AU CARDINAL THÉODORE ADRIEN SARR
Comme vous l’aviez annoncé au mois de décembre 2014, vous venez effectivement de prendre votre retraite, après la passation de service du 21 février 2015 avec votre successeur Mgr Benjamin Ndiaye, à qui nous souhaitons la bienvenue et adressons nos encouragements.
Votre décision de vous retirer ne peut laisser indifférent. Car les quatorze années passées à la tête de l’Eglise catholique du Sénégal, ont convaincu tous vos compatriotes que vous êtes bien de la lignée des grands guides religieux, à l’image du Cardinal Hyacinthe Thiandoum et de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh.
En effet, vous partagez avec ces illustres disparus, une même pédagogie qui rappelle que le guide religieux n’est rien d’autre que l’homme responsable.
L’homme responsable, selon la définition de Emmanuel Mounier, est «celui que le monde interroge et qui répond». Il faut dire que vous avez toujours répondu présent, face aux interrogations d’une extrême gravité, posées par le régime de la première alternance survenue en l’an 2000.
En effet, le 19 mars de cette année-là, les Sénégalais avaient élu, dans la joie et l’allégresse, Me Abdoulaye Wade, qui avait promis de faire du Sénégal «un pays où coulent le lait et le miel», après les quarante années de traversée du désert avec les Socialistes. Mais celui qu’on attendait comme un messie, était en réalité, un grand prédateur devant l’Eternel, qui ne se gênait pas de se glorifier d’avoir fabriqué des milliardaires.
En clair, il s’agissait là d’un appel au culte de «l’idolâtrie de l’argent», pour reprendre vos propres termes. A plusieurs reprises, vous avez dénoncé cette idolâtrie de l’argent, à laquelle toute l’élite ou presque, avait succombé.
C’est ainsi que vous avez exprimé à haute et intelligible voix, votre désapprobation de la politique des enveloppes, des mallettes, sans oublier les sordides protocoles que de grands bandits ont conclus sur le dos du Peuple.
Evidemment, les aboyeurs professionnels du régime de «l’alternoce», chagrinés par votre francparler, n’avaient trouvé rien de mieux que de proférer des menaces de mort à votre encontre. Mais leurs menaces étaient de nul effet sur un homme de Dieu dont le credo est de dire la vérité, rien que la vérité, à temps et à contre temps, pour reprendre l’abbé André Latyr Ndiaye dans sa cinglante réplique aux propos méchants et malveillants que Me Wade avait tenus sur l’Eglise en 2010.
A l’image de Jean-Baptiste qui n’a pas renoncé à son «devoir d’irrespect» en dénonçant les tortuosités du roi Hérode Antipas, vous aussi, vous vous êtes fait le pieux devoir de dénoncer l’impunité que le régime libéral avait élevée à la hauteur d’une institution, à travers une série d’actes de prévarication et de «crimes sans criminels» qu’il serait fastidieux d’énumérer.
Parmi «ces crimes sans criminels», on se souvient que devant les autorités administratives, vous aviez fermement condamné le meurtre du jeune Malick Bâ victime des découpages politiciens de la commune de Sangalkam. On se souvient aussi de l’incendie des locaux de la Cnts, au cours duquel le chauffeur Moussa Aw fut aspergé d’essence et brûlé vif par des individus bien identifiés, et qui n’ont pas été inquiétés outre mesure.
Bien sûr, on se souviendra toujours du naufrage du Joola, la plus grande catastrophe maritime de l’histoire. A la différence du naufrage du «Titanic», survenu quatre-vingt-dix ans plus tôt, en raison de ce que le péril était masqué dans les profondeurs de l’océan sous forme d’un iceberg, le Joola avait coulé bien que le péril montrât ses mille visages.
