QUATRE COALITIONS POUR UN SCRUTIN DÉCISIF
Le Pastef, tel un phénix renaissant de ses cendres, affronte trois coalitions aux stratégies distinctes : une Sàmm sa Kàddu qui mise sur la jeunesse, un Amadou Bâ qui joue sa survie politique, et des libéraux qui tentent de ressusciter l'héritage wadiste
À l’approche des élections législatives du 17 novembre 2024, le paysage politique sénégalais se transforme sous l’effet d’une dynamique électorale inédite. Entre alliances stratégiques, rivalités exacerbées et nouveaux visages, les quatre principales coalitions se livrent une bataille acharnée pour le contrôle de l’Assemblée nationale. Tandis que le parti Pastef, dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko, se prépare à une échéance cruciale pour l’avenir du Projet, ses adversaires redoublent d’efforts pour enrayer le maximum de sièges à l’Assemblée nationale. Dans ce contexte tendu, chaque camp espère s’imposer comme la force dominante du jeu politique.
La bataille fait rage. À moins d’un mois des élections législatives, la scène politique est plus que jamais en ébullition. Des alliances se sont formées, d’autres se sont défaites en fonction des intérêts politiques du moment. Les quatre grandes coalitions en lice sont déterminées à remporter le maximum de sièges. La course est lancée entre Pastef, Sàmm sa Kàddu, Jàmm ak Jariñ et Tàkku Wàttu Sénégal. Quels sont les atouts et les faiblesses des différentes coalitions en lice ?
Ousmane Sonko, l’épouvantail du système
Le parti Pastef se prépare pour une confrontation inédite. Dissous sous le magistère de Macky Sall en juin 2023, le parti s’était transformé pour créer la coalition Diomaye, une stratégie payante qui a permis au président Bassirou Diomaye Faye de remporter l’élection présidentielle. Aujourd’hui, les temps ont changé. Pastef est réhabilité et est le grand favori des prochaines élections législatives. Le parti dispose de nombreux atouts. Ousmane Sonko, son leader, possède un charisme qui dépasse les frontières. Il mobilise les foules et galvanise les jeunes en attaquant le « Système ». Actuel Premier ministre, il se présente comme le fusible « increvable » du président Diomaye. Ce qui manquait au Président Macky Sall après la dissolution du poste du Premier ministre au lendemain de la crise due à la pandémie du Covid-19. Malmené et emprisonné par le régime de Macky Sall, il incarne un phénix renaissant de ses cendres. Son récent « One man Show » dans l’enceinte de Dakar Aréna à Diamniadio, transcende les formats habituels des rassemblements politiques au Sénégal. Sa capacité à « électriser » les foules rappelle celle de Viktor Orbán, Barack Obama ou encore Recep Tayyip Erdoğan lors de leurs meetings. À l’image de Maître Abdoulaye Wade dans les années 1980, Ousmane Sonko est adoubé par la jeunesse, largement réceptive à son discours. Le « timonier insubmersible » des patriotes innove en favorisant le financement participatif pour sa campagne électorale, à contre-courant des régimes précédents qui s’appuyaient sur les ressources de l’État. Au-delà de la personnalité d’Ousmane Sonko, Pastef mise sur la majorité à l’Assemblée nationale pour achever l’opérationnalisation du « Projet ». Un discours approuvé par une majorité de citoyens, les plaidoyers des patriotes trouvant un écho favorable auprès de nombreux Sénégalais désireux de voir leur quotidien changé. Par ailleurs, l’effet de surprise créé par l’annonce des élections législatives par le président Diomaye constitue également un atout pour le parti d’Ousmane Sonko. L’opposition, lourdement battue lors de la présidentielle, n’a pas eu le temps de se réorganiser entièrement, d’où l’émergence de coalitions dites « contre-nature ». Toutefois, la décision de Pastef de se présenter seul aux législatives, sans alliances, comporte des risques. Cela représente une manière pour Ousmane Sonko de tester son aura auprès de l’électorat et de gouverner sans « chantage ». L’expérience de l’inter-coalition Yéewi Askan Wi et Wàllu est un cas d’école dont les patriotes ne veulent plus reproduire. Réussira-t-il ce pari crucial ? le temps nous le dira.
