COMMANDE PUBLIQUE, UN FOURNISSEUR MET LES PIEDS DANS LE PLAT
Les marchés publics sont aujourd’hui très majoritairement attribués au Sénégal de gré-à-gré, selon Cheikh Malick Ba
De manière lapidaire, la commande publique signifie les marchés de l’Etat attribués aux fournisseurs, aux hommes d’affaires et entrepreneurs nationaux ou étrangers. Censés être attribués essentiellement par appels d’offres, ces marchés sont aujourd’hui très majoritairement attribués au Sénégal de gré-à-gré c’est-àdire après discussion directe entre l’autorité chargée d’attribuer le marché et le fournisseur qu’elle aura choisi ! Et le plus curieux, pour ne pas dire scandaleux, c’est que la quasi-totalité de ces marchés sont remportés par les mêmes fournisseurs depuis 2008. Ce qui exclut de facto la grande majorité des entrepreneurs sénégalais qui, non contents de croupir dans la misère, sont acculés par leurs créanciers bancaires.
Cheikh Malick Ba est dépité. Sous ses airs de dandy, l’homme n’est pas content du régime du président Macky Sall. « Ce qui se passe avec la commande publique n’est pas normal. Il faut dénoncer ce qui pourrait être assimilé à un détournement des marchés publics sous le régime de Macky Sall » éructe le patron de la société Construction et Equipement du Sénégal qui profitait depuis 1987 de la commande publique en tant que fournisseur, prestataire de services et entrepreneur. « Je ne me cache pas, le président Macky Sall sait ce qui je dis et ce que je dénonce. Cette question de la gestion de la commande publique doit être mise sur la place publique » estime-t-il. Et comme pour appuyer ses arguments, Cheikh Malick Ba garde jalousement sur son téléphone des coupures de journaux de nos confrères du journal Les Echosa qui ont évoqué récemment l’explosion des marchés de gré-à-gré. Les marchés publics de gré à gré foisonnent sous Macky Sall.
Selon Les Échos citant la Dcmp (Direction centrale des marchés publics), rien que durant le premier semestre de 2022, 725 marchés ont été passés par entente directe. Ce pour un montant de 474 milliards FCFA dont 396 milliards FCFA de financement extérieur et 76 milliards au titre du budget de l’État. Soit un total de plus de 662 milliards Fcfa. S’agissant des types de marchés, 203 sont des travaux, 352 des fournitures, 63 constituent des prestations intellectuelles et 107 des services courants. Dakar se taille la part du lion avec plus de 653 milliards FCFA de marchés. L’ampleur prise par le gré-à-gré est vivement dénoncée par Cheikh Malick Ba. « Le constat est que la moitié des dépenses de l’Etat consacrées à la commande publique durant le 1er semestre 2022 a été faite par entente directe c’est-à-dire de gré-à-gré » souligne le patron de Construction et Equipement du Sénégal. Or, rappelle notre homme d’affaires oublié de la commande publique, « le principe, c’est l’appel d’offres, l’exception c’est l’entente directe, le gré-à-gré. L’article 76 du Code des marchés n’autorise le gré-à-gré que pour deux cas. Le premier, c’est quand le marché fait l’objet d’un brevet ou d’une exclusivité de création par une seule personne qui peut demander à la Direction centrale des marchés publics (DCMP) l’autorisation de passer un gré-à-gré. Le deuxième cas, c’est quand, après le début des travaux et à la livraison des fournitures, il survient une rupture des biens indispensables à la poursuite de l’exécution du marché. Le deuxième cas est assimilé à de l’avenant. Mais si ces deux cas peuvent exister, le montant total ne peut pas dépasser le 1/3 du montant initial » explique Cheikh Malick Ba. Notre interlocuteur ajoute à ces deux cas, les gré-à-gré qui sont la norme dans le domaine des dépenses de défense pour l’Armée et de sécurité pour la Police et la Gendarmerie. Les donneurs d’ordre peuvent demander les avis de la DCMP qui ne les lient pas.
Des marchés attribués depuis 10 ans aux mêmes personnes !
Mais, ce qui suscite surtout le courroux de Cheikh Malick Ba, c’est le fait que la commande publique soit accaparée depuis 2008 par quelques hommes d’affaires et fournisseurs triés sur le volet. Ces derniers ont les faveurs du régime du président Macky Sall. « Depuis 10 ans, les marchés de la défense et de la sécurité sont attribué aux mêmes personnes. C’est le même cas au niveau des marchés des produits subventionnés de l’agriculture notamment pour les semences, l’engrais et autres intrants comme les machines agricoles. On offre à ces mêmes personnes depuis 2008 ces marchés en gré-à-gré » indique notre interlocuteur dans une grande colère.
A l’en croire, « beaucoup de fournisseurs et entrepreneurs sont exclus des marchés publics dès lors que la moitié des marchés de gré-à-gré sont orientés vers les mêmes personnes depuis 2008. Les Sénégalais qui avaient choisi de travailler avec l’Etat sont déboussolés puisqu’ils ne savent pas faire autre chose. Ils ont bâti toute leur stratégie sur la commande publique. Ces hommes d’affaires, entrepreneurs se sont lourdement endettés au niveau des banques parce qu’ils espéraient obtenir des marchés de la commande publique. Aujourd’hui, la plupart sont poursuivis par les banques parce qu’ils éprouvent des difficultés à rembourser leurs prêts. La dernière difficulté, c’est que ces hommes d’affaires ont des difficultés pour mobiliser les crédits au ministère des Finances parce qu’il faut demander des lignes de crédit pour pouvoir obtenir des titres de créances et de certification.