FAIRE PROGRESSER LES DROITS DES FEMMES, C’EST FAIRE PROGRESSER LE MONDE
Tous les 8 mars, je lis de nombreuses publications d’hommes exprimant leur admiration envers les femmes. Ces publications disent, en résumé, que la vie de leurs auteurs serait beaucoup moins réussie sans l’apport d’une femme, ce qui est fort vrai.
Tous les 8 mars, je lis de nombreuses publications d’hommes exprimant leur admiration envers les femmes. Ces publications disent, en résumé, que la vie de leurs auteurs serait beaucoup moins réussie sans l’apport d’une femme, ce qui est fort vrai.
En même temps, elles dénaturent le vrai objectif du 8 mars qui est la Journée internationale du droit des femmes et non simplement la journée des femmes. Il ne s’agit pas de dire que quand ma femme était absente, j’avais éprouvé des difficultés en nettoyant mon appartement ou en m’occupant des enfants : tel n’est pas l’objectif. Ma mère est une analphabète ; elle ne sait ni lire ni écrire. Elle parle souvent, avec beaucoup de regret, qu’elle n’ait pas eu l’occasion de faire des études, car elle aurait été une excellente étudiante. Quand je lui parle des sujets de la vie, je suis toujours impressionné par la qualité de sa réflexion ; cela me pousse à dire qu’elle est plus intelligente que moi. Encourager les femmes à ne pas abandonner leurs études, à ne pas se croire inférieures aux hommes du point de vue des capacités intellectuelles, permettrait de faire avancer grandement la cause féminine. Pour les parents, c’est donner les mêmes chances à leurs filles qu’à leurs garçons, comme les inscrire dans les mêmes écoles, soutenir et encourager de façon égale leurs ambitions. Quand les femmes étudient mieux, un pays en profite grandement.
Les Nations les plus avancées sont celles où les droits des femmes sont les mieux respectés parce qu’un Etat ne peut se développer en brimant la moitié de sa population. En faisant cela, il se prive de créativité, d’une manière autre de voir les choses et de talents tout simplement. Cela est une transition pour parler de l’importance pour une entreprise d’intégrer les femmes dans son comité de direction. Aujourd’hui, une entreprise dessert plusieurs marchés. Comment réussira-t-elle à faire croître ses parts de marché si elle n’a dans sa direction que des hommes ? Elle perdra en capacité de réflexion originale et de sortir de sa zone de confort. J’ai lu des études affirmant que lors des crises, les entreprises les plus diverses du point de vue du sexe s’en sortent mieux. Pourquoi ? Tout simplement, il y a une diversité de points de vue, les femmes apportent leur sensibilité et leur manière de voir les choses.
Aussi les entreprises créatives intègrent-elles des femmes dans leurs comités de direction, écoutent et prennent-elles en compte leurs points de vue. Il ne s’agit juste pas d’intégrer une ou deux femmes dans son comité de direction pour donner l’impression que nous respectons la diversité, mais de donner la chance à toutes les femmes compétentes d’exprimer leurs talents. Il y a quelques jours, je rentrais du travail. Coincé dans les embouteillages, j’allumai la radio et tombai sur une chanson d’un artiste célèbre. J’étais choqué d’entendre ces propos : «Si tu as réussi, c’est parce que ta mère a travaillé. Si tu as échoué, c’est parce que ta mère n’a pas travaillé.» On impute à la mère l’échec ou la réussite de son enfant, surtout l’échec. Quid du père absent, négligent ? N’est-il pas coupable ?
Il y a parfois dans les propos des Sénégalais un fond de machisme qui impute tous les mauvais comportements d’un enfant à sa mère. J’ai remarqué que le père a une grande part de responsabilité dans l’échec ou la réussite d’un enfant. .
En Amérique du Nord, on dit que les familles noires sont dans un cercle vicieux à cause de l’absence de père, due au taux d’emprisonnement élevé des hommes noirs. Un papa absent ne veut pas dire simplement un papa qui a abandonné ses enfants. C’est aussi un papa qui ne s’occupe pas d’eux, qui néglige leurs besoins. Quand des enfants ont un tel papa, la probabilité de réussite est moindre que celle d’enfants avec un papa aimant, qui leur offre un modèle solide. Je parlais plus haut de l’importance que les filles continuent leurs études.
En parlant à des femmes, j’ai découvert une chose : elles s’absentaient à l’école lors de leurs périodes menstruelles parce que ne pouvant acheter des serviettes hygiéniques. Récemment, je lisais qu’en France, le gouvernement a décidé d’allouer 5 millions d’euros à la lutte contre la précarité menstruelle. C’est un exemple que doit suivre le Sénégal : rendre gratuite la distribution de protection hygiénique.
La conjoncture est difficile au Sénégal. Beaucoup de familles n’arrivent pas à se nourrir convenablement, à plus forte raison acheter à leurs filles des protections hygiéniques. L’Etat a un rôle important à jouer pour résoudre ce problème : en rendant gratuite la distribution de serviettes hygiéniques, il permettra à ces femmes qui s’absentent à l’école lors de leurs périodes menstruelles d’être présentes. Cela contribuera à diminuer l’absentéisme à l’école et l’abandon des études.
En tant qu’hommes, nous devons comprendre qu’il est dans notre intérêt l’autonomisation des femmes. C’est aussi l’intérêt de la société et du monde. Les femmes apporteront leurs points de vue uniques et permettront une meilleure qualité de décision. Certains Etats l’ont compris et avancent beaucoup plus rapidement. D’autres sont encore dans un machisme rétrograde et se privent de l’apport de la moitié de leur population. Le Sénégal doit faire partie du premier lot. Il doit être un pionnier dans la lutte pour les droits des femmes, afin de leur permettre de s’épanouir, d’exprimer leurs talents et potentiels. Il doit, pour cela, faire tout pour les garder à l’école, inciter les entreprises à leur donner leur chance.
Pour nous, hommes sénégalais, nous devons arrêter d’accuser les femmes de tous les maux de la société, de l’échec de nos enfants, les aider à se développer. Cela est dans notre intérêt : les enfants auront tellement plus de chance de réussite si leurs père et mère sont épanouis et leur donnent des exemples inspirants. Faire progresser les droits des femmes dans le monde, c’est faire progresser le monde. Un certain nombre de mesures institutionnelles peuvent et doivent être prises : garder les filles à l’école, leur donner leur chance dans le monde du travail, combattre les plafonds de verre à leur égard. Pour nous, hommes, nous devons arrêter avec ce vieux fond de machisme qui fait des femmes la cause des échecs des enfants.
PS. : Il y a quelques jours, je relisais le roman Une si longue lettre, écrit par Mariama Ba. Je tombai sur le passage suivant : «Quand la société éduquée arrivera-t-elle à se déterminer non en fonction du sexe, mais des critères de valeur ?» Vivement un tel monde !
Moussa SYLLA