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23 février 2025
par Jean Pierre Corréa
PASSATION DE SÉVICES ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La reddition des comptes s'annonce très sportive, avec peu de place pour l’esquive. Ce ne sont pas les déclarations de patrimoine comme celle de « Monsieur Frère », qui feront baisser le niveau de cette exigence sociale
« Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » - Montesquieu De l'esprit des lois
Cette semaine s’ouvre effectivement une nouvelle ère au Sénégal. Mais le bon sens commande au chroniqueur attentif à la vie politique de notre pays, de savoir qu’il n’est pas encore utile de voler au secours de la victoire. Aujourd’hui, l’heure est aux passations de services, avec toute la charge de ce mot rattaché à la rupture encore une fois promise par les nouveaux tenants du pouvoir. Alors, honneurs aux sortis, et au premier d’entre eux, Macky Sall, qui, sans rire, aurait lors de son dernier Conseil des ministres, recommandé à ceux-ci de ne surtout point transhumer… Venant de celui qui a joué le rôle de meilleur chargé de communication de son successeur, ça ne manque pas de piquant.
Le président Bassirou Diomaye Faye a été soutenu par toute une coalition et un parti en ordre de bataille. Il est clair que, a contrario, le nouveau citoyen marocain a lui surtout joué contre son candidat, voire contre les hommes de son camp, malgré les lettres qu’il leur a écrites et qui leur sont certainement allées, droit au cœur. Il aura soutenu Amadou Ba comme une corde soutient un pendu, et celui-ci est tout de même arrivé à faire mieux que lui en termes de voix, ce qui lui donne l’idée très démocratique de continuer le combat à travers une nouvelle offre qu’il aura tout le temps de peaufiner s’il arrive à bien incarner une opposition nette et constructive.
Serons-nous gouvernés par des « terroristes » ?
Dans la série de tâtonnements qui ont jalonné le second quinquennat de Macky Sall, il y aura eu, c’est sûr les innombrables et maladroites tentatives de tordre les règles constitutionnelles, pour lui permettre de se représenter, mais surtout la sensation que nous étions devenus un pays qui emprisonnait sans cause ses citoyens et les libérait sans conséquences. Qui ne se souvient de l’hilarante conférence de presse de la ministre de la Justice qui à la libération injustifiable de centaines de détenus, s’est tout de même réjouie d’avoir fait libérer des « terroristes », lesquels nous dirigeraient donc aujourd’hui ? Peu rassurant non ?
Ces passations de services entre sortis et entrants seront parfois empreintes de sentiments laissant entrevoir qu’ils devront bientôt se revoir, au vu de tous les dossiers appelant à une reddition des comptes et à un éclaircissement de certains dossiers qui ont contribué à pourrir le règne des Républicains, dont certains membres avaient des comportements kleptocrates qui ont alimenté cette colère aboutissant à cette raclée électorale du 24 mars 2024.
Des Oryx du Niokolo Koba transformés en « dibi haoussa », aux 1000 milliards du fonds Covid évaporés et perdus, pas pour tout le monde cependant, en passant par les explications douteuses de certains soudain fortunés, la reddition des comptes risque d’être très sportive, avec peu de place pour l’esquive, et ce ne sont pas les déclarations de patrimoine comme celle d’une étonnante tranquillité de « Monsieur Frère », qui feront baisser le niveau de cette exigence sociale, qu’il faudra mener de pair avec la satisfaction des attentes d’une population, que les baisses souvent impossibles des prix des denrées, n’arriveront pas toujours à combler. L’essentiel n’étant pas que les prix des denrées et du loyer soient bas, mais que les Sénégalais soient, grâce à un emploi et un travail rémunérateur, en mesure de se les payer.
Une page se tourne. Celles qui vont être écrites par ce nouveau et très attendu gouvernement, devront l’être avec le sentiment qu’il vaut mieux gouverner avec le sens du service qu’avec l’indifférence des sévices que l’on a pu infliger à tant de monde en toute désinvolture.