A l’époque, lorsque les Ponce Pilate invoquèrent le «Ndogal Yalla» (la volonté de Dieu), vous leur aviez rétorqué de laisser Dieu tranquille pour assumer leur lourde responsabilité dans cette tragédie. Mais au lieu de s’assumer, ils ont préféré se laver de tous leurs crimes abominables par le vote d’une loi non moins abominable : la loi Isidore Ezzan du 7 janvier 2005, qui absout les criminels et notamment, ceux qui sont impliqués dans l’affaire Me Seye, et qui, on se rappelle, avaient été libérés avant de percevoir des indemnités substantielles (pour services rendus ?).
Après le naufrage du Joola, le pire restait à venir. Il arriva, lorsque l’émigration clandestine qu’on déplorait déjà durant les années 90, prit brusquement une ampleur d’apocalypse. Apparemment il ne s’était rien passé, sauf que le fils «adoptif» de Me Wade venait de révéler au grand jour ce mot terrible que son mentor aurait prononcé lors de sa prise de fonction en l’an 2000 : «Nos soucis d’argent sont terminés.» Les jeunes avaient immédiatement compris qu’il ne leur restait plus que l’alternative «Barca ou Barsak».
Face à cette situation, vous aviez en son temps, dénoncé une politique à courte vue qui plonge la multitude dans le désespoir.
En 2011, lorsque Abdoulaye Wade se permit de tripatouiller la Constitution, par son fameux «ticket» à la seule fin de baliser pour son fils, un raccourci lui permettant d’accéder au pouvoir sans coup férir, vous n’aviez pas manqué d’exprimer votre désapprobation en disant que la Constitution devait être respectée.
Autrement dit, qu’on ne doit pas y retoucher, sous peine de commettre un sacrilège. Mais celui qui, en maintes circonstances a prouvé qu’il a beaucoup de suite dans le sacrilège, ne vous écouta pas. Mal lui en prit : le 23 juin 2011, il sera obligé de retirer son «ticket» pour sauver son fauteuil.
Mais c’est archi connu que Me Wade est l’homme qui ne se repose jamais ; toujours en train d’agiter ou de dérouter ses compatriotes. Au lieu de tirer les leçons du dés- aveu populaire du 23 juin 2011, sans précédent de l’histoire du Sénégal, et qui l’avait complétement réduit à quia, il reprit la parole le 14 juillet 2011 en annonçant sa candidature à l’élection présidentielle de 2012 par cette ahurissante déclaration : «Ma wakhone wakheet.» J’avais dit (que je ne pouvais pas briguer la présidentielle de 2012), je me dédis. C’était très mal parti pour l’élection présidentielle.
A l’approche de cette échéance électorale, vous avez pris conscience de la nécessité de faire quelque chose afin de conjurer l’orage qui planait sur le pays. C’est ainsi que vous avez pris sur vous, d’aller à la rencontre de celui qui devenait de plus en plus solitaire depuis sa décision d’être candidat à sa propre succession.
A bien des égards, votre rencontre ferait penser à celle de Guilgal, où le juge Samuel était venu annoncer au roi Saül sa prochaine destitution de la direction du Peuple d’Israël, laquelle direction allait échoir à son lieutenant David.
Sans connaître la teneur de votre entretien, on devine que la substance était de faire comprendre à Me Wade que le vrai problème n’est pas de gagner ou perdre l’élection, mais de préserver la paix et la concorde qui ont toujours prévalu dans un pays qui lui a tout donné ; et aucun pays au monde ne peut éternellement continuer à donner parce qu’il y a un temps pour toute chose : un temps pour être aux affaires, un autre temps pour se retirer des affaires.
Mais la sagesse de l’Ecclésiaste ne peut faire fléchir un esprit obnubilé par le pouvoir. Comme prévu, il participa donc à l’élection présidentielle. Le 25 mars 2012, l’histoire biblique évoquée plus haut allait se répéter : le Peuple sénégalais avait «destitué» Me Wade en jetant son dévolu sur son lieutenant Macky Sall. Une fois n’est point coutume, il faut rendre justice à Me Wade d’avoir accepté sa «destitution».
