PAS UNE ELECTION, MAIS UN CARNAVAL
La courbe de progression des ambitions électives est en hausse constante. Ainsi, l’élection la plus importante de notre calendrier républicain est pour certains un vaudeville.
Bientôt la fin de la période de récolte des parrainages pour les candidats déclarés à la Présidentielle prochaine. Assurément, les plus de 200 impétrants ne vont pas se présenter devant le Conseil constitutionnel pour déposer fiches et clés USB. Quand on regarde de près la liste de celles et ceux qui se sont rendus au ministère de l’Intérieur pour retirer le fameux document, on est partagé entre surprise et sidération. Non qu’il existerait une quelconque raison d’empêcher l’un ou l’autre d’avoir une ambition, de surcroît pour son pays, mais il y a quelque chose qui relève de la raison et surtout du bon sens. La politique ne peut se départir de la tenue et de la décence. Et en politique comme en toutes choses d’ailleurs il faut, autant que faire se peut, éviter de verser dans le ridicule. Or, ce n’est pas le cas sous nos cieux. Notre démocratie, en construction mais loin de la dictature tropicale que certains politiques et commentateurs décrivent, a charrié environ 300 formations politiques, des millions de présidentiables sur leur canapé et, pour 2024, des centaines d’ambitions plus ou moins saugrenues. Le mal vient de loin et il progresse sous nos yeux. Pour les Législatives 2017, pour un pays d’environ 5 millions de votants, il y a eu une cinquantaine de listes concurrentes et on a dû recourir à un changement express de la loi électorale pour rendre le vote tout simplement possible.
La courbe de progression des ambitions électives est en hausse constante. Ainsi, l’élection la plus importante de notre calendrier républicain est pour certains un vaudeville. On dirait une foire aux curiosités où différentes personnes viennent pour d’aucuns exposer leur ambition, d’autres leur caractère vindicatif et d’autres encore leur penchant pour le ridicule. Un haut fonctionnaire d’une grande sobriété me donnait récemment une explication sur cette flopée de candidatures alors qu’elles n’étaient encore qu’une dizaine. Pour lui c’est l’ego qui est le moteur de ces désirs présidentiels. L’ego conduit souvent à perdre la lucidité ou la modération et pousse certains à se croire habités par un destin qui dépasse de loin leurs capacités. Ici en l’occurrence celui de présider aux destinées de millions de Sénégalais dans un contexte international trouble et plein d’incertitudes. «Une ambition dont on n’a pas le talent est un crime» professait Chateaubriand. Aussi, tout le monde veut être président avec moults promesses, de la plus généreuse à la farfelue, mais combien sont-ils à aimer le pays qu’ils veulent tant diriger ? Comment sont-ils habités par la fibre républicaine ou patriotique qui fait qu’on préfère le Sénégal à sa propre vie singulière ? Combien ont-ils été à souffrir et à agir quand des courants sauvages ont tenté de détruire l’Etat et de renverser un Président démocratiquement élu ? Ont-ils élevé la voix quand on a tenté de diviser les Sénégalais selon leur ethnie ? Quand on a demandé à l’Armée de prendre le pouvoir ? Quand on a incendié l’université et esquissé la danse du scalp autour des flammes ? Quand des mères ont ramassé les corps de leurs enfants dans la rue ? Où étaient ils quand un véhicule a foncé sur des gendarmes à Mbacké ? Qu’ont-ils dit quand un homme politique a accusé la police d’avoir voulu l’assassiner ? Quelles étaient leurs réactions face aux insultes aux magistrats, officiers, hommes de rang, avocats et simples citoyens ? Où étaient-ils quand les consciences gardiennes d’une morale républicaine ont été sommées de se taire pour laisser le discours fasciste le plus répugnant inonder les médias ?
Une revue sommaire des candidats laisse entrevoir plusieurs catégories. Il y a les complices d’un parti depuis dissous, qui ont toléré, salué, encouragé et béni toutes les atteintes à la légalité républicaine et au vivre-ensemble. Ils persistent à créer des cadres et à lancer des initiatives car sans vision ni programme, ils ne peuvent que verser dans du larbinisme politique aux fins de vivre sur la rente de leur «champion» mis ko.
Il y a ceux issus de la majorité. Pendant deux ans, les fascistes ont paradé et tout osé jusqu’à la violence la plus barbare et ces gens n’ont pas daigné prendre la parole pour s’indigner des agressions contre l’Etat du Sénégal et des menaces contre vivre-ensemble. Il se sont cachés, n’ont jamais défendu publiquement les choix et orientations de leur propre gouvernement. Certains ont prétexté des insultes sur les réseaux ou des représailles physiques tandis que d’autres ont gardé le silence et ont disparu, révélant leur loyauté qui n’est effective qu’en temps de «paix» et leur attachement aux privilèges liés à l’exercice du pouvoir plutôt qu’à la République. Ces gens ont choisi la défaite et ont aussi gagné le déshonneur. Or, ce sont des individus qu’on a vu déployer des moyens colossaux à partir du 3 juillet pour faire campagne en leur nom afin d’être choisis pour concourir au suffrage universel. Pour eux, l’Etat qu’ils sont censés servir ne vaut aucun sacrifice, mais leur carrière et leur ambition valent l’usage de moyens matériels et financiers colossaux. Etre républicain est un choix qui a ses risques en temps de trouble. Il s’agit d’un engagement à nouer les fils d’une histoire vieille et grande, belle dans ses victoires et triste dans ses tragédies. Il s’agit de sacraliser ce qui fait de nous un Peuple uni par son attachement à la démocratie sociale, à la liberté sans entrave, à la Nation souveraine et à la laïcité.
Enfin, dans ce carnaval burlesque, arrivent les plaisantins qui cherchent un quart d’heure de gloire sur le dos de la démocratie électorale. Nul besoin de leur offrir du buzz. Seulement dire à leur égard, que les meilleures blagues sont les plus courtes.
Tout ceci rend pertinente la loi sur le parrainage. Il faudra d’ailleurs améliorer le système pour les prochains rendez-vous électoraux, afin de davantage préserver notre démocratie des farceurs et des entrepreneurs du vote.
Enfin, parmi la pléthore de candidatures, il y en a une qui me choque et me révolte. C’est celle de Oumar Touré, plus connu sous le titre usurpé de «capitaine Touré» parce que désormais rétrogradé comme soldat. Pour rappel, l’individu a été radié des armées pour «faute contre l’honneur, la probité et les devoirs généraux du militaire» en juin 2021. C’est ce personnage qui crée un parti et se lance dans la course à la Présidentielle. Le désordre est devenu une norme au Sénégal. Sinon, comment un homme qui a trahi notre pays, violé son serment d’officier, souillé son uniforme de militaire, peut même se permettre d’apparaître en public jusqu’à être invité par les médias ? Un individu, qui a disparu des jours durant alors qu’il était chargé par sa hiérarchie d’une enquête en matière criminelle, avant de réapparaître sur une vidéo Youtube. La lâcheté et la duplicité, le souci d’une gloire personnelle sur le dos de la République et aux dépens du drapeau national, le manquement aux devoirs et au serment fait à ses frères d’armes peuvent-ils sous-tendre l’ambition de devenir chef suprême des armées ? Le pire réside dans ce que cela ne choque pas grand monde. Le problème relève de nous. La faute est collective.