MARCHANDS AMBULANTS, CETTE HYDRE À MILLE TETES
Si la crise casamançaise entretenue par le MFDC est le plus ancien conflit armé encore en activité en Afrique, l’occupation anarchique des rues de Dakar par les marchands ambulants constitue, elle, la plus vieille rébellion urbaine
Si la crise casamançaise entretenue par le Mdfc est le plus ancien conflit armé encore en activité en Afrique, l’occupation anarchique des rues de Dakar par les marchands ambulants constitue, elle, la plus vieille rébellion urbaine. Régulièrement chassés des rues et trottoirs de la capitale, les vendeurs ambulants entrent à chaque fois en rébellion contre les forces de l’ordre avant de retourner dans les rues et trottoirs qu’ils squattent. Toujours est-il que, pour des raisons purement électoralistes, l’ancien maire de la ville Khalifa Sall comme celui de Dakar-Plateau Alioune Ndoye auraient laissé pourrir ce dossier des ambulants…
Dakar a mal, vraiment mal de son désordre et son anarchie. Si ce ne sont pas des marchands ambulants qui squattent ses trottoirs, des particuliers qui construisent sans titre, ni autorisation dans des zones non aedificandi, ce sont des populations qui érigent des bidonvilles voire des ghettos dans le domaine public. S’ils n’y élèvent pas tranquillement des moutons et des vaches! Il est temps de prendre des mesures concrètes pour venir à bout de cette pagaille généralisée qui balafre le visage de la capitale. Et pour que Dakar, qui fut la coquette capitale de l’Afrique occidentale française (Aof), retrouve son lustre d’antan c’est-à-dire redevienne une sorte de Paris du 16e siècle où il fasse bon vivre et circuler. Justement, cette ré-urbanisation de Dakar, une ville qui a fini de se ruraliser depuis des lustres, c’est ce qui motive le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, le général Jean Baptiste Tine. C’est aussi le sens de sa circulaire adressée aux autorités administratives (gouverneurs, préfets et sous-préfets) et dans laquelle il leur demandait de procéder à des opérations de désencombrement de la voie publique. En recevant les représentants des commerçants récalcitrants et des populations riveraines du marché de Colobane, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui s’était auparavant rendu dans ce dernier marché symbole du désordre, a appuyé son ministre de l’Intérieur dans la lutte contre l’occupation anarchique des principales artères de la capitale. Après avoir promis des mesures d’accompagnement visant à réinstaller ailleurs les marchands tabliers et vendeurs « ambulants » — en réalité statiques ! — de Colobane, le chef du gouvernement avait assené face à ses interlocuteurs ses vérités sans démagogie électoraliste. « Nous ne laisserons personne occuper les espaces publics d’une manière anarchique. Nous sommes dans un pays qui a toujours subi de nombreuses pressions dans tous les domaines. Notre gouvernement ne va pas accepter cela parce que nous ne sommes dans pas dans une dynamique électoraliste. Un mandat relève de l’ordre divin… » avait fait savoir fermement le Premier ministre aux artisans de l’occupation anarchique de nos voies et places publiques.
Le syndrome des émeutes de Sandaga !
Une anarchie qui ne cesse de gagner du terrain et de l’ampleur à Dakar. Laquelle est sans doute la seule capitale au monde qui ne dispose pas de trottoirs ! Les rares opérations de désencombrement effectuées par les différents maires de la ville, en particulier Khalifa Sall, Mme Soham Wardini et Barthélémy Dias ainsi que le maire de DakarPlateau Alioune Ndoye n’ont jamais servi à grand-chose ! Elles se sont toutes heurtées à la « résistance » des marchands ambulants qui menaçaient de rééditer l’opération « Dakar en flammes » ou la révolte des vendeurs-tabliers. La preuve par les émeutes de Sandaga en 2008 où des marchands déguerpis avaient saccagé des magasins, vandalisé des édifices publics et incendié des voitures. Face à ces actes de banditisme injustifiables, l’Etat, au lieu de réprimer, avait reculé pour, en fin de compte, dérouler le tapis rouge à ces hors-la-loi. Ainsi était né le syndrome redouté des « révoltes de marchands ambulants ». Une crainte doublée d’une faiblesse coupable de l’autorité étatique ou municipale et due à des calculs politiciens voire électoralistes. D’ailleurs, pour mieux amadouer voire domestiquer dans Dakar-Plateau les marchands ambulants, venus dans leu écrasante majorité du monde rural, la mairie de Dakar avait investi plus de 10 milliards FCFA pour leur recasement. Rien que les centres commerciaux de Kermel et Félix Eboué avaient coûté environ 6 milliards FCFA. Des investissements qui n’ont servi à rien dès lors que chaque année les marchands ambulants se multiplient par cycle et par génération. Un véritable tonneau des Danaïdes tellement toute opération de recasement ou de formalisation des marchands ambulants se transforme en appel d’air pour des milliers de ruraux ! Il convient de se demander d’ailleurs comment on peut investir autant d’argent pour satisfaire une corporation qui a choisi d’évoluer en marge de la loi et de toutes les règlementations édictées. Mais surtout d’occuper les artères et places publiques tout en entravant la circulation des personnes et des biens.
