LEVÉE DE BOUCLIERS CONTRE UN PROJET DÉJA VOUÉ À L’ÉCHEC
Si certains voient à travers les Lycées Nation-Armée pour la Qualité et l'Équité, une opportunité de redynamiser l'école sénégalaise, d'autres craignent la création d'une élite déconnectée et une concurrence déloyale pour les établissements existants
Et si le Prytanée militaire de Saint-Louis avait déjà la vocation d’un enseignement basé sur l’excellence, la qualité, le civisme et l’équité ? s’interrogeait « Le Témoin » dans une récente édition suite à la publication d’un communiqué conjoint des ministères de l’Education nationale et des Forces armées portant création des Lycées Nation-Armée pour la Qualité et l’Équité (Lynaqe). Cette initiative est bonne puisqu’elle prouve tout l’intérêt que le président Bassirou Diomaye Faye porte à l’avenir d’une École sénégalaise inclusive où les élèves s’identifient dans la qualité et l’équité connues jusque-là chez les soldats. Malheureusement les Lynaqe sont déjà voués à l’échec par certains inspecteurs et autres acteurs de l’éducation « Tous les pourfendeurs de ce projet sont contre la promotion et la décentralisation de l’excellence » réplique un membre du jury du Concours général.
Dès la prochaine rentrée des classes 2024-2025, des Lycées Nation-Armée pour la Qualité et l’Équité (Lynaqe) ouvriront leurs portes et fenêtres au profit de 600 élèves, de la 6ᵉ à la Terminale, sélectionnés par concours. Ces établissements visent à promouvoir l’excellence tout en inculquant des notions de respect, d’équité, de discipline et d’honnêteté aux jeunes lycéens. Le ministre de l’Education, Moustapha Guirassy et celui des Forces armées, général Birame Diop chargés de piloter le projet ont un grand défi à relever ! Non seulement ils doivent combiner leurs efforts pour porter rapidement les deux lycées sur les fonts baptismaux, mais encore ils devront faire en sorte qu’ils produisent les résultats escomptés. Un challenge redoutable au regard de nombreuses voix qui s’élèvent contre ce projet auquel certains prédisent déjà l’échec !
Selon un ancien doyen de Faculté (Ucad) préférant garder l’anonymat, la solution du problème de notre Ecole dépasse de loin la création de ces nouveaux lycées qui ressemblent à de la redondance par rapport au Prytanée militaire de Saint-Louis. « D’abord, permettez-moi de magnifier la vision éclairée du président de la République Bassirou Diomaye Faye dans sa volonté de révolutionner l’école sénégalaise afin qu’elle soit capable de produire les citoyens de demain. C’est-à-dire de meilleurs élèves puis de brillants étudiants et ensuite de hauts cadres capables de contribuer positivement au développement de la Nation. Ces citoyens-là doivent acquérir des compétences professionnelles essentielles dans un corps-esprit plein de valeurs humaines telles que la pensée critique, la collaboration, l’équité, la loyauté, la créativité, le civisme, l’abnégation, la communication, l’honnêteté, le travail etc. L’apprentissage de ces valeurs humaines et capacités professionnelles se fait dès l’école maternelle. Ou alors à la maison dès l’âge de 4 ans. Vous conviendrez avec moi que des millions de Lynaqe créés ne sauraient constituer une solution aux maux de la société sénégalaise. Le débat doit être centré sur la problématique de l’école sénégalaise et sa société. L’école, telle qu’elle fonctionne, est d’inspiration française et donc totalement déphasée de nos réalités socio-culturelles. Les programmes qui y sont enseignés manquent totalement de pertinence par rapport à nos besoins les plus prégnants ! » estime cet éminent universitaire à la retraite. Il déplore que l’école sénégalaise soit incapable de former le type de citoyen capable de promouvoir le développement endogène à base socioculturelle. « Cela me semble d’autant plus vrai que les exemples de réussite qui dominent le monde sont nombreux : Japon, Corée, Chine, Inde, Singapour et Malaisie » indique-t-il. Or, dans tous ces pays, le système éducatif est basé sur les réalités socio-culturelles et a pour but de promouvoir un développement endogène.