Il faudra aussi vous en remercier infiniment car la rencontre dont vous avez pris l’initiative, ne peut être étrangère au sursaut de Me Wade à travers le coup de fil adressé à son vainqueur.
Au nouveau pouvoir, vous avez exprimé votre soutien pour la traque des biens mal acquis parce qu’un homme de Dieu doit plaider la cause de la multitude spoliée (une cause juste et noble) et non celle d’une bande de spoliateurs (une cause injuste et ignoble).
Fidèle à vous-même, vous avez, comme au temps de l’ancien pouvoir, invité les nouvelles autorités à s’acquitter de leurs missions régaliennes et notamment : soulager les populations et surtout les plus démunies face aux besoins de se nourrir, de se loger et de se soigner.
Créer des emplois pour désamorcer cette véritable bombe que constitue le chômage car il est prouvé que ne rien faire est le chemin du mal faire. Assurer les travailleurs qui subissent la loi d’airain des salaires, une ‘’juste rémunération’’ conformément a l’esprit et a la lettre de ce commandement du Deutéronome qui interdit «d’exploiter l’ouvrier humble et pauvre».
Tout cela, pour dire aux nouvelles autorités de ne pas oublier leurs promesses électorales pour l’instauration d’une justice sociale sans laquelle il n’y a pas de paix.
Il faut dire que le mot «paix» a toujours rythmé vos discours. C’est ainsi que lors de votre message de Noël du mois de décembre 2014, vous aviez, comme d’habitude, prié pour le retour définitif de la paix en Casamance, et qu’elle se renforce de jour en jour au Sénégal et partout ailleurs dans le monde. Parce que justement la paix est une construction permanente, une œuvre de tous les jours, de tous les instants.
Pour ce faire, il faut devenir (ou redevenir) ce qu’on est : un humain. Voilà un autre mot sur lequel il vous est revenu d’insister parce que c’est la marque de fabrique du vrai croyant.
A cet égard, vous n’avez jamais cessé de mettre en garde les fidèles contre les pièges de l’imposture qui consiste à croire qu’il suffit de psalmodier le nom de Dieu et de se conformer au rituel ou au cultuel, pour avoir la foi. Cette vision trop simplificatrice des choses était celle des Pharisiens, à qui le Christ reprochait d’être des sépulcres blanchis : propres de l’extérieur, mais pourris à l’intérieur.
Par conséquent, le vrai croyant ne se révèle que par les actes qu’il pose.
«Que celui qui a la foi montre ses actes.» Cette question subversive, lancée au cours d’un séminaire organisé par l’Eglise catholique du Sénégal, s’adresse à tous les croyants.
A ce propos, on peut remarquer que le Coran rappelle qu’il ne suffit pas, pour se justifier, de tourner son front vers le levant ou le couchant, il faut notamment, tendre une main secourable, au pauvre, à la veuve, à l’orphelin... Il faut, comme le recommande un célèbre Hadith, que le croyant s’investisse dans le grand Jihad qui consiste, non pas à vaincre les autres, mais à se vaincre soi-même : c’est-à-dire, se libérer de ses préjugés, de son égo, et surtout de cette bestialité qui sommeille en chacun de nous.
On voit bien que «tout ce qui monte converge». (Teilhard de Chardin.)
Mais, vos compatriotes sont-ils préoccupés par ce qui monte ?
Rien n’est moins sûr. En vérité, ce qui monte relève d’un combat perpétuel.
Durant toute votre carrière, vous avez participé de toutes vos forces à ce combat ; tant par vos prêches marqués du sceau de l’intelligence et de la pertinence, que par des actions salutaires que vous avez mises en avant comme Caritas Kaolack et les postes de santé, qui font le bonheur de vos compatriotes, toutes confessions confondues.
En vous souhaitant bonne réception de la présente, je prie Dieu Tout Puissant qu’Il vous accorde une santé de fer afin de passer une joyeuse retraite et vous permettre d’aider encore vos compatriotes à se hisser vers une constante élévation.