La mairie de Dakar avait sans doute oublié que le problème des marchands ambulants est un phénomène naturel qu’aucune ville au monde ne peut régler. Même la mairie de Paris avec son gigantesque budget estimé à plus 500 milliards cfa n’imaginait pas une seconde régulariser la situation des émigrés ambulants qui avaient commencé à envahir les rues de la capitale française, encore moins les recaser. Au contraire, pour des raisons d’ordre sécuritaire et sanitaire, elle a choisi la méthode forte pour réprimer ou punir toute personne occupant illégalement la voie publique. La Police — notamment les CRS — a fait son travail de la manière la plus ferme qui soit et c’était tout ! Pendant ce temps, au Sénégal, on négociait avec lesdits ambulants qui faisaient monter les enchères et multipliaient les menaces. Le maire de Dakar-Plateau, Alioune Ndoye, dit avoir tout fait en termes de diplomatie à l’endroit des marchands ambulants. « Cela aucun maire ne l’a jamais fait ! Face à ces violences, nous continuerons ces opérations jusqu’à ce que l’État nous ordonne officiellement d’arrêter » a-t-il déclaré la semaine dernière lors d’une conférence de presse. Au cours de celle-ci, il a réitéré sa ferme volonté de désencombrer les rues de Dakar et de faire déguerpir les marchands ambulants qui les squattent. Une détermination que tout Dakarois salue et approuve car soucieux de retrouver sa belle capitale d’antan.
Une chose et son contraire !
Le maire Alioune Ndoye a juste dû oublier une chose, à savoir qu’il a, lui-même, contribué à l’installation de cette pagaille des ambulants dans sa propre commune. Souvenez-vous lors des élections locales de 2022, le maire sortant Alioune Ndoye avait été accusé par des membres « rebelles » de sa propre coalition (Bby) appuyés par le candidat de Pastef Abasse Fall d’avoir procédé frauduleusement à des transferts d’électeurs composé de marchands ambulants venus d’autres contrées du pays. « Je n’ai jamais vu un ministre de la République descendre aussi bas pour des questions de privilèges et d’autorité. Alioune Ndoye reste dans sa mairie en signant des certificats de résidence, et déclare qu’il est le seul à pouvoir signer ces documents-là, mais aussi le seul à les délivrer » avait dénoncé Abass Fall de Pastef. Des accusations démenties et démontées par le maire Alioune Ndoye finalement réélu de justesse ! En tout cas, si ces accusations de l’époque étaient avérées, on pourrait dire que l’actuel maire de Dakar-Plateau voulait hier une « Chose » et son « Contraire » aujourd’hui où il n’y a pratiquement plus d’enjeux électoraux à l’égard des « électeurs » ambulants de Dakar. Il faut dire que lesdits marchands ambulants ont toujours constitué un enjeu électoral de taille dans la ville de Dakar. On se rappelle que, lors de l’élection présidentielle de 2000, le maire de l’époque de Dakar-Plateau, Abdoulaye Makhtar Diop, avait braqué ces derniers lorsque la question de tenir le second tour de la présidentielle — qui devait tomber le lendemain de la Tabaski, s’était posée. L’actuel Grand-Serigne de Dakar avait dit que date ne pourrait être mieux choisie puisque coïncidant à une période où tous les ambulants de Dakar seraient dans leurs villages en train de fêter la Tabaski ! Sous-entendu : ce sera autant d’électeurs en moins pour le candidat de l’opposition, Me Abdoulaye Wade. Lequel, après son élection comme président de la République, ne manquait jamais d’instrumentaliser lesdits marchands ambulants à chaque fois que le maire de la capitale, le socialiste Khalifa Sall, voulait les faire déguerpir. Pour des raisons électoralistes, il leur demandait de « résister » !