La preuve par les écoles japonaises, chinoises, marocaines…
Dans tous ces pays, la scolarité obligatoire commence à l’âge de 5 ou 6 ans. Mais auparavant, il y a l’éducation préscolaire des enfants de 3 à 4 ans qui s’effectue dans le cadre d’un système socio-professionnel. Mieux, l’éducation se fait dans leurs propres langues maternelles. C’est comme si nos enfants de 3 à 4 ans étaient scolarisés en Ouolof, Halpulaar, Sérère etc. Ce comme le petit Français avec son français maternel, l’Américain avec son anglais maternel, le Marocain avec son arabe maternel etc. Et ici au Sénégal, on met 13 ans (du Cours d’initiation (Ci) à la Terminale) pour maitriser la langue française. Malgré tout, les étudiants arrivent à l’Université sans une bonne maitrise de la langue française, il y a problème ! » s’étrangle cet ancien professeur d’Université à propos de la création des Lycées Nation-Armée pour la Qualité et l’Équité (Lynaqe) par le gouvernement. « C’est une mauvaise solution à un vrai problème qui réclame une solution globale. Il faut une réforme ou une profonde remise en cause de l’école sénégalaise, de l’Elémentaire au Supérieur. Il me semble opportun et responsable de faire un constat d’échec et de se mettre dans des perspectives de remédiation. En tout cas, j’ai peur que ces nouveaux Lycées Nation-Armée créent encore une discrimination dans l’accès universel au savoir. Le Prytanée militaire est certes une école d’excellence mais les lycées populaires comme Blaise Diagne, Lamine Guèye, Limamou Laye, Mariama Ba, Charles de Gaulle et autres étaient tellement bien gérés qu’ils le concurrençaient dans les concours de prestige comme ceux pour l’entrée à l’École militaire de santé, l’Ecole polytechnique de Thies, les grandes écoles d’officier etc. sans compter le Concours général » explique cet ancien doyen de Faculté
L’ancien enfant de troupe M. Diagne devenu ingénieur en génie civil tient d’abord à préciser que nous sommes des citoyens sénégalais. « Que l’on soit sortis des écoles d’excellence comme Mariama Ba de Gorée, le Prytanée militaire de Saint-Louis ou le lycée d’excellence de Diourbel, nous devons garder à l’esprit que, si toutes ces écoles maintiennent leur excellence, c’est évidemment pour le bénéfice du Sénégal. Le Prytanée qui sert, à quelques différences près, de modèle, tire son originalité de son cursus à la fois militaire et pédagogique possible grâce à une alchimie entre un encadrement militaire et un encadrement civil (pour le volet pédagogique). Sans oublier les diplômes militaires qu’on y passe. Tandis que l’école Mariama Ba garde sa spécificité qui est d’être un internat qui n’accueille que des jeunes filles. Sous régime d’internat et de bourses pour les étudiants, le lycée d’excellence de Diourbel, à vocation scientifique, tire sa spécificité du recrutement à partir de la seconde des meilleurs élèves en sciences avec des critères de moyennes élevées en mathématiques, sciences de la vie, sciences physiques etc. Mieux, les membres de l’encadrement et les enseignants sont sélectionnés suite à un appel à candidatures. Juste pour vous dire que chacune de ces écoles obéit à une spécificité et à certaines vocations. Une raison suffisante de ne pas fragiliser ce qui existe déjà comme établissements d’excellence dans ce pays. Car trop d’excellence nuit à l’excellence et trop de quantité tue la qualité ! A mon avis, l’Excellence peut être cassée à force de multiplier les écoles d’excellence » pense cet ancien élève du Prytanée militaire Charles Ntchoréré de Saint-Louis. D’un autre côté, ajoute-t-il, des lycées d’Intégration nationale de l’Equité et de la Qualité (Libeq) lancés par le président Macky Sall ont été transformés en « Lycées Nation Armée pour la Qualité et l’Equité (Lynaqe). « Leur création part donc d’une logique qui ne va pas sans causer de soucis. Les lycées seront en effet dirigés par des colonels de l’armée qui seront les commandants d’écoles et assistés par des directeurs des études issus du corps enseignant. Quant aux élèves sélectionnés, ils vont bénéficier d’un encadrement rigoureux et d’une bourse, le tout dans un système d’internat. La logique donc de faire diriger une école civile par un encadrement militaire peut à priori poser l’équation de l’autorité. L’on n’est pas assurés qu’un élève civil reconnaîtra plus l’autorité d’un encadreur militaire que celle d’un civil. Ce qui veut dire qu’un dirigeant civil pourra aussi bien faire l’affaire qu’un militaire. La question que l’on peut d’ailleurs poser est celle de savoir si la vocation des militaires est de diriger des écoles civiles » s’interroge M. Diagne.
