LE DISCOURS DE LA MÉTHODE
Macoudou Sène, administrateur civil, auteur du livre L’Administration d’Etat au Sénégal face au défi de la transformation, ces réformes incontournables, partage sa haute expérience de ces questions qui ont été remises sur la table par les autorités actuel
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Macoudou Sène, administrateur civil, auteur du livre L’Administration d’Etat au Sénégal face au défi de la transformation, ces réformes incontournables, partage sa haute expérience de ces questions qui ont été remises sur la table par les autorités actuelles. Dans cet entretien, il donne les pistes pour la rationalisation des services publics. Dage de la Primature de 2019 à 2024, il est revenu sur la circulaire du Premier ministre relative aux missions à l’étranger dans le cadre de la rationalisation des dépenses publiques.
Vous avez publié un livre intitulé L’Administration d’Etat au Sénégal face au défi de la transformation, ces réformes incontournables. Que proposez-vous pour une administration plus performante ?
Vaste question d’actualité englobante, s’il en est ! Dès lors, avant d’y répondre, permettez-moi de circonscrire le domaine de mon ouvrage qui porte uniquement sur l’Administration d’Etat.
L’Administration d’Etat comprend, d’une part, les services centraux, et d’autre part, les services déconcentrés ou extérieurs.
Autrement dit, le champ de mon ouvrage exclut les démembrements de l’Etat que sont les collectivités territoriales (départements et communes) et le secteur parapublic, qui disposent de leur propre administration.
La seule exception concerne les agences et structures assimilées, au titre des nouvelles tendances de l’Administration sénégalaise.
Cela dit, pour en revenir à votre question, mes propositions, les principales, pour une administration plus performante, portent sur l’Administration d’Etat au double plan central et déconcentré.
S’agissant de l’Administration centrale, il est proposé une réduction supplémentaire du nombre de départements ministériels, qui est bien réalisable. Le Président Macky Sall y était parvenu à son arrivée au pouvoir en 2012, faisant passer le nombre de ministères de trente-cinq (35) à vingt-quatre (24), avant de le faire repasser à trente-quatre (34), en octobre 2013. Aujourd’hui, le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye a ramené cette taille à vingt-cinq (25). Toutefois, ce nombre pourrait être davantage réduit par un regroupement de certains ministères actuels : ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, ministère de la Fonction publique et du Travail, etc. Il y a aussi une rationalisation des agences et structures assimilées dont le nombre dépasse quatre-vingts (80).
Dans mon ouvrage, j’ai proposé une évaluation de ces structures, à l’effet d’identifier les doublons, les chevauchements. Ce travail déboucherait sur une suppression de certaines structures, une fusion d’autres ou encore une mutation de statut pour le reste.
J’ai également suggéré un respect strict des textes en la matière, qui imposent une étude d’opportunité et d’impact préalable à toute création d’agence. De même, l’avis du Bureau organisation et méthodes (Bom) est requis à cet effet. Dans le même ordre d’idées, il me semble nécessaire et urgent de redynamiser la Commission d’évaluation des agences, créée depuis juillet 2020, aux fins d’un meilleur encadrement de ces structures ; une rationalisation du rattachement ou de la tutelle des structures par la présidence de la République, la Primature et les ministères, dans le respect des vocations et attributions des organes d’administration générale. Cette mesure devrait aboutir à une réduction du nombre de structures rattachées à la Primature ou la présidence de la République.
Au titre des services déconcentrés ou extérieurs, il s’agit de revoir le découpage administratif en régions, départements et arrondissements, dont le nombre a connu une forte hausse. A titre d’exemple, le nombre de régions est passé de sept (7) en 1960, à huit (8) en 1976, dix (10) en 1984, onze (11) en 2002, et quatorze (14) en 2008 ; de renforcer les ressources humaines, financières et matérielles des services dont l’état d’indigence est évident ; de renforcer la déconcentration des pouvoirs des ministres au profit, notamment des chefs de circonscription administrative (gouverneur, préfet et sous-préfet), à l’effet de rapprocher davantage l’administration des administrés.
Concernant mes propositions détaillées, je renvoie vos lecteurs à mon ouvrage, dont vous avez bien voulu rappeler le titre plus haut.
On parle souvent d’un système obsolète. A votre avis d’Administrateur civil et haut fonctionnaire, pourquoi l’Administration ne s’est pas adaptée aux mutations sociétales et numériques très rapidement.