VIDEO
LA FIN DU CYCLE SENGHORIEN
En chassant le régime sortant, les Sénégalais ont également rejeté un modèle politique vieux de 64 ans selon Mamadou Diouf. Pour l'universitaire, cette élection est une "révolution" qui doit mener à la refondation d'une société minée par la gabegie
Invité exceptionnelle sur le plateau d'ITV samedi 6 avril 2024 après la victoire surprise de Bassirou Dioum Faye à la présidentielle, l'historien Mamadou Diouf, professeur à l'université prestigieuse de Columbia, a livré une analyse percutante. Selon lui, cette élection marque ni plus ni moins que la fin du "cycle senghorien", ce système politique vieux de 64 ans hérité de l'époque coloniale.
Pour Diouf, ce "modèle islamo-wolof" instauré sous Senghor reposait sur un contrat social entre la classe politique, les chefs religieux et les détenteurs de légitimités traditionnelles. Un système stable permettant d'éviter les coups d'État, mais qui atteignait désormais ses limites, incapable de s'adapter aux nouvelles aspirations de la société.
"Les Sénégalais ne se battaient pas contre une personne, mais pour le respect de leur Constitution", a insisté le professeur, voyant dans la contestation du 3e mandat la première brèche dans l'ancien système.
Avec la mobilisation populaire inédite et la victoire surprise du candidat anti-système Bassirou Dioum Faye, c'est donc un véritable tournant historique que le Sénégal vient de négocier. "Le cycle senghorien s'est clôturé", a tranché Diouf.
Pour l'universitaire, le nouveau président fait face à un mandat clair : répondre aux aspirations de la jeunesse qui a été le moteur du changement, en opérant une « refondation morale » de la société. Finie la gabegie des élites, place à une nouvelle gouvernance au service du bien commun selon Diouf.
L'historien préconise d'ailleurs des réformes de rupture comme la réduction du nombre de députés, la création d'un fonds pétrolier cogéré ou encore l'éradication du phénomène des talibés.
Une révolution à accompagner S'il se montre optimiste sur les capacités de mobilisation des Sénégalais, Diouf a également appelé sa génération à "accompagner les jeunes, mais dans un rôle invisible". Une nouvelle page s'ouvre pour le Sénégal, celle d'une nation qui semble décidée à rompre avec les vieux démons de son passé.
BIRAHIM SECK APPELLE LES AUTORITÉS À TAXER LE TABAC POUR SAUVER LA JEUNESSE
Tous les experts ont montré que la jeunesse sénégalaise est en train d’être « tuée au sens figuré comme propre par le tabagisme » a alerté Birahim Seck lors d’un atelier avec les journalistes en santé population et développement.
Le coordonnateur du Forum civil Birahim Seck appelé, samedi, le nouveau gouvernement à taxer davantage le tabac qui selon lui est entrain de faire des ravages sur la jeunesse.
Tous les experts ont montré que la jeunesse sénégalaise est en train d’être « tuée au sens figuré comme propre par le tabagisme » a alerté Birahim Seck lors d’un atelier avec les journalistes en santé population et développement.
Le coordonnateur du Forum civil interpelle à cette occasion le gouvernement d’Ousmane Sonko qui se fixe entre autres priorités la jeunesse de prendre les mesures idoines pour combattre ce fléau, invitant l’État à miser sur la taxation des produits du tabac.
« Les associations ont fait une lutte très importante contre le tabagisme jusqu’à obtenir une loi qui a apporté des innovations. Malgré les efforts des associations, il reste du travail à faire. C’est pour cela que le Forum civil, compte tenu de la politique définie au niveau mondial, a voulu apporter sa touche au combat par le biais de la taxation du tabac », a-t-il dit.
Il ajoute par ailleurs qu’au niveau de l’entité, le constat est qu’il faut impérativement que l’État taxe davantage les prix du tabac pour qu’il ne soit plus accessible non seulement aux jeunes mais qu’il puisse avoir des sources de revenus pour faire face au tabagisme.
« Il y a pas mal de dépenses qui sont effectuées pour soigner des personnes victimes de cancers qui sont souvent causés par le tabagisme », soutient-il.
Le Forum civil accompagnera ces organisations qui ont tant travaillé dans ce domaine pour que le gouvernement interdise de manière définitive le tabagisme dans les lieux publics, en plus de la taxation du tabac.
