LE DÉSASTRE MÉLENCHON
Quelle bienveillance le Sénégal pourrait-il espérer de la France que son Premier ministre pourfend publiquement et offre une tribune officielle à un opposant que Macron ne voudrait pas voir même en peinture ?
L’invitation de l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon au Sénégal par le Premier ministre Ousmane Sonko est, on ne peut plus, inopportune. Ousmane Sonko a certes tenu à faire savoir que l’invitation a été servie à un allié politique, peut-être un «camarade», au titre des relations internationales de son parti politique Pastef. On aurait pu accepter cette façon de présenter les choses, si tant est qu’avant le jour de la visite, Pastef et les «Insoumis» aient entretenu des relations suivies ou de compagnonnage sur la scène internationale, ou que Ousmane Sonko eût rencontré Jean-Luc Mélenchon ou au moins aurait eu à lui adresser une invitation ou une quelconque missive. Il n’y a rien de tout cela. Cette invitation était tombée comme une surprise qui s’est révélée finalement être une bien mauvaise initiative pour le Premier ministre du Sénégal et son camp politique. Il faut dire que c’est de tout bénéfice pour Mélenchon qui ne détient même plus de mandat électif, mais c’est à l’opposé une grosse bourde pour son hôte.
Après quelques dictatures finissantes d’Amérique du Sud, d’autres autorités officielles d’un pays trouvent Mélenchon fréquentable pour l’inviter et lui dérouler le tapis rouge. Que le Sénégal se mette sur la même ligne politique et diplomatique, montre l’étroitesse d’ambition de nos dirigeants ! Cette invitation a pu donner à Jean-Luc Mélenchon dont la cote de popularité s’est dégradée dans son propre parti «La France Insoumise» et encore plus dans l’establishment politique de son pays, une tribune dans une prestigieuse université pour faire son show. Il a pu chercher à séduire un électorat d’origine africaine vivant en France. On relèvera néanmoins qu’il s’est gardé fort sagement de lancer des diatribes ou des piques à Emmanuel Macron. En effet, une tradition bien ancrée dans l’esprit des hommes politiques français est de ne point s’en prendre aux dirigeants de leur pays à partir de l’étranger. Sans doute, les nouvelles autorités sénégalaises en apprendront une leçon. Par contre, Ousmane Sonko n’a pas eu la même retenue, le tact ou la convenance. Dans un élan de provocation, il s’est permis de pourfendre la politique de Emmanuel Macron, sous les applaudissements de ses partisans. La France appréciera. Serait-il nécessaire de lui rappeler que le chef de l’Etat français ne saurait être son alter ego ou son interlocuteur ? Résultat des courses ?
Le Sénégal a tout à perdre dans cette opération
Ousmane Sonko a, de tout temps, pourfendu les relations de proximité de nos dirigeants avec leurs homologues francais. Il a considéré cela comme une certaine inféodation. Un tel discours d’opposant n’est pas nouveau en Afrique, où la «Françafrique» a été dénoncée avec beaucoup de commodité, par tout opposant qui se voudrait tant soit peu «panafricaniste» ou soucieux des intérêts des peuples africains. Une fois arrivés au pouvoir, les dirigeants de Pastef s’empressent d’afficher leur proximité avec d’autres milieux politiques français. Cela donne raison à Léopold Sédar Senghor qui rétorquait malicieusement à son opposant Cheikh Anta Diop que «chacun a son Français et, à l’occasion, sa Française». Toute une histoire !
Dans le cas d’espèce, on devra noter que le Sénégal ne saurait, dans l’immédiat, tirer un trait de plume sur ses relations avec son premier partenaire économique, la France. Quelle sera alors la posture du gouvernement de Ousmane Sonko devant les autorités officielles françaises pour discuter de partenariat, encore que, c’est assurément le Sénégal qui se trouve dans une posture d’avoir besoin, de manière urgente, de la France, et non le contraire.
