NOUS ATTENDONS LE DIALOGUE SUR L’ÉCONOMIE
Ce n’est pas par des coups de baguette magique que des pays aussi moins dotés que la Suisse, la Belgique, Maurice ou les îles du Cap-Vert peuvent aujourd’hui faire état de l’état d’abondance pour leurs populations.
Bien longtemps après le scrutin présidentiel, le pays devrait accueillir ses premiers barils de pétrole et ses camions de gaz liquéfié au dernier trimestre de l’année, au plus tard. Quand les devises tirées des ventes de ces produits commenceront à rentrer dans l’économie, le Sénégalais moyen se rendra sans doute compte que nous avons basculé dans une autre économie. La question sera alors de savoir si ce basculement fera le bonheur du pays, ou comme on le voit dans la plupart des pays africains, son malheur.
Le Sénégal, malgré tous ses efforts, n’a pas encore pu former une masse critique de personnes qualifiées aux questions du pétrole et du gaz, ce qui fait que sur les plateformes et dans toutes les chaînes logistiques, les compagnies nationales continueront à solliciter les compagnies étrangères. Même dans les domaines des services liés aux hydrocarbures, comme les logements des personnels, leur alimentation, ainsi que plusieurs autres menus services indispensables au confort de ces personnels, les compagnies installées au Sénégal font plus facilement recours à des clients avec lesquels elles sont habituées à travailler. La loi sur le contenu local est facilement contournée, avant même que l’exploitation ne batte son plein. Cela, au vu et au su des pouvoirs publics.
Sur le plan théorique et juridique, le gouvernement du Sénégal a pris tous les textes de lois nécessaires à l’installation d’un réseau de compagnies à même de pouvoir jouer leur rôle pour que les retombées économiques de nos matières premières n’échappent pas aux nationaux. Mais de manière concrète, l’engagement économique des entrepreneurs sénégalais tourne plus au mirage. Avant de parler des hydrocarbures, qui sont un secteur encore peu maîtrisé pour les Sénégalais, on devrait regarder les autres industries extractives. Qu’a fait le Sénégal pour préserver ses parts dans l’exploitation des ressources de son sol, et même de les renforcer ?
Aujourd’hui, notre phosphate va d’abord en Inde avant de nous revenir à des taux prohibitifs. Les Industries chimiques du Sénégal ont été bradées au franc symbolique après avoir été mises en faillite. D’exportateur net de phosphates, le Sénégal est devenu importateur. Cet échec n’est pas le seul. Dans la cimenterie, où l’on cherche à accréditer d’autres opérateurs, il n’y en a qu’un qui soit Sénégalais, si l’on veut. Tous les autres sont à capitaux étrangers. Et puisque l’Etat veut avoir avec eux des rapports mercantiles, il ne leur permet pas de modérer leurs produits de manière à ce que le Sénégalais moyen, qui voit son environnement se dégrader, trouve une certaine consolation dans le prix d’achat de son sac de ciment. Au contraire, comme avec l’or, le zircon ou le poisson, le sentiment général est que l’Etat laisse les étrangers venir piller nos ressources et nous laisser un environnement pollué et appauvri, juste pour les intérêts d’un petit groupe de privilégiés. Il faut que cet état d’esprit change, et l’Etat doit monter en première ligne pour cela.
Les Sénégalais doivent prendre en main l’exploitation de leurs ressources, et surtout, en tirer le plus de bénéfices possible. Ce ne sont pas de vaines incantations qui permettront de réaliser ces ambitions, mais une politique économique concertée. C’est à cela que notre classe politique devrait se sentir interpellée, et organiser un dialogue sur des objectifs atteignables à terme. On peut ne pas être d’accord sur des objectifs politiques, mais tous les acteurs devraient pouvoir s’accorder sur la recherche du bien-être pour une bonne majorité de nos concitoyens. Si nous nous concertons pour mesurer ce dont la nature nous a dotés, nous devrions pouvoir savoir comment nous en servir.
Ce n’est pas par des coups de baguette magique que des pays aussi moins dotés que la Suisse, la Belgique, Maurice ou les îles du Cap-Vert peuvent aujourd’hui faire état de l’état d’abondance pour leurs populations. Les Chaebols, ces conglomérats d’entreprises coréennes, qui sont devenus des géants industriels enviés aujourd’hui partout dans le monde, alors que leur pays était moins riche en 1960 que le Sénégal, n’ont pris cette dimension que parce que leur Etat a décidé, en dépit de toutes autres considérations politiques ou sociales, de les porter à ce niveau. Les Sénégalais, leurs dirigeants en tête, aux côtés de ceux qui aspirent à les diriger, devraient savoir le meilleur chemin à suivre. Nous avons atteint un niveau de maturité politique et intellectuelle qui fait que ce n’est plus acceptable qu’un dirigeant qui arrive au pouvoir cherche à imposer ses orientations sans consultation. Le temps où le pouvoir en place se faisait élire sous le slogan économique du Yoonu yokkuté pour bifurquer après quelque temps et imposer le Plan Sénégal émergent (Pse) envers et contre tous, ne peut plus être. Car, si de nouveaux dirigeants arrivaient à la tête du pays, ils s’empresseraient de les effacer. Il y a donc besoin de concertation, ou de dialogue, ou même d’assises si l’on veut. Pas pour parler de calendrier électoral ou des pouvoirs du Conseil constitutionnel. Il devra s’agir de ne parler que de la vision économique, et des ambitions pour améliorer les conditions de vie des citoyens de ce pays. Mettre en place des choses qu’aucun pouvoir ne viendrait bouleverser pour discréditer ses prédécesseurs. Pour installer le pays sur des voies que la politique ne ferait pas dérailler.