DÉCÈS DE MAGUETTE THIAM
Cet ancien ministre de l'Intégration africaine, célèbre figure de la gauche sénégalaise et fidèle du PIT, aura marqué de son engagement politique plusieurs décennies de vie politique nationale
Maguette Thiam, ancien ministre de l’Intégration africaine et personnalité importante de la gauche sénégalaise, est décédé ce dimanche, a annoncé le secrétariat du Parti de l’indépendance et du travail (PIT).
”Nous avons le regret de vous annoncer le décès de notre grand camarade Maguette Thiam. C’est une grande perte pour le parti, le Sénégal et, en particulier, sa famille. Qu’il repose en paix et qu’Allah l’accueille au paradis”, a indiqué la formation politique dans un message rendu public.
ABSENCE DU GOUVERNEMENT, LES CLARIFICATIONS DU PDS
"Le PDS a soutenu sans conditions la coalition Diomaye : pour la rupture, la justice et l’équité sociale, le Progrès Social et économique...", a indiqué le porte-parole du parti.
Le porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds) a tenu à apporter des clarifications sur l’absence de libéraux dans le nouveau gouvernement.
Dans le gouvernement formé par le premier ministre Ousmane Sonko, vendredi dernier, il n’y a pas de membres du parti démocratique sénégalais (Pds). Un fait sur lequel la formation politique de Me Abdoulaye Wade a tenu à apporter des clarifications.
«Le PDS a soutenu sans conditions la coalition Diomaye : pour la rupture, la justice et l’équité sociale, le Progrès Social et économique. Par conséquent, toute autre spéculation autour de la participation ou pas de notre Parti dans le Gouvernement, est hors saison», a indiqué Bachir Diawara, nouveau porte-parole du parti.
Le Pds reste attaché à sa ligne et ses principes, dit-il, non sans préciser : «Il n’y a aucun nuage entre nous et les alliés sur la question. Fort de son expérience et de son parcours, le Pds ne manquera pas d’apporter sa contribution sur d’autres questions stratégiques».
LA KORITÉ DEVRAIT ÊTRE FÊTÉE MERCREDI AU SÉNÉGAL
C'est ce que l'on déduit des conclusions de l'étude scientifique de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’Astronomie (Aspa) sur la visibilité du croissant lunaire.
Comme à son habitude, l’Association sénégalaise pour la promotion de l’Astronomie (Aspa) a fait un communiqué de presse pour partager ses informations sur la visibilité du croissant lunaire.
En effet, elle renseigne que le lundi 08 Avril, la lune se couchera à 19h 21mn alors que le soleil se couchera à 19h23mn. Ce qui fait que «le croissant lunaire ne sera observable nulle part sur terre».
Par contre, le Mardi 09 Avril, la Lune se couchera à 20h 21mn, soit 58 mn après le Soleil qui se couche à 19h23. Elle sera alors âgée de 25h 02mn et sa surface éclairée sera d'environ 1,6% avec une altitude de 12,4°. Le croissant sera donc «observable à l'ail nu au Sénégal partout où le ciel est bien dégagé, de même en Afrique, en Europe et en Amérique», indique l’Aspa.
Quant au Mercredi 10 Avril, la lune sera facilement visible partout dans le monde avec une surface éclairée de 5% et se couchera à 21h 24mn au Sénégal. Soit environ 2h de temps après le coucher du Soleil. «Ce qui est bien tard pour un premier croissant lunaire», indiquent Marame Kaïré et ses camarades.
LES GRANDS NOMS DES HYDROCARBURES AU SÉNÉGAL
La liste complète des multinationales concernées par l'audit de grande ampleur annoncé par le président Diomaye Faye, dont les résultats pourraient rebattre les cartes de l'industrie extractive nationale
(SenePlus) - Le nouveau président Bassirou Diomaye Faye a annoncé mercredi son intention de mener un audit des secteurs pétrolier, gazier et minier du pays, conformément à une promesse de campagne visant à renégocier les termes des contrats avec les opérateurs étrangers. Cette annonce intervient alors que le Sénégal s'apprête à devenir producteur de pétrole et de gaz cette année.
