DIOMAYE CASSE TOUT
En décidant de stopper les chantiers sur les corniches, le président de la République entend préserver le littoral dakarois. Pourtant, ni l'administration ni les ayants droit ne semblent avoir été dûment informés. Une démarche qui interroge
Même si l'intention est "noble", la démarche pose de sérieux problèmes quant à la légalité et à l'équité.
Robert Mugabe s'était levé un jour et avait instruit de récupérer les terres agricoles détenues par des Blancs. Diomaye s'est levé un jour et a instruit de faire cesser tous les travaux sur les corniches Ouest et Est de Dakar jusqu'à Guédiawaye. On aurait mis le conditionnel, si ce n'était pas la sortie du patron de la Direction de la surveillance et du contrôle de l'occupation du sol (Dscos).
En effet, dimanche dernier, dans l'émission "Point de vue" RTS1, Pierre Goudiaby Atépa avait pris beaucoup de Sénégalais de court, en annonçant que le président Diomaye avait suspendu les chantiers sur les corniches de Dakar. "Au moins, ils ont fait arrêter toutes les constructions sur le littoral, sur la corniche, depuis avant-hier", réjouissait le président du Club des investisseurs sénégalais, qui n'a pas manqué de rappeler au Premier ministre Ousmane Sonko sa promesse "de tout raser, s'il devient président de la République".
La mesure, pour la plupart des Dakarois, est salutaire. Mais pour ce qui est de la manière, il y a énormément à dire. Le plus bizarre, c'est que ce n'est ni la présidence qui informe les Sénégalais ni aucun de ses démembrements. À la place, c'est un homme d'affaires qui, lui-même, est accusé d'avoir fait plusieurs affaires sur la corniche qui est monté au créneau pour vendre la mèche. Pendant ce temps, ils étaient nombreux les fonctionnaires concernés par la mise en œuvre de la mesure, mais qui n'étaient pas eux-mêmes informés. Certains ne l'ont appris qu'hier, à travers la presse qui a largement repris le célèbre archi-tecte. Ce haut fonctionnaire témoigne : "La manière de procéder pose véritablement problème. On dirait un club. Les gens s'enferment entre quatre murs, arrêtent des mesures, sortent et font des déclarations. Cela est source d'un vrai malaise dans l'Administration", regrette-t-il.
Triomphant, Atépa, lui, estime qu’un jalon important a été posé. Il faudrait maintenant aller bien plus loin, en démolissant tout simplement ce qui doit l’être. Tout en atténuant le propos de Sonko en reconnaissant que tout ne peut être démoli, il donne les exemples du Maroc et de la Côte d’Ivoire, pour montrer qu’il est bien possible de rendre la plage aux populations. “Le roi du Maroc a fait détruire 400 immeubles qui étaient sur le littoral. Plus proche de nous, Alassane Ouattara a aussi dégagé ce qui devait l’être. Il faut juste avoir le courage de le faire”, souligne-t-il, non sans préciser que pour les hôtels, il faut miser sur des aménagements concertés.
Un haut fonctionnaire : “On dirait un club. Les gens s’enferment, prennent des mesures et sortent pour faire des déclarations.”
Patron de la Dscos, Papa Saboury Ndiaye, lui, semble bien avoir été mis au parfum. Sur Seneweb, il est revenu avec on ne peut plus de détails sur cette affaire. À ce stade, estime-t-il, il n’est pas question de démolition, mais plutôt d’une mesure conserva- toire en attendant de faire l’état des lieux. “On n’a encore rien démoli. Mais par mesure conservatoire, les travaux sont arrêtés pour permettre à tous ceux qui sont en train de travail- ler de s’arrêter un moment et permet- tre de faire le point”, a précisé le colo- nel Ndiaye. Aux confrères de Seneweb, il a expliqué que “les auto- rités veulent d’abord éplucher les documents de ceux qui y construi- sent, savoir comment ils leur ont été délivrés, ceux qui leur ont délivré les documents et la nature des construc- tions”. Seront concernés tous les tra- vaux situés sur la corniche-Ouest, la corniche-Est et la bande des filaos. Il a rappelé que “la corniche-Ouest commence au Cap manuel, s’étend sur Terrou-bi, la mosquée de la Divinité, l’hôtel King Fahd Palace, la plage de la BCEAO jusqu’à celle de Diamalaye. La corniche-Est, elle s’étend du Cap manuel à la plage longeant la route de Rufisque, en passant par l’ambassade de France, le palais présidentiel et le port”.
Mais où est donc l’acte administratif sur lequel repose cette suspension des chantiers sur le littoral ? Quand et où a-t-il été pris par les autorités ? Les titulaires de titres ont- ils reçu notification de cette suspension ? “EnQuête” a tenté de joindre le patron de la Dscos, mais en vain. Quoi qu’il en soit, le procédé fait en tout cas jaser jusqu’au sein de l’Administration, où certains fonctionnaires décrient la manière qui a été utilisée pour les informer.
De la nécessité d’encadrer la mesure
De l’avis de certains juristes, l’abus n’est pas à discuter dans cette affaire. “Même si le président a le pouvoir de prendre ce type de décision, il ne peut pas se lever un jour et le décréter de manière aussi informelle. On ne peut pas prendre une telle décision sans l’encadrer. Ça pose un véritable problème”, indique ce spécialiste du droit immobilier.
