro-trottoir – une première qui, en soi, relevait déjà d’une certaine audace – et faire dire aux gens ce qu’on ne pouvait directement dire ». Le glaive tombait toujours, avec souvent une mise à pied de trois jours à une semaine sans salaire », relate-t-il. En dehors de ses deux premiers mois de travail, il n’eut jamais une rémunération complète. Lors d’une audience avec le Chef de l’État qui voulait encourager les journalistes, Abdoul Aziz Diop explique son cas. « Senghor s’en étonnera. Et je me sentis si réconforté, si intouchable », jubile-t-il. Sa joie sera de courte durée.
Samba Diabaré Samb à l’antenne : le grand péché !
Croyant avoir la protection de Senghor, le journaliste créa un tremblement de terre radiophonique, et ce, avec un malicieux sourire. « Un autre grand péché, en faisant jouer du xalam de Samba Diabaré Samb que j’ai toujours admiré à la Chaîne Inter ». À l’encontre de ce qui se faisait et défiant du coup Lucien Lemoine à qui il contestait le monopole de la musique classique dont il « nous » abreuvait à l’antenne. Le Directeur général le cherchait depuis des jours. « Je ne pouvais continuer à fuir. Je pris mon complice Fredy avec moi et frappais à la porte de son bureau ». « Ah te voilà enfin. Tu penses que cet établissement est le bien de tes parents pour y faire ce que tu veux », tonna son patron.
« La semaine prochaine, je t’appellerai à ton nouveau bureau à Ziguinchor », lui signifia le Directeur général. « Mais ce n’est pas sérieux ! », s’écrira son collègue et ami Fredy. À peine, avait-il fini de rouspéter, que sa sanction tomba : « Et toi, à Tambacounda ! ». Et pourtant, « il nous adorait quelque part, bien que nous lui donnions du fil à retordre. Senghor aussi, qui était d’un commerce facile. Agréable. Un grand homme. Certes, un peu emmerdeur. Mais, de loin, beaucoup moins que le système qu’il avait imposé », ajoute le journaliste.
Il découvrait la Casamance, qu’il ne tardait pas à aimer au point de ne plus vouloir revenir sur Dakar. « D’autant que, chose rare, j’y touchais maintenant mon salaire au complet. Et dépensais peu », explique-t-il. Avec des gens charmants et honnêtes qu’il aura du mal à quitter quelques mois plus tard, suite à un autre scandale qui le ramenait à la maison-mère.
Atterrissage en Cologne
« Sanctionné » par un envoi en Allemagne, Abdoul Aziz Mayoro Diop fera, cette fois-ci, un très long voyage. Sourire aux lèvres, son boss, qui voulait le rassurer, lui annonce la nouvelle, sans lui donner la possibilité de dire Non. Taquin, le journaliste qui s’attendait à tout lança : « Dois-je embarquer à Gorée, cette fois-ci, pour Les Amériques ? ». Faisant référence aux esclaves forcés de rejoindre le nouveau monde. « Décidément, tu ne changeras jamais », rétorqua le directeur et de lui préciser : « Tu embarqueras à Yoff. Et tu vas rejoindre l’Allemagne. En qualité de correspondant. Inutile de contester et de lever les bras. La décision vient d’en-haut ». « Dieu ! Je me sentais vraiment perdu. Dans un cauchemar. Sans doute ai-je dit non, jamais », confie-t-il. Il le sortit de son bureau en lui ouvrant, lui-même, la porte.
Du haut de ses 24 ans, Mayoro Diop, sentait dans le creux du ventre, que s’il partait, il ne reviendrait plus. « Disons, que je ne travaillerai plus pour ce pays que j’aime tant et où j’ai tellement à faire. Un an, deux ans, ce n’est pas long », pensait-il.
