BOUGANE, L'ALLIÉ DEVENU FRONDEUR
"Il n'est pas du genre à pouvoir s'entendre avec Sonko". Le patron de D-Média est passé de soutien de Pastef à opposant féroce au nouveau régime. Sa récente arrestation marque un nouveau palier dans son opposition au pouvoir qu'il adulait hier
(SenePlus) - Du soutien inconditionnel à l'opposition farouche, Bougane Guèye Dany cultive l'art du grand écart politique. Celui qui appuyait Pastef pendant la présidentielle s'est mué en quelques semaines en pourfendeur du nouveau régime. Une confrontation théâtrale avec les forces de l'ordre près de Bakel vient de le conduire en prison. Le magnat des médias, qui rêve d'une carrière politique, voit ses ambitions législatives menacées par ce énième coup d'éclat.
Les faits qui ont conduit à son arrestation, rapportés par Jeune Afrique (JA), illustrent parfaitement la métamorphose du personnage. Le week-end dernier, alors que le président Bassirou Diomaye Faye, "revêtu d'un treillis militaire couleur camouflage", visitait Bakel, "ville du Sénégal oriental ensevelie sous les eaux à la suite des crues exceptionnelles du fleuve Sénégal", Bougane Guèye Dany mène "un convoi d'une quinzaine de véhicules" vers la zone sinistrée.
La confrontation était peut-être inévitable. Comme le rapport Jeune Afrique, citant l'ancien député Thierno Bocoum présent sur place : "Les gendarmes nous ont indiqué que nous ne pouvions rejoindre la ville car le chef de l'État s'y trouvait." Face à ce barrage, à 15 kilomètres de Bakel, Bougane lance son ultimatum : "Soit vous me laissez passer, soit vous m'arrêtez."
Le patron des médias sera effectivement écroué ce 21 octobre pour 'rébellion', 'outrage' et 'refus d'obtempérer'." Son procès en flagrant délit est prévu pour le 30 octobre.
L'art du retournement d'alliance
Le plus surprenant dans cette affaire, note Jeune Afrique, c'est qu'"il était encore difficile d'imaginer que l'homme – qui s'était vu recaler prématurément au stade de l'examen des parrainages – en viendrait si rapidement à crucifier les figures du nouveau régime." Un revirement d'autant plus spectaculaire que, selon Thierno Bocoum cité par le magazine, "il a soutenu Pastef pendant toute la période préélectorale. Mais il n'a pas donné de mot d'ordre à l'heure du vote."
Les critiques de Bougane envers le nouveau pouvoir se multiplient rapidement. Début octobre, rapport JA, il déclare : « L'image du Sénégal s'est détériorée à cause d'une gestion amateuriste. [...] Nous avons un président sans vision et un Premier ministre incapable d'établir une direction stratégique. ".
Cette opposition frontale n’est pas passée inaperçue au sein du pouvoir. Le 1er juin, selon Jeune Afrique, le député Abass Fall, figure de Pastef, mettait en garde : "Ce que Macky Sall faisait contre Ousmane Sonko, c'est ce que certains essayent de faire [aujourd'hui]."
En réponse à ces propos, le magazine rapporte que Bougane Guèye Dany dénonçait dans un communiqué "un harcèlement de la part des nouvelles autorités", évoquant notamment "le dossier fiscal [du groupe], bien que pendant devant la justice, [qui] a été rouvert par les services fiscaux, réclamant sous huitaine le paiement de plus de 2 milliards de F CFA."
Les raisons d'une rupture
Un analyste politique cité par Jeune Afrique propose une lecture éclairante de ce revirement : "Pendant les dernières années de pouvoir de Macky Sall, Bougane Guèye Dany s'était montré féroce envers lui et avait endossé le bleu de chauffe au service d'Ousmane Sonko, alors opposant." Le même analyste suggère : "Je ne peux que présumer qu'il n'a pas été invité à la table du banquet au lendemain de la victoire et a pu mal le prendre, car son ton s'est aussitôt durci. Convoitait-il un poste important ? Envisageait-il de faire des affaires avec l'État ?"
Un autre observateur, qualifié par le magazine de "blanchi sous le harnais", apporte un éclairage complémentaire : "Fondamentalement, il n'est pas du genre à pouvoir s'entendre avec Ousmane Sonko. Leurs profils sont trop proches, tout comme l' est d'ailleurs celui de Barthélémy Dias : même génération et même caractère volcanique."
Un empire médiatique en quête de reconnaissance politique
Jeune Afrique souligne l'importance de son arsenal médiatique : "Sen TV, Zik FM, La Tribune, Actunet.net, sans parler de l'agence de communication Dak'Cor." Pourtant, note le magazine, Bougane a "buté jusqu'ici sur la première marche d'une carrière politique demeurée virtuelle". En effet, « depuis cinq ans, toutes ses tentatives de candidature se sont fracassées sur le mur des parrainages ».
Pour Thierno Bocoum, cité par Jeune Afrique, l'équation est claire : "Il a une force de frappe énorme. Et l'on constate une détermination du gouvernement à lui faire payer ses écarts." Le verdict du 30 octobre dira si Bougane Guèye Dany pourra, comme le conclut le magazine, participer "pour la première fois de sa carrière politique encore embryonnaire" aux législatives du 17 novembre.