LA DOUBLE PEINE DE L'AUTORITÉ PARENTALE
Des procédures administratives bloquées, des enfants privés de voyages ou même de nationalité : le quotidien de nombreuses Sénégalaises est rythmé par l'absurdité d'un Code de la famille qui perpétue des inégalités flagrantes

Chaque année, la Journée internationale des droits des femmes est l’occasion, pour les Sénégalaises, de faire entendre leurs revendications. Parmi elles, une demande revient avec insistance : la réforme du Code de la famille. Derrière les textes de loi, ce sont des vies qui se jouent, des décisions cruciales parfois bloquées par des dispositions que certaines femmes jugent injustes.
Fatou Dia, la trentaine, est fatiguée. Depuis plusieurs mois, elle enchaîne les démarches administratives pour obtenir un passeport pour son fils. Mais impossible d’avancer sans l’autorisation du pater. ‘’Quand on prend seule en charge son enfant, pourquoi doit-on encore quémander l’accord d’un père absent ?’’ Sa voix tremble et valse entre la colère et l’épuisement.
Comme elle, de nombreuses mères dénoncent les obstacles posés par l’article 277 du Code de la famille. Ce texte reconnaît certes l’autorité parentale conjointe, mais en cas de désaccord ou tant que le mariage subsiste, c’est le père qui a le dernier mot en tant que chef de famille. Une réalité qui, pour beaucoup de femmes, complique les choses au quotidien.
Des pères absents, mais toujours décideurs
Aïssatou, installée en Espagne depuis des années, connaît bien ce casse-tête. Son fils, né à l’étranger, n’a toujours pas la nationalité sénégalaise. Et pour cause : le père, avec qui elle n’a plus de contact, refuse de donner son autorisation. ‘’Même pour aller au Sénégal en vacances, je dois voyager sans lui’’, confie-t-elle, résignée. Malgré des recours judiciaires, la situation reste bloquée.
Ce pouvoir laissé aux pères même absents ou désengagés est au cœur des frustrations. Une autre mère, exaspérée, décrit les lourdeurs administratives : ‘’C’est révoltant de courir après un irresponsable pour faire sortir son propre enfant du territoire.’’ Certaines évoquent même des situations de chantage où l’autorisation parentale devient un moyen de pression. Certains pères vicieux ou frustrés par la séparation l'utilisent contre la mère de leurs enfants.
Les choses, espère-t-on, pourraient changer avec les autorités actuelles. Une députée, membre de la majorité présidentielle, Maïmouna Bousso a posé le problème lors de de la déclaration de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko. Ainsi, elle a exhorté les autorités à décliner des orientations pour régler cette problématique. Mieux encore, la députée Marième Mbacké du groupe parlementaire Pastef/Les patriotes a déposé une question écrite adressée au ministre de la Justice. ‘’Dans la législation sénégalaise, l'autorité parentale exclusivement réservée au père pose de véritables problèmes aux mères divorcées avec des enfants. La mère divorcée est souvent responsable de la garde des enfants. À cet égard, elle devrait pouvoir signer les documents de voyage de ses enfants mineurs’’, écrit-elle. ‘’Cependant, certains hommes utilisent cette autorité comme une arme de guerre contre leur ex-épouse au point de nuire à leurs propres enfants en leur refusant, sans raison, la signature de l'autorisation parentale. Ce qui entraîne des conséquences graves, particulièrement pour les enfants vivant avec leur mère à l'étranger’’, argue-t-elle.
D’après Marième Mbacké, ‘’les femmes de la diaspora sénégalaise nous ont souvent interpellées sur ces questions. C'est pourquoi, sans adopter une perspective féministe, nous vous prions de reconsidérer cette mesure. Le père, en tant qu'autorité morale au sein de la famille, ne pose pas de problème, mais il est important que les deux parents puissent donner leur consentement aux voyages de leurs enfants’’. Ainsi, ‘’pour remédier à cette situation, ne serait-il pas opportun de réviser le Code de la famille ? Quelles seraient les mesures que vous comptez prendre pour trouver des solutions à ce problème’’, a demandé Marième Mbacké à Ousmane Diagne.
Ce dernier n’a pas encore répondu ou, du moins, sa réponse n’est pas pour le moment publiquement partagée. Donner une suite favorable à cette demande aidera à couronner des années de luttes des Sénégalaises.
Par ailleurs, existe une autre disposition légale jugée discriminatoire à l’égard des femmes. Il s’agit de l'article 196 du Code de la famille. Il interdit la recherche de paternité pour un enfant né hors mariage, sauf si le père accepte de reconnaître l’enfant. Une disposition qui, pour beaucoup, prive les enfants de leur droit à connaître leur filiation et place les mères dans une situation de dépendance juridique.
Le 8 Mars, au-delà du folklore
Par ailleurs, alors que les préparatifs pour la Journée internationale des droits des femmes battent leur plein, certaines veulent profiter de l’occasion pour mettre ces questions au centre des débats. ‘’Le 8 Mars, ce n’est pas juste pour défiler ou offrir des fleurs. On veut des changements concrets, surtout sur l’autorité parentale’’, martèle une militante engagée dans la défense des droits des femmes.
Depuis 2004, le Sénégal est pourtant signataire du Protocole de Maputo, un texte continental qui garantit l’égalité entre les hommes et les femmes, y compris dans les droits parentaux. Mais vingt ans plus tard, plusieurs dispositions du Code de la famille restent en décalage avec ces engagements. C’est le cas de l’article 111, qui fixe l’âge minimum du mariage à 16 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons. Une différence qui, pour les défenseurs des droits humains, consacre une inégalité dès l’union matrimoniale et va à l’encontre des principes d’égalité défendus par le Protocole.
Un combat long et éprouvant
Pour celles qui décident d’entamer des démarches pour obtenir la puissance parentale exclusive, le chemin est semé d’embûches. ‘’Il faut être prête mentalement et financièrement. C’est long, compliqué et rien ne garantit qu’on aura gain de cause’’, explique Mariama, qui a engagé une procédure contre son ex-mari.
Certaines espèrent que le nouveau régime politique fera de ces questions une priorité. ‘’Il est temps qu’on arrête de laisser un père absent décider de la vie de son enfant’’, tranche une autre mère, lassée par les lenteurs administratives et juridiques.
Entre attentes et espoir de réforme
Pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement d’une question juridique : c’est une bataille pour la dignité et l’égalité. Derrière ces revendications, il y a l’espoir qu’un jour, être mère au Sénégal ne rime plus avec dépendance ou impuissance face à la loi.
À l’approche du 8 Mars, ces voix veulent se faire entendre. Et au-delà des discours officiels et des célébrations symboliques, elles attendent surtout des actes.
Les noms des femmes qui ont témoigné dans cet article sont des noms d’emprunt.