LE DIFFICILE CHEMIN DE LA RÉCONCILIATION NATIONALE
Comment juger sans rouvrir les plaies ? Comment oublier sans trahir les victimes ? Le Sénégal se trouve face à ces questions cruciales après trois années de violences politiques à l'origine de plusieurs dizaines de morts
(SenePlus) - La société civile se mobilise contre la loi d'amnistie votée à la veille de l'élection présidentielle de mars 2024. Un débat crucial qui ravive les souvenirs des "heures sombres" qu'a traversées le pays, rapporte le quotidien La Croix dans un reportage.
Le bilan est lourd : au moins 65 morts selon Amnesty International, des milliers de blessés et des centaines de militants emprisonnés, parfois torturés, durant les trois années de violences politiques entre 2021 et 2024. "Les morts n'ont plus de parole, les vivants ne veulent pas de l'amnistie", tranche Mamadou Seck, un ancien manifestant cité par le quotidien français.
Si la loi d'amnistie promulguée par l'ancien président Macky Sall a permis la libération d'un millier de personnes, dont Ousmane Sonko, elle est vivement contestée. "Utiliser les moyens de l'État pour comploter, tirer, tuer des manifestants désarmés, on ne peut pas l'effacer comme si ça n'avait jamais existé", a récemment déclaré l'actuel Premier ministre lors d'un meeting à Ziguinchor.
Le nouveau pouvoir, avec le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, promet d'abroger cette loi et d'indemniser les victimes. "Une commission a été chargée de les répertorier", précise Oumar Alioune Kane, responsable de la communication du Pastef, dans La Croix. "Les indemnités vont être évaluées ou données. Les auteurs de la répression seront jugés et effectueront leur sentence."
Cette volonté s'accompagne d'initiatives citoyennes comme CartograFree Sénégal, un projet né sur Twitter pour documenter les violences policières. "C'est une initiative politique, mais apartisane, fondée sur deux piliers : informer le public sur la répression d'État et promouvoir la nécessité de justice", explique l'historien Florian Bobin au journal.
Alioune Tine, fondateur de l'Afrikajom Center, milite pour une approche plus large : "Je plaide en faveur d'une commission justice, vérité et réconciliation. Il nous faut une introspection en tant que société. Des divisions profondes doivent être comblées. Le temps est venu de faire mémoire."
Les premiers signes d'apaisement sont déjà visibles. Selon Ousmane Diallo d'Amnesty International, "il y a clairement une rupture. Avant on raflait des gens chez eux à des heures indues. Certes, des arrestations demeurent mais suivant un processus légal et transparent qui respecte les droits de la défense." Un changement que confirme Alioune Tine : "Les lignes ont bougé sur les droits de l'homme. [...] On sent plus de sérénité."