Les Lynaqe, un concept attractif !
A-t-il une solution à proposer ? « La solution, selon moi, c’est d’augmenter les effectifs et les infrastructures du Prytanée pour former davantage d’élèves issus de ce creuset militaire d’excellence » conseille-t-il. Un conseil qui ne semble pas convaincre Kh. Guèye, un ancien membre de jury du Concours général. « Le lycée d’excellence Nation-Armée crée par le président de la République Bassirou Diomaye Faye est un concept attractif, un pas résolu vers la qualité et l’équité en milieu scolaire. Nul ne naît excellent ! Ce que le président de la République a bien compris en créant les Lynaqe pour favoriser les conditions d’excellence scolaire basées sur l’environnement adéquat (internat), l’encadrement militaire et le suivi pédagogique. Avec la multiplication des Lynaqe dans chaque région, il y aura de la place pour tout le monde contrairement aux écoles d’excellence classiques comme le Prytanée militaire, l’Ecole Mariama Ba de Gorée etc. aux places très, très limitées. Vous savez, la plupart des anciens issus de prestigieuses écoles n’osent plus se proclamer conservateurs après avoir longtemps mené la guerre des écoles. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes individus qui invoquent une éventuelle saturation de l’excellence avec la création des Lynaqe. Ils ne sont autres que des pourfendeurs de la promotion et la décentralisation de l’excellence sur l’étendue du territoire national. Parce que l’implantation de ces lycées à Sédhiou et Fatick va inciter les élèves des écoles locales à redoubler d’efforts pour pouvoir intégrer ces établissements d’excellence de proximité. Mieux cette émulation va booster le système éducatif en général, rehausser le niveau général des études et créer de nouveaux génies.
Concurrence déloyale !
A en croire Lamine Diop, un ancien inspecteur de l’Education, le package civisme-qualité-équité que l’on cherche à inculquer dans ces Lynaqe n’est pas l’apanage de l’Armée. « C’est en effet une notion qui a été de tout temps cultivée dans l’enseignement public. Comment vouloir faire de l’excellence et de la qualité en choisissant 600 et quelques élèves d’un seul coup ? » s’interroge-t-il tout en indiquant que l’autre problème que l’on peut relever, c’est le fait de recruter des proviseurs, professeurs et autres surveillants généraux par appel à candidatures. « Cela signifie que, par la même occasion, l’on va priver certains lycées populaires des meilleurs personnels enseignants. L’on se rappelle que dans une époque pas lointaine, aux plus forts moments de l’émulation créé par le Concours général, des lycées, à coups de motivations financières, ont débauché des profs du Prytanée militaire de Saint-Louis. Cette année-là, l’Armée a dû faire recours à des vacataires et des profs sans expérience pour combler le vide dans certaines matières. L’on a aussi paradoxalement noté que, dans ces écoles d’excellence régulièrement primées au Concours général, il y avait un énorme fossé qui s’est creusé entre les élèves en termes de niveau. Donc il ne faut pas, à mon avis, créer une école sénégalaise à deux vitesses avec la multiplication des écoles d’excellence qui vont recruter les meilleurs professeurs et des écoles à qui sont arrachés leurs meilleurs profs » estime M. Diop, ancien censeur de lycée, qui pense d’ailleurs que l’enseignement du civisme, de l’équité et de la qualité ne doit pas être réservé à certaines écoles. « Il doit être inculqué de manière égale car tous les jeunes Sénégalais doivent être imbus de ces valeurs » indique notre interlocuteur à propos de la création des Lycées Nation-Armée pour la Qualité et l’Équité (Lynaqe).
Mais qu’est-ce qui cache derrière ces boucliers au point que certains acteurs de l’éducation décrètent la mort-né de ces Lynaqe ? Le débat reste encore ouvert…