A mon avis, notre Administration s’adapte certes, mais peut-être pas, au rythme souhaité par ses usagers. A cet égard, il me plait de rappeler certains acquis en matière d’utilisation des technologies de l’information et de la communication (Tic) au sein de certaines administrations, notamment en termes de dématérialisation des procédures, telles que l’obtention d’une autorisation de construire, l’enregistrement d’un contrat de travail, le retrait de diplôme.
De même, la Direction générale des impôts et des domaines (Dgid) ainsi que la Direction générale de la comptabilité publique et du trésor (Dgcpt) ont obtenu d’importants résultats en matière de facilitation aux usagers s’agissant des procédures de paiement des impôts et taxes. Néanmoins, il faut davantage de diligence dans ce domaine, en vue d’une dématérialisation des cinquante (50) procédures inscrites au plan d’actions prioritaires du Programme d’appui à la modernisation de l’Administration (Pama). A terme, il est souhaitable d’arriver à une dématérialisation de toutes les procédures administratives.
Le Président Sall avait initié aussi le Programme d’appui à la modernisation de l’Administration. Dans le même sillage, le Président Faye a initié la première édition de la Conférence des administrateurs et managers publics (Camp), tenue le 20 janvier 2025 au Cicad. Cette conférence a été suivie du lancement des concertations nationales sur la réforme du service public, par le ministre chargé de la Fonction publique, le 23 janvier 2025. Pourquoi, il y a cette impression que les choses ne bougent pas comme on le souhaiterait ?
Je voudrais rappeler que les initiatives que vous venez de citer, ainsi que les précédentes ont, toutes, pour objectifs la modernisation de l’Administration.
Déjà, dans sa Déclaration d’investiture, prononcée devant l’Assemblée nationale, en septembre 1960, l’ancien Président du Conseil, feu Mamadou Dia, évoquait une réforme et une adaptation des structures administratives.
A mon goût, le sentiment de lenteur dans la mise en œuvre des réformes résulte de ce que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des attentes légitimes des usagers de l’Administration.
En effet, les questions évoquées fort opportunément par le président de la République à l’occasion de la première édition de la Camp ne sont guère nouvelles. Qu’il s’agisse de la rationalisation des structures, du renforcement de la déconcentration ou encore de la réforme de la décentralisation.
Et le Premier ministre, M. Ousmane Sonko, ne s’y est pas trompé, en identifiant l’application des réformes comme le principal défi à relever pour en assurer le succès. C’était à l’occasion de la cérémonie de clôture de la première édition de la Camp.
J’ajouterai à ce défi, d’autres préalables à la réussite des réformes : volonté politique affirmée, pilotage à un niveau interministériel élevé, implication effective des agents et des usagers du service public, mobilisation des ressources nécessaires.
Permettez-moi d’insister sur la déconcentration, dont l’efficacité requiert sa nécessaire corrélation avec la décentralisation, notamment en ce qui concerne l’approbation des délibérations en matière domaniale et l’autorisation de lotir.
S’agissant du pouvoir d’approbation des délibérations en matière domaniale prises par le conseil municipal, il devrait être, à nouveau, conféré au sous-préfet, comme ce fut le cas avant 2020, dans un souci d’efficacité.
Par exemple, relève aujourd’hui de la compétence du gouverneur l’approbation des délibérations portant sur une superficie égale ou supérieure à cinquante (50) hectares, assortie de l’obligation de faire enregistrer l’arrêté y relatif au Secrétariat général du Gouvernement à Dakar.
Or, l’accomplissement de cette formalité, si jamais il aboutit, se déroule sur des mois, voire des années !
Il en est de même de l’autorisation de lotir relevant de la compétence du ministre chargé de l’Urbanisme, qu’il conviendrait, pour les mêmes raisons de diligence, de déconcentrer au profit des gouverneurs de région, conformément au régime juridique en rigueur jusqu’en 1988.
En ma qualité de maire de Niakhar, je suis persuadé que ces réformes sont de nature à prévenir les lenteurs notées dans ce domaine, favorisant des occupations irrégulières de l’espace.
Il s’agit là d’un plaidoyer pro domo porté par les maires du Sénégal, ainsi qu’il ressort des débats lors de leur l’atelier sur la gestion du foncier, tenu les 09 et 10 décembre 2024 à Dakar.
Ces questions s’inscrivent dans le cadre des réformes annoncées par le chef de l’Etat comme celle en vue de la décentralisation, notamment par l’instauration de pôles territoires. Que vont changer les pôles territoires surtout qu’on a déjà un système décentralisé très localisé ?