Sàmm sa Kàddu, miser sur la jeunesse pour faire face à Sonko
Sàmm sa Kàddu, l’une des coalitions les plus en vue, regroupe plusieurs candidats malheureux de la présidentielle, comme Pape Djibril Fall, Anta Babacar Ngom et Khalifa Sall. Elle est la plus jeune formation après Pastef. Contrairement à de nombreux partis traditionnels sénégalais, Khalifa Sall, stratège de l’alliance, a compris que le rajeunissement est devenu un impératif pour contrer la machine de guerre qu’est Pastef. Elle bénéficie du soutien du Parti d’Unité et de Rassemblement (PUR) et de Taxawu Sénégal, respectivement classés troisième et quatrième lors de la dernière présidentielle. Bougane Guèye Dany, leader du mouvement Gëm Sa Bopp, s’est montré particulièrement virulent. Cherche-t-il à se faire un nom ou à gagner la bataille des cœurs ? Son « Sonkosonkolu » vise un double objectif : attirer l’attention sur la liste Sàmm sa Kàddu et présenter Pastef comme une continuité du régime de Macky Sall. Son arrestation à Bakel montre cependant qu’il reste un néophyte dans le domaine du fonctionnement de l’État. Ousmane Sonko, bien que virulent verbalement, n’a jamais perturbé le convoi de Macky Sall. Bougane gagnera probablement en sympathie à la suite de ces événements, mais sa stratégie risque de lui coûter cher. Le « Bougane bashing » en vogue sur les réseaux sociaux pourrait lui porter préjudice. L’État n’est pas une entreprise, et à force de jouer toutes ses cartes trop tôt, il pourrait se retrouver démuni à la fin du jeu. Barthélemy Dias, tête de liste de la coalition, affrontera pour la première fois son ancien collaborateur Ousmane Sonko. Fidèle à son tempérament de « mâle dominant », Dias n’a pas hésité à se montrer ferme face aux partisans de Pastef devant le tribunal de Tambacounda. La guerre verbale entre Sonko et Barth sera l’un des moments forts de la campagne à venir.
Amadou Bâ, revanche ou confirmation ?
La coalition Jàmm Ak Jariñ, dirigée par Amadou Ba, candidat malheureux à la présidentielle de mars 2024, est un sérieux prétendant aux législatives. Regroupant des partis politiques traditionnels tels que le Parti socialiste (PS), Amadou Ba bénéficie du soutien d’indéboulonnables caciques comme Aminata Mbengue Ndiaye. Crédité de 34 % des voix lors de la présidentielle, il s’impose naturellement comme le chef de l’opposition au président Diomaye. Aujourd’hui, la coalition Benno Bokk Yakar n’existe plus, et ses vestiges sont convoités de toutes parts. Amadou Ba possède toutefois des atouts, avec une expérience et une trajectoire solide. Il a réussi à attirer plusieurs membres influents de l’APR, malgré la rupture avec Macky Sall. Alioune Sall, Zahra Iyane Thiam, Abdou Latif Coulibaly et Cheikh Oumar Hann étaient présents lors de son retour en politique. Détendu et confiant, Amadou Ba semble prêt à affronter cette nouvelle étape politique. Cependant, la coalition Jàmm Ak Jariñ reste fragile, comme en témoigne la rupture avec l’Alliance des Forces de Progrès (AFP). Dans un communiqué publié le 10 octobre, le Comité électoral de l’AFP a exprimé son désaccord avec la composition de la commission d’investiture, qu’il juge cavalière et non inclusive. Les législatives du 17 novembre prochain seront cruciales pour Amadou Ba, marquant son premier test grandeur nature après la dissolution de Benno Bokk Yakaar. Ce sera une occasion pour lui de jauger son véritable poids électoral.
Tàkku Wàttu Sénégal, redorer l’héritage de Wade
Enfin, la coalition Tàkku Wàattu Sénégal marque la retrouvaille des libéraux, sans Idrissa Seck. Après des années d’attente, cette alliance voit enfin le jour. Elle rappelle le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) des années 2000. L’alliance entre Abdoulaye Wade et Macky Sall confère à cette coalition un certain poids. Contrairement à l’APR issu d’une coalition, le PDS est un parti très organisé et qui dispose d’un appareil performant. La percée des libéraux regroupés au sein de la coalition Wàllu Sénégal en 2022 en est une illustration parfaite.
Cependant, cette alliance dite de « contrenature » par certains analystes politiques reste fragile. Certains libéraux n’ont pas oublié les persécutions politiques et les tentatives de Macky Sall d’affaiblir le PDS, ainsi que l’emprisonnement et l’exil de Karim Wade. Plusieurs membres influents du parti, tels que Doudou Wade et Abdoulaye Racine Kane, ont claqué la porte, refusant de soutenir une alliance qu’ils jugent incompatible avec les valeurs du PDS. « Ma décision est motivée par un désaccord profond avec l’alliance conclue entre le PDS et l’APR dans le cadre des élections législatives anticipées de 2024. J’estime que cette coalition compromet l’indépendance de notre parti et le place en position de soutien d’un ancien adversaire politique, ce qui n’est pas en accord avec les valeurs que j’ai défendues tout au long de mon engagement » explique Abdoulaye Racine Kane, ancien Secrétaire général national adjoint chargé des finances et trésorier général du PDS. De 2012 à 2024, le parti libéral s’est considérablement affaibli avec les défections. A l’approche des législatives, chaque camp tente de faire valoir ses arguments. Le Pastef d’Ousmane Sonko va-t-il rempiler ?