TANOR, TEL CRONOS
EXCLUSIF SENEPLUS - Avec la bénédiction de Macky, il fait appel à la Justice qui vient d'embastiller le maire Bamba Fall - Il est l'incarnation du dieu Cronos qui mange ses enfants pour ne pas avoir d’héritier
Quand le 30 mars 1996, le président de la République Abdou Diouf, l’alors président du Parti socialiste (PS), intronise Ousmane Tanor Dieng, son homme-lige, comme le nouveau Premier secrétaire, son oukase ne manque pas de créer un séisme politique au sein de la formation politique de Léopold Sédar Senghor. Le manque d’échanges critiques entre acteurs politiques concernés lors de cette rencontre historique et décisive dans la vie du PS a valu à cet événement l’appellation railleuse de « congrès sans débat ». Cet acte de réformation voire de refondation qui consacre l’arrivée massive de jeunes technocrates dans les instances du PS crée des dissensions profondes et des frustrations ingérables chez les anciens appelés « légitimistes » au point que le parti commence à s’ébrécher pour ne pas dire se fracturer. Mais les renouvellements frauduleux et bâclés prédisaient les décisions arbitraires qui allaient être prises lors de ce « congrès sans débat ».
De Charybde en Scylla
Djibo et plusieurs de ses camarades, premières victimes de Refondation dont le chef de file est Ousmane Tanor Dieng, flétrissent le centralisme démocratique du parti et remettent en cause le découpage arbitraire et partial des coordinations. Ainsi le 25 octobre 1997, à l’hôtel Indépendance, ils tiennent une conférence et lancent le courant du Renouveau pour contrecarrer la Refondation tanorienne. Le PS vient de connaître sa plus grave crise après le « congrès sans débat ». Les sanctions du bureau politique ne feront pas reculer les Rénovateurs qui tiennent la dragée au dauphin putatif du président Diouf, chef de file des Refondateurs. Et aux législatives de 1998, ils font une percée à l’Assemblée nationale avec 11 députés. Moustapha Niasse suit les traces de Djibo Ka et le 16 juin 1999, il publie un texte qui marque la rupture avec le PS version Tanor. Et le voilà exclu du PS. Les deux mastodontes qui se présentent contre leur ancien mentor à la présidentielle de 2000 pèseront lourd dans la défaite du président Abdou Diouf. Leurs scores (16,77% pour Niasse et 7,08) contraignent le candidat socialiste à un second tour d’où il ne sortira pas vainqueur. Ainsi Ousmane Tanor Dieng qui a dirigé la campagne d’Abdou Diouf, même s’il a été écarté intelligemment au second tour, récolte 41,51%. La défaite électorale de Diouf permet aux légitimistes socialistes restants de tourner casaque. Certains (Assane Diagne, Adama Sall, Abdourahmane Sow, Sada N’Diaye, Abdoulaye Diack, Iba Guèye, Aïda Mbodj et Salif Bâ…) transhument vers les prairies bleues alors que d’autres mettent sur pieds leur propre formation politiques. Le courant contestataire « Démocratie-Solidarité » voit le jour avec les apparatchiks Robert Sagna, Mamadou Diop, Souty Touré, Abdou Khadre Cissokho (qui a opéré un come-back), Moustapha Kâ, Madia Diop et Amath Cissé. La désignation contestée du Premier secrétaire comme le candidat socialiste à la présidentielle de 2007 par le Congrès d’investiture, le 13 janvier 2007, sous la présidence de Cheikh Abdoul Khadre Cissokho, Secrétaire à la vie politique du Parti socialiste et ex-co-fondateur de « Démocratie-Solidarité », poussera Robert à se présenter, au nom de son courant, sous la bannière de la formation de Tété Diédhiou, l’Union des forces démocratiques (Ufd). Finalement Tanor obtient 13,56% des voix se classant 3e derrière Wade et Idrissa Seck. Avec Tanor, la descente aux enfers continue. Il va de Charybde en Scylla. C’est ainsi qu’au sein du Ps, de nouvelles voix commencent à se faire entendre pour contester le leadership de Tanor et lui dénient la légitimité pour être le candidat du PS à la présidentielle de 2012.