D’abord s’adapter ! « Et les Allemands me contamineront immédiatement. Mais il me fallait prendre mes quartiers. M’adapter. Vivre. Et me mettre à la tâche. Grâce à la « Deutsche Welle », qu’on dénommait alors « La Voix de l’Allemagne », je ferai mes correspondances radiophoniques. Et Transtel qui, avec son football en Allemagne, ses séries comme Derrick et bien d’autres documentaires, me permettra d’alimenter notre télévision naissante », renseigne-t-il. Premier correspondant de la presse sénégalaise, il se souvient aussi d’Idrissa Seydou Dia de « La Voice of America », du regretté Ousseynou Diop dit Bop du Canada, de Philippe Auguste Sambou décédé au Portugal. Avant l’arrivée de feu Massamba Thiam pour l’Union africaine de radiodiffusion (Urtna) et « l’élégant » Diadji Touré.
La démission
Paix de courte durée. Diop avait commis un crime de lèse-majesté ! « Je m’en étais alors pris à l’idéologie que Senghor imposait aux partis. À la limitation de leur nombre finalement à quatre. Et, plus grave encore, en lui refusant, comme le voulait l’usage, la paternité de notre démocratie. « Non, messieurs dames, il n’en est pas le père », tranche-t-il. Senghor, l’a rétablie après l’avoir suspendue : « Il n’y avait aucun mérite à cela. Je lui en voulais beaucoup. À cause de cette incompréhensible attitude envers Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia et ses compagnons sans oublier Sembène Ousmane », ajoute M. Diop.
Nous sommes le 9 novembre 1976. Senghor célébrait son 70ème anniversaire. En même temps, une larme tombait sur la signature de la lettre que Diop venait de terminer et qui scellait sa démission de « Radio Sénégal ». Confronté à de grandes souffrances, le décès à bas-âge d’un de ses fils jumeaux lui inspire « L’Ailleurs et L’Illusion » (Nea-1983), un ouvrage pionnier sur les dangers de l’immigration. S’ensuit « Prisonniers de la vie » (Neas), au programme de littérature comparée de l’Université Gaston Berger en 2012 avec deux autres écrivains Malick Fall et Abdoulaye Sadji par le Professeur Lifongo Vetinde de Lawrence University face aux écrivains africains-américains Toni Morrison, Alice Walker et W.E.B. Du Bois. Enfin, « Prison d’Europe » sort en 2011. Diop travaille à boucler sa trilogie sur l’immigration avec « L’Obsession du bonheur », révèle-t-il.
Regard sur le journalisme aujourd’hui
Abdoul Aziz Mayoro Diop a une admiration pour « les derniers des mohicans » que sont Sada Kane et Abdoulaye Diaw. « Et bien d’autres plumes, de tout âge, que je me garderai toutefois de citer, pour ne pas me tromper, et qui ont donné ses lettres de noblesse à la presse sénégalaise. Et avec l’excuse, de par son absence, de ne pas les connaitre tous », confie le vieux journaliste. L’aîné déplore, cependant, chez beaucoup de jeunes journalistes, « un manque criant d’éthique, de déontologie et bien d’autres faiblesses. Tant dans la forme que dans le fond ». Révélatrices d’une absence totale de culture générale due surtout au fait qu’ils ne lisent pas, analyse notre confrère. « Je ne sais pas comment fonctionne le Cesti (Centre d’études des sciences et techniques de l’information), mais on devrait y introduire un programme de lecture. Ne serait-ce qu’un livre par mois afin de leur donner le goût de la lecture. Il y a aussi, à l’autre bout, cet excès qui amène certains à faire, dans des interviews, étalage de leurs connaissances », conseille-t-il. S’ils ne jouent pas simplement aux procureurs, à l’instituteur ou, devant la caméra, à la grande vedette. Ce dernier point visant particulièrement « des femmes qui se décolorent la peau et portent des cheveux naturels ». Ce qui est le « comble d’une acculturation profonde et d’une extrême dépersonnalisation. Et c’est révoltant et triste à la fois. On devait simplement les interdire d’antenne », pense Abdoul Aziz Mayoro Diop. Néanmoins, conclut le journaliste, musicien et écrivain « ne désespérons pas trop. Certes, il y a beaucoup à faire. La tâche est immense mais le tir peut être rectifié. Avec un peu plus d’humilité ».