IVRE DE POUVOIR
DR. YAYA ABDUL-AZIZ JAMUS JUNHUNG BABILI MASSA JAMMEH
Dans la capitale gambienne, il est partout. Son Excellence le professeur, Cheikh, El Hadji, Dr. Yaya Abdul-Aziz Jamus Junhung Babili Massa Jammeh est «momifié» à travers des posters géants. C’est le culte de la personnalité. Et c’est le point de ressemblance de toutes les dictatures. Contrairement aux autres autocrates qui sombrent dans des réalisations démesurées, lui est juste obnubilé par le rêve de conserver son pouvoir.
On ne peut pas échapper à cette tyrannie iconographique. Banjul. Serrekunda. Bakau. Senegambia. Kololi. Partout, on marche sous le regard accompagné du sourire de Yaya Jammeh. Dans toutes les artères, les affiches géantes, célébrant l’hyper puissance de Yaya Jammeh, sont placardées.
Elles chantent ses réalisations et mettent en relief le culte de personnalité commun à toutes les dictatures. Elles font foison : «Nous vivons mieux qu’il y a 20 ans». «Consommons ce que nous produisons. Produisons ce que nous consommons.» «A true brother». Le chauffeur de taxi sourit de dépit : «A f.. brother. Yes»
Pour approcher l’œuvre de Son Excellence le professeur, Cheikh, El Hadji, Dr. Yaya Abdul-Aziz Jamus Junhung Babili Massa Jammeh, il faut remonter l’avenue Independance drive. Le minuscule stade de foot, témoin de la célébration de ses 20 ans, fait partie de sa collection de réalisations.
«Mais, personne ne va jouer au foot dans ce stade malgré la qualité de la pelouse. Il dit que c’est pour la célébration des activités de l’Etat», explique-t-on à Banjul. Et les locaux de l’Assemblée nationale étincelants de blancheur. La State house, là où il régente en maître absolu, se trouve aussi dans ce périmètre ultra-sécurisé. On aperçoit le Palais présidentiel au fond d’une impasse versant sur la route qui mène au marché central de Banjul. Mais, il est impossible de s’approcher de ce cadre idyllique de l’extérieur.
Dans ce lot d’affiches géantes, il y a une qui chante la gloire de ses réalisations. Pourtant, il ne fait pas partie de la race de ces autocrates qui construisent des infrastructures gigantesques. Ou des autoroutes à quatre voies et des canaux d’irrigation. En prenant soin d’ajouter une panoplie de monuments épais à leur gloire. «Il aurait pu construire des hôpitaux. A Serrekunda, il n’y a pas d’infra
structures sanitaires de renom. Parce que les populations sont obligées de rejoindre Banjul ou Kanifo. Voilà la réalité des faits...», avance un homme, croisé à Sayeer Jobe avenue située dans la deuxième ville gambienne.
En Gambie, la vie tourne, bien sûr, exclusivement autour du natif de Kanilaï. Dans certains foyers, on raille la diffusion en boucle sur la Gamtel (télévision gambienne) de ses périmètres champêtres. Après, on se rabat sur les chaînes de télévision sénégalaises pour suivre l’actualité et des programmes de divertissement. Car, les médias gambiens sont occupés à diffuser la «propagande» de Yaya Jammeh ou à mettre en boucle de la musique. Ou les miracles de sa science médicinale.
«Il nous prend pour des ignorants. Quand on a arrêté les auteurs du putsch aux Etats-Unis, il était venu à la télévision pour dire que les Etats-Unis respectent la Gambie. Quand ils ont été libérés, par contre, il n’est pas revenu nous parler. Personne ne peut censurer les infos», raille dans un éclat de rire un contempteur de Son Excellence.
Le silence est brisé.... Jusqu’ici, on entendait juste les bruits des activistes qui ont réussi à gagner la diaspora et y ont trouvé un exil à perpétuité. Eux ont choisi de dénoncer les crimes commis dans leur pays même s’ils voient toujours resurgir les fantômes de Jammeh. Au sein de cette jeunesse ravagée par la drogue, il y a des hommes qui mesurent l’étendue des efforts à faire. Même si le système mis en place ne permet pas l’aménagement de quelques plages de contestation.
«Ce pays n’est pas encore béni... Depuis 20 ans, on est sous le joug du Dr. Un jour, ça va changer parce qu’il n’y a que le pouvoir divin qui est éternel. Mais, si on me sponsorise, je suis capable de le renverser», disserte un jeune homme. Lui voit l’exemple derrière Amdallaï. Comme plusieurs de ses copains. Certains ont été subjugués par leur séjour au Sénégal.
L’un d’eux : «Quand j’ai vu à Dakar des gens manifester pour réclamer l’augmentation des salaires, c’était comme un rêve. Quand j’ai vu les élèves affronter les Forces de l’ordre sans peur, c’était un nouveau monde que je découvrais. On est encore loin du Sénégal.»
«C’est la démocratie. On est encore loin de ce niveau. En Gambie, pas de grève. Pas de marche. Pas de job. A moins d’être Nia ou un soldat. Ce sont les chouchous du Président», renchérit quelqu’un d’autre. «Il ne reste plus de bœuf parce qu’on en abat chaque jour dans les camps», poursuit-il.
Culte de la personnalité
Aujourd’hui, le pays est obligé de faire face à une situation économique tendue. Car, le Dalasi est en chute libre par rapport au Franc Cfa qui fait partie évidemment des habitudes commerciales des Gambiens. Selon les popula
tions, l’introduction des billets de 200 et 500 Dalasi est imminente pour faire face à l’inflation. Un commerçant : «Et il paraît qu’il va pousser le chauvinisme jusqu’au bout en mettant sa photo dans ces billets de banque. Alors que le Président soutenait que la Gambie appartient aux Gambiens et que les attributs de l’Etat ne doivent pas être personnalisés. Que de paroles en l’air...»
Mise en circulation des billets de 200 et 500 Dalasi
En tout cas, cette situation économique pousse les jeunes à continuer à entretenir leur rêve suprême : Rallier l’Eldorado européen pour «échapper» à cette ambiance de «terreur».
«On va tous partir et laisser la Gambie à Jammeh. Et si on peut amener nos mamans à Karang, on le fera parce qu’on n’est pas ses esclaves. En faisant le recensement, on remarquera qu’il y a plus d’étrangers que de Gambiens dans ce pays. Tout le monde est parti en England (Angleterre), Germany (Allemagne) ou en Turquie et aux Etats-Unis.»
En attendant, Yaya Jammeh n’a pas réussi à confisquer à ces jeunes leur rêve... européen ou américain. La plupart chassent l’âme sœur le long des plages de Kololi qui ressent... les coûts de la dégradation des droits de l’Homme. C’est déjà une victoire contre lui. Dans ce huis clos.