En novembre 2009, les premières salves retentissent aux yeux oreilles de Tanor. Au micro de Radio France Internationale, Aïssata Tall Sall, porte-parole du Ps, annonce : « je suis dans les dispositions pour me présenter aux prochaines échéances électorales au Sénégal. Rien ne s’y oppose… Il y aura bien des primaires pour la désignation de leur futur candidat ». Même son de cloche du côté de Khalifa Sall à la même radio : « le Ps n’a pas de candidat naturelle. Les élections primaires sont prévues par nos textes. Si on avait pensé avoir un candidat naturel on ne les aurait jamais prévues ». Même Abdoulaye Wilane dont les atomes crochus avec Tanor sont connus de tous soutient la même position en déclarant que « le Ps peut avoir un candidat naturel, mais il n’est pas l’officiel ». Alioune Ndoye, maire de Dakar-Plateau enfonce le clou : « le Ps n’a pas de candidat naturel » martèle-t-il. La naissance d’un mouvement de soutien « And Dolel Khalifa » sonne comme un adoubement du maire de Dakar à la présidentielle de 2012. Nonobstant ces remises en cause de son leadership, Tanor s’accroche aux basques de son poste de Secrétaire général du PS pour se présenter en 2012. Mais les résultats du premier tour le place quatrième avec 11,30%. Une régression par rapport à 2007.
D’ailleurs c’est cette régression que Malick Noël Seck fustigeait sans aménités au point d’être exclu du PS. « Il a été confié à Tanor une mission à la réussite de laquelle il a failli. Il est aujourd’hui au Parti socialiste ce que l’écharde est à la blessure, et il ne partira pas tant que nous ne l’aurons pas nous même extirpé. Il est nécessaire, urgent et impératif qu’il soit destitué. Convergence socialiste ne saurait soutenir une liste qui n'a plus rien de socialiste » vociférait-il.
Ainsi après trois échecs successifs – 2000, 2007 et 2012 –, l’hallali politique de Tanor semble avoir sonné. Lui-même avait déclaré qu’il ne serait plus candidat à une autre présidentielle après 2012. Malgré l’échec à la présidentielle, Tanor se dédit et annonce sa candidature au XVe congrès du PS du 5 juin 2015 qui le réélit comme Secrétaire général du PS dans des conditions non transparentes.
Pas candidat mais « candidataire » caudataire
Il est avéré qu’en 2019, le Secrétaire général du PS n’est pas candidat, il est « candidataire » caudataire du président Macky Sall. Là que le bât blesse, c’est le refus de Tanor d’admettre un autre candidat socialiste en dehors de sa personne. C’est cette infatuation que les jeunes comme Bamba Fall, Barthelemy Dias, Aminata Diallo et autres militants imbus des idéaux de la social-démocratie récusent. Et pour éviter que Tanor et ses apparatchiks transforment le PS en comité de soutien de l’APR, de jeunes socialistes se sont présentés à la maison du parti le 5 mars 2016 pour troubler la réunion du bureau politique qui devait officialiser l’assujettissement du wagon socialiste à la locomotive apériste. Incapable de régler politiquement ce différend qui l’oppose aux contestataires pro-khalifa, incapable de transcender les remous consubstantiels à toute formation politique, Tanor et sa valetaille ont demandé, avec la bénédiction de l’Exécutif, le secours de la justice, laquelle vient de décerner plusieurs mandats de dépôts au maire Bamba Fall et compagnie. Au préalable, Barthelemy Dias a été délesté de son immunité parlementaire avant de faire face aux juges du Prince qui, à coup sûr, essayeront de compromettre sa carrière politique. L’objectif de Tanor est clair : tuer impitoyablement ses adversaires de parti selon la volonté du président Macky Sall. Aujourd’hui après que l’AFP est rayée de la carte politique, il reste à déstabiliser le parti de Senghor.
Aujourd’hui, le mérite de Tanor, c’est d’avoir sombré depuis 1996 le PS dans une abime insondable et de s’être débarrassé de tous ses contradicteurs excepté encore l’intraitable Khalifa Sall qui refuse toute compromission et collusion avec le président Sall. Il a saccagé l’héritage idéologique de Senghor qui s’est révélé être pour lui un véritable faix politique. Jamais Tanor n’a su refonder le PS et le mettre dans une nouvelle dynamique de conquête du pouvoir. Las de ses défaites successives, il a choisi de mettre à l’encan la formation de Senghor pour jouir des prébendes du pouvoir. Sachant qu’il n’a plus un avenir politique prometteur, il refuse de passer le flambeau aux jeunes loups ambitieux. Mais Tanor, c’est l’incarnation du dieu Cronos qui mange ses enfants pour ne pas avoir d’héritier. Mais la mythologie enseigne qu’un de ses enfants Zeus a échappé à son autophagie et lui Cronos finit ses jours dans le Tartare, la prison des Enfers située au profond de la terre.