LES ASSURANCES DE PETROSEN ET LES EXIGENCES DE LA MAIRIE
En perspective de l’exploitation du gaz, la Langue de barbarie, avec son parc de plus de 5300 piroguiers, tremble d’inquiétude. Mais les structures étatiques au cœur du processus d’exploitation (prochaine) tempèrent
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En perspective de l’exploitation du gaz, la Langue de barbarie, avec son parc de plus de 5300 piroguiers, tremble d’inquiétude. Mais les structures étatiques au cœur du processus d’exploitation (prochaine) tempèrent : «Les populations ont tendance à souligner les aspects négatifs.» Et pourtant, tous les signaux ne sont pas au rouge si l’on en croit les observations de Thierno Seydou Ly. Le Directeur général de Petrosen exploration- production explique que le gisement du Gta qui se trouve à plus 120 kilomètres des côtes, avec une profondeur de 2850 m, à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, a fini d’émerger de l’eau à travers ses installations. Mais la partie visible de l’iceberg reste la plateforme à 10 kilomètres des côtes. Un hub, protégé par des caissons, au nombre de 21, où le gaz sera acheminé vers des installations flottantes. Pour Thierno Seydou Ly, le briselame, une digue offshore, permet de «ralentir ou d’enrayer l’érosion côtière sur la Langue de barbarie».
La mairie : «Les installations sous-marines, les activités gazières vont dénaturer l’écosystème»
L’autre impact «positif» noyé par les revendications, selon lui, ce sont «les installations pour l’exploitation du gaz qui favorisent le développement de tout un écosystème». Il enchaîne en citant l’exemple de la Norvège. «Un pays qui a décidé de ne plus démanteler des plateformes gazières ou pétrolières en raison de leurs bienfaits sur l’écosystème marin», martèle l’expert chez Petrosen. Malgré ces assurances, les pêcheurs restent submergés de craintes. «Toutes ces installations ne sont pas sans conséquence», prévient Moulaye Mbaye, président du Comité de gestion de l’Aire marine communautaire protégée de Saint-Louis depuis 2017. Il reste convaincu que «les installations sous-marines, les bruits des navires, les activités gazières vont perturber, dénaturer l’écosystème». «Le risque zéro n’existe pas», confirme l’expert Docteur Abdou Gueye qui insiste sur le processus, des activités sismiques au démantèlement en passant par le forage et la production. L’expert, qui suit de près l’évolution du projet Gta, note que «chaque phase peut avoir des impacts spécifiques sur l’écosystème, notamment la biodiversité marine. Celle-ci est caractérisée par la diversité des espèces écosystémiques et génétiques». D’après lui, lors de l’extraction du produit, c’est-à-dire, le premier traitement qui consiste à le séparer des impuretés, «des déchets peuvent être générés et s’ils ne sont pas correctement contrôlés, peuvent contaminer l’eau et les espèces marines». Cependant, observe Dr Gueye, «ce ne sont pas les plateformes elles-mêmes qui causent des dommages, mais plutôt les pratiques industrielles».
Le Sénégal bien armé juridiquement
Face aux risques élevés et potentiels, le Sénégal est bien armé juridiquement, persiste et signe Thierno Seydou Ly. Pour confirmer ses dires, il brandit les codes de l’environnement et pétrolier. «Le dernier cité (pétrolier) de 1998, a d’ailleurs été révisé en 2019 pour rectifier les manquements en la matière». Le Directeur général de Petrosen exploration-production ajoute que les «deux textes permettent, aujourd’hui, au Sénégal de s’inscrire sur la voie des bonnes pratiques de gouvernance mondiale du secteur». Des gages d’assurance de sa part, loin de satisfaire tous les acteurs de la chaîne. C’est le cas de Baye Salla Mbar. Le président de la Commission environnement de la mairie de la ville exprime sa désolation. L’homme, trouvé au pied du pont centenaire, à quelques mètres du rondpoint, indexe la politique Rse (Responsabilité sociétale d’entreprise) de British Petroleum. L’écologiste dénonce les actes posés sur la terre ferme. Selon lui, «même si la Rse est une démarche volontaire, elle reste encadrée». Baye Salla Mbar révèle que «la mairie a voté un budget de 4 milliards 300 millions F CFA pour cette année. Et en faisant le bilan, BP aurait dépensé presque 1 milliard de FCFA». «On ne voit pas la couleur de cet argent», regrette-t-il. Selon lui, la société d’exploitation doit réorienter ses dépenses vers les urgences. Pour lui, BP et ses partenaires misent sur le renforcement de capacité alors que Saint-Louis bute sur des problèmes beaucoup plus sérieux. Il pense aux écoles, aux bâtiments délabrés, ou encore à la santé des populations.
Pêche artisanale et transformation : Les attentes des femmes et la vague migratoire des jeunes
Fama Sarr, la secrétaire adjointe du Comité local de pêche artisanale, abonde dans le même sens que Baye Salla Mbar. Elle avance ses arguments. «Sur la Langue de barbarie, il existe 4 sites de transformation de produits halieutiques. Chaque site compte au moins 200 femmes», renseigne-t-elle. «Et donc, lorsque BP distribue 100 bacs de scellage, c’est 25 par site pour plus de 800 femmes», minimise-t-elle. Sur les allées, entre les baraques de fortune, une dame, la soixantaine, curieuse de notre présence, nous hèle avant de s’approcher. «Je suis venue chercher de quoi amener à la maison car la vie est dure», se plaint-elle. Son regard désemparé, se retrouve dans les chiffres de Mame Fatou Dièye. La vendeuse de poissons résume le calvaire de nombreuses femmes. En cause : «Ses bénéfices journaliers sont passés de 20 000 à 10 000 F CFA et parfois moins.» Mame Fatou Dièye décrit le scénario de la morosité de la pêche à Saint-Louis. Pour elle, si les pêcheurs ne trouvent plus suffisamment de poissons, ne peuvent plus se rendre à Diatara, c’est normal que les transformatrices en pâtissent. Mais on n’arrête pas la mer avec ses bras ! Malgré le pessimisme d’une partie des communautés, la machine de l’exploitation est en branle. BP, Kosmos Energy et les deux compagnies pétrolières nationales, la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen) et la Société mauritanienne des hydrocarbures (Smh) ont déjà fixé le cap d’une production sur 30 ans et pour des revenus globaux estimés à 20 000 milliards de F CFA. Le nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye s’engage à faire des ressources d’hydrocarbures, un vecteur équitable de développement socioéconomique. Dans cette dynamique, Pape Diagne, habitant de Santhiaba, pose le débat de la formation des jeunes dans le domaine pétrolier et gazier. «Ils tentent la migration irrégulière parce que les prémices de l’exploitation ne font pas rêver. Donc, il faut plus communiquer et ouvrir des perspectives pour eux», réagit l’homme qui travaille dans une boite de la capitale sénégalaise.
D’ici les premiers barils espérés avant la fin de l’année, à Saint-Louis, la pêche nage dans les eaux troubles. De jeunes pêcheurs sont emportés par les vagues dramatiques de la migration clandestine. Et les femmes, plus de 592 000 (Ansd) de la population locale, la plupart transformatrices, sont noyées dans des doutes. Pour le moment, elles ne voient ni la couleur de l’argent de la pré-exploitation (pas suffisamment) et ne sentent ni l’odeur du gaz.