Quelle bienveillance le Sénégal pourrait-il espérer de la France que le Premier ministre pourfend publiquement et en offrant une tribune «officielle» à un opposant que le président Macron ne voudrait pas voir même en peinture ? On sait les mesures de représailles que le gouvernement français avait appliquées contre le Sénégal, après l’audience que le président Macky Sall avait accordée à Marine Le Pen, leader du Rassemblement national, en janvier 2023. Pourtant, le régime de Macky Sall était réputé avoir de meilleures relations avec les «macronistes» que l’actuel tandem Diomaye-Sonko. Macky Sall avait été brièvement visité par un esprit de souverainisme ! La France de Macron qui avait retenu après cet épisode, une partie de l’aide budgétaire accordée au Sénégal, se ferait-elle violence ou ferait-elle preuve de transcendance jusqu’à faire, pour le nouveau gouvernement, notamment sur le traitement des questions comme le service de la dette ou de nouveaux financements ou encore un portage des préoccupations du Sénégal devant les institutions de Bretton-Woods, plus qu’elle n’avait fait pour Macky Sall ? Plus que jamais, le Sénégal aura besoin, dans les semaines à venir, du soutien des administrateurs français au Conseil d’administration du Fonds monétaire international. Il n’est pas sûr qu’ils prendront leurs instructions de JeanLuc Mélenchon ! Si Ousmane Sonko voulait faire de la provocation ou un pied de nez à Emmanuel Macron, il risque de l’apprendre à ses dépens.
Le président de la République, quant à lui, semble rester dans une certaine «normalité» et continue de dire à qui veut l’entendre qu’il souhaite avoir des relations normales avec la France.
Bassirou Diomaye Faye n’a pas reçu Mélenchon
Les péripéties de la visite de Jean-Luc Mélenchon à Dakar révèlent-elle une certaine cacophonie ou une dualité au sommet de l’Etat entre le Premier ministre Ousmane Sonko et le président de la République Bassirou Diomaye Faye ? Le chef de l’Etat n’a pas rencontré le «grand invité», qui a passé quatre jours au Sénégal, du 14 au 18 mai 2024. En tout cas, personne n’est au courant d’une telle audience. Cela apparaît comme une incongruité aux yeux de nombreux observateurs. Est-ce un partage des rôles entre le Président et son Premier ministre, lequel resterait sur le terrain du populisme tandis que le chef de l’Etat garderait les bonnes convenances diplomatiques ? Jusqu’où grand monde s’y tromperait longtemps ? De toute façon, la visite de Jean-Luc Mélenchon a suscité une polémique fort préjudicielle pour l’image du Premier ministre Sonko. Sa «tolérance» affichée pour la cause Lgbt jure d’avec ses déclarations antérieures. Il a toujours bâti sa propagande politique en promettant de lutter farouchement contre la franc-maçonnerie et l’homosexualité. Ousmane Sonko et ses partisans accusaient le régime du Président Macky Sall de faire la promotion de telles contre-valeurs sociétales au Sénégal. D’ailleurs, avaient-ils embarqué dans cet élan bien des milieux religieux. L’invitation à Jean-Luc Mélenchon et surtout son discours plaidant la cause Lgbt, a sonné comme un reniement de leurs professions de foi.
Devant le président américain Barack Obama, Macky Sall avait été sans ambiguïté pour le refuser. L’autre point négatif de l’initiative de Ousmane Sonko aura été qu’un Premier ministre qui se trouve dans une situation de faire face aux plus grandes urgences de sa déclaration de politique générale ou de tenir ses promesses de réduction du coût de la vie ou même d’organiser les services de l’Etat, préfère trouver du temps pour recevoir un invité qui ne représente pas un gouvernement et deviser sur des questions idéologiques. En effet, les priorités devraient être à autre chose, comme finaliser le fameux Projet, vendu en rêve aux Sénégalais et au moins de finir de s’installer et de prendre en main les affaires de l’Etat, avant de s’occuper à animer des conférences publiques.
Ousmane Sonko souffrirait-il tant que Bassirou Diomaye Faye soit actif sur la scène internationale alors que lui-même n’y soit pas encore visible ? Est-ce la raison pour laquelle le Premier ministre qui n’a pas encore daigné visiter l’intérieur de son propre pays, voudrait faire de la «diplomatie», au titre de son parti politique et ainsi a-t-il encore annoncé un déplacement à l’étranger pour visiter des régimes putschistes au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et au Niger ? Ironie de l’histoire, il n’aura pas le prétexte de prétendues relations entre partis politiques à entretenir dans ces pays. A ce que l’on sache, ces régimes ne s’appuient guère sur des formations politiques mais sur la puissance de feu de leur artillerie contre leurs populations ! Au demeurant, devrait-on lui enseigner que la diplomatie reste l’un des domaines les plus réservés du président de la République ? A ce rythme, il sera difficile de ne pas croire à une ambiance de rivalité ou de compétition entre le Premier ministre et le président de la République… Ce serait bien très prématuré, il faut le dire !