L’ex-conseiller municipal Cheikh Sall approuve, mais déplore !
Justement, à propos des marchands ambulants, « Le Témoin » s’est rapproché d’un natif de Dakar-Plateau. Il s’appelle Cheikh Ahmed Tidiane Sall et fut coordinateur de l’opposition sénégalaise en France pour le départ du président Macky Sall et ancien conseiller municipal à la mairie de Dakar-Plateau. Ce phénomène des « ambulants », Cheikh Sall dit vouloir l’analyser avec du recul en évitant tout positionnement politicien. « C’est un phénomène qui a été causé par l’exode rural, mais également des années de sécheresse et des conditions de vie précaires qui ont poussé ces populations à migrer vers les villes abandonnant les campagnes. Il faut également indexer la responsabilité des différents régimes qui se sont succédé au pouvoir sans réellement mettre en place des politiques publiques capable d’endiguer le fléau des marchands ambulants. C’est un phénomène qu’il faut régler avec humanisme car on ne peut pas déguerpir du jour au lendemain sans des mesures d’accompagnement des gens qui sont dans une précarité et qui survivent grâce à leurs revenus journaliers tirés de leur activité de marchand ambulant » explique notre interlocuteur. Et Cheikh Sall d’ajouter : « A la décharge du maire Alioune Ndoye, force est de reconnaître qu’il doit agir pour le bien-être des populations du Plateau. C’est de notoriété publique que les riverains sont impactés négativement par les activités des marchands ambulants. Et depuis 2009, Alioune Ndoye, en tant qu’édile de DakarPlateau, et aussi Khalifa Sall, comme maire de Dakar, essayent de déguerpir sans succès les marchands ambulants. Le maire Alioune Ndoye a une part de cet échec qu’il doit assumer, n’ayant pas utilisé les bonnes démarches et méthodes. En tout cas, le problème des marchands ambulants demeure un talon d’Achille de son bilan » estime Cheikh Sall.
Abdou Khadre Gaye « Emad » se défausse sur le maire
Natif de Dakar-Plateau et notable de la Collectivité Leboue, Abdou Khadre Gaye ne peut pas rester indifférent à l’éternelle équation de l’occupation anarchique des rues et trottoirs de Dakar par les marchands tabliers. « Oui, c’est une éternelle équation que les nouvelles autorités doivent résoudre. Car l’encombrement du Plateau ne date pas d’aujourd’hui. C’est un long processus ! Rappelez-vous, en 1990 déjà, il y avait eu une bataille rangée entre riverains et tabliers qui avait fait beaucoup de blessés. Aujourd’hui, on ne parle plus d’encombrement mais de surencombrement ! Et la situation a empiré à plusieurs niveaux : d’abord, le statut de tablier a évolué. À l’époque, le travail était spécifiquement exercé par des personnes venant de l’intérieur du pays ou de la banlieue. Et on savait clairement qui était tablier (ou ambulant) et qui était riverain. Maintenant, il y a des natifs de Dakar-Plateau qui exercent la profession. Beaucoup de tabliers (ou ambulants) habitent le Plateau. Les mariages aidant, les liens de parenté se sont renforcés. Ensuite, c’est important, les acteurs politiques, le maire surtout, ont fait d’eux des électeurs. Alioune Ndoye, bien sûr, a participé à aggraver la situation : il a soutenu les tabliers ambulants et cela, parfois même, contre les intérêts du Plateau, à l’encontre du bon ordre et de la discipline. Il les a bien souvent utilisés comme boucliers contre ses adversaires et comme bétail électoral. C’est pourquoi son « Jambarisme » et sa fougue d’aujourd’hui contre les tabliers ambulants font rire. C’est tout simplement de la fumisterie politique ! Ce problème doit être pris au sérieux. Ce n’est pas une mince affaire car elle mérite réflexion et concertation » a invité le président de l’Ong Emad ayant son siège à Dakar-Plateau.
Soutenir Alioune Ndoye pour que Dakar soit réhabilitée !