J’indiquais plus haut que la pléthore de circonscriptions administratives et de collectivités territoriales, notamment les communes, était synonyme d’émiettement, de découpage du territoire en entités peu viables au plan économique. (14 régions et 557 communes).
Dès lors, l’idéal serait de procéder à une fusion de certaines entités. Toutefois, vous vous en convenez avec moi, il s’agit là d’une question très sensible.
Ainsi, l’instauration de pôles territoires, qui constitueraient de grands espaces, pourrait être un remède à l’émiettement du territoire. Par exemple, le pôle centre regrouperait les régions de Fatick, Kaffrine et Kaolack, c’est-à-dire l’ancienne région du Sine-Saloum.
Ces pôles, au nombre de huit (8), seraient des aires géographiques disposant de centres majeurs et polarisant des réseaux de centres secondaires stratégiques, assurant leur animation économique.
Peut-on s’acheminer vers la suppression des postes de gouverneur comme en France, si l’on se souvient que le Président Wade l’avait évoqué avec son idée de provincialisation ?
En France, il existe plutôt des préfets de région qui assurent la coordination et la supervision de l’action des préfets de département, à l’exception de certaines matières telles que la sécurité.
A mon avis, aussi longtemps qu’il existera des régions composées de départements, administrés par des préfets, il y aura besoin d’une autorité chargée de la coordination de leur action, quelle qu’en soit l’appellation.
Aujourd’hui, tout le monde admet la nécessaire rationalisation de la pléthore de structures de l’administration (agences et structures assimilées, etc.), source de doublons, de chevauchements de compétences, pouvant déboucher sur des conflits. Cela doit être aussi une réforme majeure ?
Bien évidemment ! Cette rationalisation constituerait une réforme majeure pour deux (2) raisons principales. D’abord, elle permettrait de supprimer les doublons et chevauchements, gage d’efficacité de l’action administrative.
Ensuite, elle serait une source d’économies budgétaires substantielles, au regard du volume important des transferts annuels de l’Etat au profit des agences d’exécution et structures assimilées, au titre de leur fonctionnement, qui se chiffrent à plusieurs milliards de F Cfa.
C’est pourquoi, je voudrais saluer la décision du Premier ministre, annoncée lors du Conseil des ministres du 12 février 2025, tendant à une relance de la Commission d’évaluation des agences d’exécution (Ceae), dans le cadre de la rationalisation des dépenses publiques. Quid maintenant du sort des directeurs généraux dont les agences seraient supprimées et qui seraient de grands responsables politiques ?
Vous avez été Directeur de l’Administration générale et de l’équipement de la Primature. Quelle lecture faites-vous de la circulaire n⁰ 20/Pm/Msgg/Dage du 22 janvier 2025 relative aux missions à l’étranger dans le cadre de la rationalisation des dépenses publiques ?
Cette circulaire, à l’instar de tous les autres textes réglementant les missions à l’étranger, vise à rationaliser les dépenses y afférentes. A ce titre, il convient de s’en féliciter. En ma qualité d’ancien Directeur de l’Administration générale et de l’Equipement (Dage) de la Primature en charge de ce dossier, je reste convaincu que certaines innovations de la circulaire du 22 janvier 2025, sous réserve d’une application stricte, pourraient contribuer à une rationalisation des dépenses consacrées aux missions à l’étranger. Il s’agit, notamment de la planification trimestrielle des missions et formations, susceptible de modification mensuelle, le cas échéant (Ce calendrier doit faire l’objet d’une autorisation du Premier ministre) ; de l’allongement du délai de dépôt à la Primature des demandes d’ordres de mission de dix (10) à quinze (15) jours ; de la réduction de la taille des délégations de dix (10) à trois (3) membres.
Il est évident que cette planification des déplacements pourrait permettre de réaliser des économies budgétaires par l’acquisition de titres de transports bien avant les départs en mission, dont le coût serait moins élevé.
Toutefois, le principal défi, ici, reste toujours celui de l’application des dispositions de la circulaire, notamment aux agents du secteur parapublic, auxquels s’applique la règlementation sur les missions à l’étranger. Il faut éviter absolument que les dérogations deviennent la règle, comme c’est souvent le cas au Sénégal, hélas ! A cet effet, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique devrait donner des instructions fermes à la police des frontières de l’aéroport, à l’effet de refouler tout agent qui ne serait pas muni d’un ordre de mission dûment signé par l’autorité compétente.