OUMAR DIÉMÉ, DE L'INDOCHINE AUX JEUX DE PARIS
Ce personnage originaire du Sénégal et rescapé des guerres de décolonisation, s'apprête à vivre un moment d'une intense émotion. À 92 ans, il sera le porteur de la flamme olympique en hommage à son engagement comme tirailleur sénégalais
(SenePlus) - À 92 ans, l'ancien tirailleur sénégalais Oumar Diémé verra son destin s'accomplir d'une manière inespérée. Lui qui a survécu aux affres des guerres coloniales meurtrières menées par la France en Indochine et en Algérie portera la flamme olympique à son passage dans le département de la Seine-Saint-Denis fin juillet, peu avant les Jeux Olympiques de Paris, rapporte l'Agence France-Presse.
Dans son village natal de Badiana, au sud du Sénégal, Diémé voit cette perspective comme "un miracle". Elégant dans son boubou vert olive, médailles et décorations épinglées sur la poitrine, il songe à ses "collègues" tombés au combat. "Beaucoup sont restés. D'autres sont revenus mutilés (ou) ne sont plus", confie-t-il, silhouette menue surmontée du calot bleu arborant son grade de sergent.
"Je suis le seul rescapé. Le choix de ma personne est un miracle", affirme ce vétéran des tirailleurs sénégalais, ce corps d'armée colonial créé en 1857 et dissous dans les années 1960. Une vingtaine d'hommes de Badiana l'ont intégré, avec des fortunes diverses.
Engagement en Indochine et en Algérie
Oumar Diémé s'est engagé le 6 mars 1953, après avoir fui la Gambie voisine où son père voulait en faire un imam comme lui. Les recruteurs lui ont attribué 20 ans, faute d'état civil précis. La même année, il s'est porté volontaire pour l'Indochine, où la France coloniale affrontait le Viet Minh. "Les gens revenaient avec des médailles, ça me plaisait", se remémore-t-il. Là-bas, 22 de ses camarades sont tombés dans une embuscade sous ses yeux.
De retour brièvement au Sénégal, Diémé est reparti en 1959 pour la guerre d'Algérie, apprenant l'indépendance de son pays en 1960. Rapatrié, il a été reversé dans l'armée sénégalaise, prenant sa retraite à 36 ans. Employé à l'université de Dakar puis coursier à la banque jusqu'en 1988, il s'est ensuite établi en France.
"Un travail de mémoire indispensable"
"C'est un beau symbole, encore plus aujourd'hui avec l'actualité difficile et la banalisation du racisme, cela permet de montrer la richesse de la France", souligne Aïssata Seck, présidente d'une association à Bondy pour la mémoire des tirailleurs. Elle a contribué au choix de Diémé comme porteur de la flamme.
Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, parle d'"un travail de mémoire indispensable" car "les tirailleurs sénégalais ont trop longtemps été les oubliés de notre mémoire collective".
Diémé et d'autres anciens tirailleurs ont dû se battre contre l'État français pour obtenir la nationalité. En 2023, le gouvernement leur a accordé le droit de toucher leurs pensions de 950 euros sans obligation de résider une partie de l'année en France.
Aujourd'hui, Oumar Diémé, père de nombreux enfants, "alterne entre son village natal, où il construit une vaste maison, et la capitale où vit une de ses deux épouses", précise l'AFP. "Je suis très heureux d'être au milieu de ma famille. En France, j'étais enfermé dans 17m2", se réjouit ce nonagénaire au "visage radieux".