À bien des égards, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre Ousmane Sonko doivent sonner définitivement la rupture par rapport à l’anarchie. Autrement dit, réussir là où leurs prédécesseurs ont lamentablement échoué pour des raisons bassement politiciennes. Car les marchands ambulants sont devenus un enjeu électoraliste de première importance au point qu’on assiste à un crêpage de chignons entre le pouvoir central et la municipalité de Dakar à la veille de chaque échéance électorale. Et comme il y a, dans ce pays, un scrutin pratiquement tous les ans autant dire que cette instrumentalisation de la question des ambulants est permanente ! Surtout que les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall ont toujours pensé que l’affaire des ambulants était politiquement trop importante pour qu’ils la laissent aux seules mains des maires de l’opposition. Il est vrai que nous sommes dans un régime présidentiel où le parti au pouvoir (Etat) dispose de la force publique et s’abstient souvent de soutenir les maires de la ville lorsqu’ils ne sont pas du même bord politique que lui. C’est le cas actuellement puisque le maire de DakarPlateau appartient à l’ancienne majorité et n’est donc pas du « bon » côté politique. Il n’empêche le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, doit se hisser au-dessus de ces considérations pour assister le maire Alioune Ndoye dans ses pouvoirs de police c’est-à-dire lui prêter main-forte afin qu’il puisse assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité dans sa commune qu’est Dakar-Plateau qui est le cœur de notre capitale. Et, comme tout maire, cette mission polyvalente peut le conduire à intervenir dans des domaines très divers(répression du stationnement non autorisé des véhicules, lutte contre l’anarchie des panneaux publicitaires, les constructions illégales, désencombrement des voies publiques etc.). Ces opérations d’ordre communal ne peuvent se faire qu’avec l’appui de la police nationale disposant des moyens légaux pour faire respecter l’ordre public en particulier les atteintes à ce même ordre public. Donc, il est clair qu’en dépouillant le maire « Apériste » de Dakar-Plateau de ses pouvoirs de police, on le désarme face à des ambulants rebelles déterminés à user de tous les moyens, y compris la violence et les destructions, pour pouvoir continuer à squatter impunément les artères, places et trottoirs de la capitale !
La route coloniale « Thiaroye-Y eumbeul » libérée
Car, pour prendre un exemple, c’est justement grâce à l’appui de la police que le maire de Thiaroye-gare a réussi à faire libérer et réhabiliter l’ancienne route « 103 » appelée « Route de Yeumbeul ». Construite bien avant l’indépendance de notre pays, dans les années 1950, cette route passe devant le marché de Thiaroye-gare, la porte principale du camp militaire des paras et la brigade de gendarmerie pour se terminer au camp de la Marine Française de Yeumbeul. Depuis les années 80, elle était occupée de manière anarchique par des marchands ambulants et autres vendeurs de légumes qui ont fini par la faire « disparaître ». D’ailleurs cet encombrement avait poussé l’Etat-major général des Armées à fermer définitivement la porte principale du camp des parachutistes pour en ouvrir une autre donnant sur l’autoroute à péage (Poste Thiaroye). Il a fallu plus de 20 ans pour que cette route « 103 » soit désencombrée par le maire assisté par les forces de l’ordre. Selon Dr Assane Ka, membre de la conférence des leaders de « Diomaye-Président » et représentant de Pastef à Thiaroye, personne n’aurait imaginé que la route « Thiaroye-Yeumbeul » serait libérée un jour. « Et ce n’était chose facile face à la résistance des marchands-tabliers et des vendeurs à la sauvette. Mais c’était compter sans la détermination des populations soutenues par le collectif des commerçants dirigé par le président Mamoudou Thiam ainsi que les représentants de l’Unacois, sous la présidence d’Idy Thiam. Cette mobilisation a conduit le préfet de la ville de Pikine à mener une opération de déguerpissement-désencombrement de la route 103. Ce, au grand bonheur des Thiaroyois ! » a expliqué l’ancien candidat recalé à la dernière présidentielle.
Max Weber disait que « l’Etat est une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime». Mais au Sénégal sous le président Macky Sall, l’Etat était un groupement d’intérêt politique « Gip » dont les administrateurs cautionnaient l’anarchie et légalisaient le désordre pour mieux sauvegarder leur clientèle électorale. Quitte à livrer la ville de Dakar, notre prestigieuse capitale, à la merci des marchands ambulants, des gargotiers, des mécaniciens, tôliers, menuisiers, et des colporteurs de chariots à café. Sans oublier les poussepousse qui disputent la chaussée — et la priorité — aux automobilistes. Bref, il faut que sonne la rupture sous Bassirou Diomaye Faye !