De plus, insiste-t-il, une telle mesure doit être encadrée non seule- ment dans le temps, mais aussi dans son objet. “Ces gens ne se sont pas levés et sont venus construire sur le littoral. Ils sont titulaires d’un droit plus ou moins établi. Et générale- ment, c’est la même Administration qui leur a donné ces titres sur la base de la même législation. Au nom de quoi on va leur dire que leurs titres sont illégaux ? C’est trop léger, à mon avis, au-delà de la manière qui pose véritablement problème dans un État de droit”.
Il aurait été plus judicieux, selon nos interlocuteurs, de mieux encadrer la mesure, “par exemple, en visant un certain type de logements, être plus précis sur la distance concernée par rapport à la mer, quel genre de construction... Il faut égale- ment déterminer de quel titre on parle : les baux, les titres fonciers ou des occupations sans droit ni titre”, commentent nos interlocuteurs non sans reconnaître la pertinence de s’intéresser à ce qui se passe dans le secteur.
Divergences autour de la légalité de l’occupation
Au-delà de la mesure portant sus- pension des travaux sur le littoral, le débat porte aussi sur le caractère légal ou non de l’occupation du littoral. Sur cette question de l’occupation du littoral, les juristes sont divisés. Alors que certains invoquent la loi sur le droit public maritime pour soutenir qu’on ne doit pas y ériger des constructions autres que celles qui peuvent être enlevées facile- ment, d’autres rappellent qu’il est bien possible de déclasser ces terres et de les verser dans le domaine de l’État. “Si l’État est dans une logique de considérer ces constructions comme étant illégales, la question qui se pose serait de savoir s’il peut faire du deux poids, deux mesures. Il va devoir soit tout démolir soit tout laisser” tient à prévenir ce spécialiste du droit immobilier.
L’autre option, c’est d’exproprier pour cause d’utilité publique, tout en indemnisant les personnes victimes d'expropriation. Ce qui risque de lui coûter des milliards de francs CFA. Notre expert explique : “Le risque, c’est de se retrouver avec des plain- tes devant les tribunaux. Je pense qu’il n’y avait aucune urgence. L’État pouvait se prémunir en faisant les choses convenablement, comme cela se fait dans un État de droit. Il devait sommer les gens de présenter les titres dont ils disposent. Ensuite, s’il y a lieu, saisir la justice pour se prononcer sur la légalité ou non de ces titres. Dans un État de droit, l’État doit également se soumettre aux lois et règlements.”
En attendant d’en savoir plus sur cette mesure de Diomaye, certains se préoccupent des dommages qui risquent d’être causés aux occupants. Généralement, ces derniers contractent des dettes auprès des banques pour la mise en œuvre de leurs pro- jets. “Certains doivent revendre, rembourser leurs prêts... Ce serait injuste de les faire payer, d’autant plus que la plupart ne sont responsables de rien. Il faut savoir qu'en général, ceux qui spolient, ce sont les gens de l’Administration. Pas ceux qui construisent. Les gens sont là après une, deux ou troisième revente parfois. C’est des gens qui, souvent, achètent de bonne foi.”
Aussi, notre source, la mauvaise foi ne se présume pas. “La bonne foi, en toute chose, elle est présumée ; tu ne peux pas te lever et dire que la personne est de mauvaise foi”.
Atépa mouillé dans l’occupation du DPM
Dans sa sortie sur la RTS1, Pierre Goudiaby Atépa a dénoncé l’appropriation privative du littoral par quelques privilégiés dans des conditions scandaleuses. Il revient sur le procédé : “On l’achète à 2 450 F le m2 ; on se fait octroyer un bail ; on prend le même terrain, on s’organise pour le faire déclasser et le transformer en titre foncier. Ils prennent ce titre, ils l’amènent à la banque. La banque leur donne l’équivalent d’au moins un million de francs CFA le m2. Ils le revendent à 1,5 million le m2. C’est scandaleux”, dénonce-t-il. Pour lui, l’État devrait démolir ce qui doit l’être, pour le reste, mettre en place des taxes qui devraient revenir à la municipalité. “Nous avons suggéré des taxes de privilège sur le littoral. Quand vous faites un immeuble avec vue sur la mer, les locations ou ventes sont augmentées d’au moins environ 30 % qui reviennent à la municipalité”, a-t-il expliqué, non sans insister que “le domaine public maritime appartient à tout le monde”.
De l’avis de ce haut fonctionnaire, il y a certes une part de vérité dans ce que dit l’architecte. Seulement, ajoute-t-il, il faut aller jusqu’au bout en cherchant qui a vendu ces terrains sur le littoral. “En tant que journaliste, allez chercher qui a vendu l’hôtel Azalai à ses actuels propriétaires ; aller voir qui a vendu une partie du Terrou-bi ; allez voir qui a vendu la cité Yérim Sow ; allez voir qui est derrière la cité Atépa ; allez voir qui a construit sur la bande des filaos à Guédiawaye...”, interroge-t-il dans une allusion à peine voilée. Par ail- leurs, notre interlocuteur qui s’interroge sur le projet de l’architecte rappelle que la plupart de ces terrains ont été vendus sous Wade, pendant qu’il était son conseiller.