NOIR.E. DE…
«Xol bou gnoul», «caisse noire», «journée noire», «pain noir», « idée noire», «noir» tout court. Le noir est clairement enfermé dans l’amertume, le ressentiment, le désastre, le malheur.
«Xol bou gnoul», «caisse noire», «journée noire», «pain noir», « idée noire», «noir» tout court. Le noir est clairement enfermé dans l’amertume, le ressentiment, le désastre, le malheur. Parce qu’elles s’inscrivent dans normalités bien ancrées, ces caractérisations qui s’expriment à travers des stigmatisations provenant des sujets concernés et autres, méritent d’être déconstruites.
D’autant plus qu’elles n’épargnent même pas certaines élites civiles ou politiques. L’on a même entendu un leader de l’opposition sénégalaise, en l’occurrence Ousmane Sonko, président de Pastef-Les Patriotes, s’en prendre à un de ses contradicteurs en des mots qui interrogent. « Madiambal ment jusqu’à se carboniser. Il est tout noir à cause de ses mensonges », avait-il indiqué dans une de leurs passes d’armes. Il moquait ainsi la noirceur d’ébène du journaliste-chroniqueur qui certainement est à ses yeux plus que cela, un adversaire à abattre. Et précisément, parce qu’avec un adversaire, tous les coups sont permis, ces derniers en disent beaucoup plus sur la personne qui les distribue. A savoir si elle sait se tenir, si elle est bien éduquée, si tout simplement elle a un code de conduite.
Il reste que le noir n’est pas engageant puisque recouvert de préjugés et de représentations tenaces qui l’abîment dans une obscurité totale. Dans « La Condition noire (Editions Calman-Lévy. Avril 2008) », un ouvrage de référence, Pap Ndiaye, tout récent ancien ministre de l’éducation de France, a retracé la longue odyssée de la couleur noire à travers l’histoire. On y apprend que « la noirceur a fait l’objet de constructions religieuses, philosophiques, anthropologiques, physiologiques, médicales, environnementales, artistiques, destinées à en démontrer le caractère inférieur, néfaste, dangereux ou repoussant. » Il y démontre surtout que, « Dans le cadre de leur expansion coloniale, les Européens ont inventé ce qu’être noir signifiait aux époques moderne et contemporaine ». De même, « Par contraste, la blancheur représentait un indice de normalité et d’universalité ». Aussi, a-t-elle « servi de critère de civilisation ».
Un autre auteur, Tidiane Ndiaye, s’intéressant particulièrement au monde arabe, relève dans son livre, « Le génocide voilé. Editions Gallimard, 2008 », que : « l’importation d’esclaves noirs sur une grande échelle modifiera l’attitude des Arabo- Musulmans envers les hommes à la peau sombre ». C’est pourquoi, « à partir du moment où l’Afrique subsaharienne devint la principale zone pourvoyeuse d’esclaves de la traite orientale, l’homme noir fut synonyme de servitude (…) ». Il souligne ainsi que « l’effet le plus néfaste de l’esclavage dans le monde arabo-musulman-question pourtant largement débattue ailleurs-est la persistance du mythe de l’infériorité liée à la couleur noire. » A ses yeux, cela « explique, au moins en partie, le racisme et le mépris dont les Noirs sont encore accablés dans ces sociétés. » On raconte d’ailleurs que lorsque la Bad (Banque africaine de Développement) a été relocalisée temporairement à Tunis, de 2003 à 2014, suite au déclenchement de la guerre civile ivoirienne née des troubles générés par le coup d’Etat manqué de septembre 2002, il s’est trouvé de nombreux Tunisiens pour découvrir et s’étonner que des Noirs conduisent des « Mercedes ». Une anecdote qui en dit sur la toxicité des préjugés.
Au-delà de ces schèmes de construction, il demeure que le regard porté sur la couleur de peau, par soi et par les autres, dépend des performances exhibées sur la scène du monde. Il suffit pour s’en convaincre, de voir comment, alors qu’elle était pendant longtemps méprisée, enfermée dans la pauvreté la plus crasse, écrasée par la malnutrition, le chômage et le défi d’une population nombreuse, le regard porté sur la Chine d’aujourd’hui, de même que celui des Chinois sur eux-mêmes, a complètement changé. Voilà un pays qui a su « compter sur ses propres forces », se soustraire du joug de l’impérialisme américain, transformer son environnement, maîtriser les problèmes de malnutrition, tout en se payant le luxe de disputer le rang de première puissance mondiale avec les pays occidentaux.
Une situation, malheureusement, aux antipodes de ce qui a cours dans nombre de pays du continent africain à qui on voudrait faire croire qu’ils sont plombés par la « malédiction de Cham* ».
Et pourtant le continent regorge de richesses de toutes sortes, présentant par endroits le visage de ce que les géographes ont appelé des « scandales géologiques », avec des richesses minières non exploitées, si ce n’est celui d’une merveille écologique, avec une faune et une flore à nulle autre pareille.
Aussi, ce qu’il s’est donc passé en Tunisie, au-delà de la dénonciation de l’inqualifiable, pose l’intérêt d’une introspection. Il s’avère pour l’essentiel, que les indépendances n’ont pas apporté les ruptures attendues mais ont plutôt grandement comprimé les espérances, obligeant beaucoup d’enfants d’Afrique à rêver d’un ailleurs plus clément. En faire le constat n’est pas la manifestation d’une haine de soi mais plutôt l’expression d’une lucidité intransigeante.
Il reste à matérialiser les slogans scandés un peu partout, à savoir qu’il est venu « le Temps de l’Afrique ». Le continent africain qui recèle de richesses de toutes sortes a le devoir de changer le regard souvent négatif et méprisant porté sur lui, en mettant en place des institutions fortes qui puissent garantir une justice indépendante, impulser des politiques de bonne gouvernance, imprimer un leadership véritable. Sans nul doute , « si le continent avait vaincu ses problèmes fondamentaux », il serait devenu beaucoup plus attractif pour ses enfants et pour le reste du monde.
Selon le récit biblique, la descendance de Cham, ancêtre des Noirs, aurait été maudite par Noé.