L’HARMONIE ISLAMO-CHRETIENNE, UNE LONGUE TRADITION SÉNÉGALAISE
Le dialogue religieux est devenu indispensable au maintien de l’harmonie interconfessionnelle et subséquemment de la cohésion sociale qui constitue une valeur refuge face aux crises de plus en plus fréquentes
L'harmonie islamo-chrétienne est une longue tradition sénégalaise. Elle a ses racines historiques, ses fondements scripturaires, ses dimensions sociales dans la vie quotidienne et au moment des fêtes musulmanes et chrétiennes qui sont l’occasion d’échanges de bons procédés (ngalax, yakalé, ndogou, nettoyage des cimetières chrétiens par les musulmans, cimetières communs entre musulmans et chrétiens comme à Joal Fadiouth et Ziguinchor, etc).
Ces marqueurs du dialogue religieux et de la cohabitation harmonieuse entre musulmans et chrétiens démontrent qu’au Sénégal il s’insère dans les mœurs et la culture au sein des familles, des quartiers comme à l’échelle des autorités institutionnelles. Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre sauf ceux qui d’entre eux qui sont injustes. Et dites-leur : nous croyons en ce qu’on a fait descendre vers nous et vers vous. Notre Dieu est le même que le vôtre et c’est à Lui que nous nous soumettons” , nous dit le Coran.
Cette harmonie communielle et cette relativisation des différences théologiques et cultuelles expliquent plus facilement la préférence des sénégalais et surtout des khalifes généraux des principales confréries religieuses du Sénégal pour Léopold Sédar Senghor, pourtant chrétien, lui permettant d’accéder à la magistrature suprême dans un pays à majorité musulmane.
Le Sénégal est un pays dans lequel la prégnance du religieux sur la vie politique, économique et social des communautés et des individus est connue et documentée depuis très longtemps. Avec 95% de musulmans, 4 à 5% de chrétiens, mais surtout première nation au monde en termes de poids du religieux dans la vie quotidienne (d’après Pew Research Center, 2010 et 2015), le Sénégal se singularise par un islam confrérique largement majoritaire, des associations islamiques non confrériques bien ancrées et une communauté chrétienne structurée et diversifiée.
D’après Afrobaromètre (2020), 91% des citoyens font d’abord confiance à leur leader religieux et appartiennent à des regroupements organisés pour la vie collective, l’entraide et la mobilisation pour des projets et agendas communs. Une étude récente rappelle que les sénégalais occupent avec l’Ethiopie les premières places du classement mondial sur l’importance de la religion dans leur vie.
Le Pr Ousmane Kane (Université Harvard) dans une conférence tenue à Dakar sur Islam et Paix en 2015 déclarait ceci. « Comptez le nombre de célébrations religieuses qui ponctuent notre vie quotidienne. Tout en étant le pays le plus religieux du monde, le Sénégal est aussi un des pays les plus tolérants du monde car les adeptes des différentes religions, pour l’essentiel de l’histoire du Sénégal contemporain, ont coexisté de manière pacifique et fraternelle ».
Mais ce modèle sénégalais est mis au défi de la démultiplication et de la circulation des idées et des tendances qui génèrent de nouvelles conflictualités exprimées de manière plus ou moins violente surtout avec la généralisation des réseaux sociaux. Le dialogue religieux est devenu indispensable au maintien de l’harmonie interconfessionnelle et subséquemment de la cohésion sociale qui constitue une valeur refuge face aux crises politiques, sanitaires, économiques environnementales de plus en plus fréquentes.
La mobilisation des religieux musulmans et chrétiens pour renforcer la mobilisation communautaire contre le coronavirus en 2020, ou encore leur rôle de régulateur durant les troubles de mars 2021 démontrent que l’implication multiforme des chefs religieux est consubstantiel au vivre ensemble sénégalais. Le dialogue religieux au Sénégal doit être interrogé sous plusieurs dimensions. L’existence de divers courants dans l’Islam (sunnisme, chiisme, soufisme, mouvements réformistes) et dans le Christianisme (église catholique, églises protestantes, orthodoxes, évangéliques, etc.), et par ailleurs de sous branches interprétatives et communautaristes qui s’affirment par opposition aux autres, pose le défi de dialogues intra religieux souvent plus nécessaires pour la paix et la stabilité du Sénégal.