D'après un listing de l'agence Reuters du 4 avril, les principales compagnies opérant dans le secteur pétrolier et gazier sénégalais sont :
BP et Kosmos Energy "mènent le développement du projet GTA (Greater Tortue Ahmeyim), première usine de gaz naturel liquéfié (GNL) du Sénégal", qui "produira 2,3 millions de tonnes de GNL par an dans sa première phase" selon Reuters. BP est l'opérateur du projet avec 56% de parts, contre 27% pour Kosmos Energy.
Entrée dans le secteur sénégalais en 2014 après l'acquisition de parts dans les blocs offshore de Cayar et Saint-Louis où se trouve le gisement GTA, Kosmos Energy est devenue opératrice du champ gazier de Yakaar-Teranga avec 90% d'intérêt après le retrait de BP. Selon l'entreprise, Yakaar-Teranga compte "environ 25 trillion de pieds cubes de gaz advantagé".
Woodside Energy détient 82% du champ pétrolier et gazier de Sangomar situé à "environ 100 kilomètres au sud de Dakar" d'après Reuters, le reste étant détenu par Petrosen. La production du premier phase devrait débuter à la mi-2024 en visant 230 millions de barils de pétrole.
Total a signé en 2017 un accord pour explorer les blocs de Rufisque et Ultra Profond offshore, où elle est opératrice à 90% et 70%.
Ces informations montrent l'importance des enjeux autour de l'audit à venir, qui devrait redistribuer les cartes dans ce secteur stratégique.
Du côté minier, les principales entreprises citées par Reuters sont Endeavour, propriétaire de la mine d'or Sabodala-Massawa, Managem qui a acquis le projet Boto Gold, et Dangote Cement disposant d'une cimenterie près de Dakar.
PAR Oumou Wane
LETTRE À MAHAMMED BOUN ABDALLAH DIONNE
Nous avons échangé tant de mots, mais aujourd'hui, je veux te parler de toi. De l'homme, l'ami, le mari, le compagnon, le bon talibé... Que ceux qui liront ces mots sachent quel homme tu étais
Je m'adresse à toi avec une émotion si profonde que mes mots peinent à exprimer. Je suis là, face à ma feuille blanche, prête à te livrer ces lignes, pour te rendre hommage, pour témoigner de l'homme exceptionnel que tu étais.
Aujourd'hui, les larmes brouillent ma vue alors que je trempe ma plume dans l'encre. C'est un exercice difficile, mais nécessaire. J'ai tant de choses à te dire, à toi en premier lieu. Nous avons échangé tant de mots, mais aujourd'hui, je veux te parler de toi. De toi, l'homme, l'ami, le mari, le compagnon, le bon talibé... Que ceux qui liront ces mots sachent quel homme tu étais.
Je me souviens encore de ces moments où tu illuminais nos vies de ta présence. Ma dernière visite sur la terrasse de ton appartement, où tu imitais avec esprit la posture d'un homme politique, reste gravée dans ma mémoire. Cette image, si joyeuse, contraste avec la douleur de ton absence.
Mais aujourd'hui, le rire est absent. Dans le futur, lorsque la douleur s'atténuera, je pourrai mieux évoquer ta personne. Le temps, ce compagnon impitoyable, apaisera peut-être cette douleur, mais jamais nos souvenirs.
Je me souviens de nos débuts, alors que tu étais déjà un cadre brillant à IBM et moi une étudiante à Paris. Ces jours insouciants où je venais te rendre visite à ton bureau pour déjeuner avec toi restent gravés dans mon esprit. Je me souviens de nos vacances à Dakar, de nos sorties dans les salons de thé, à Gentina et Bruxelles...Nous étions jeunes, beaux, même si la vie avait déjà laissé ses marques sur toi.
Tu te souviens sûrement, de là où tu es, de ce petit livret de Coran que tu m'avais offert. Tu l'avais tiré de la poche de ton boubou en bazin. Lorsque je t'ai demandé pourquoi tu en avais autant dans tes poches, tu les as tous sortis et posés sur la table. Avec un sourire, tu m'as lancé :"Ma sœur, la protection ne suffit pas à contrer tous les missiles !"
C'était une tranche de vie !
Tu vois, Mahammed, dans cette vie effrénée, nous avons perdu l'habitude de nous écrire, de nous dire les choses essentielles. Pris dans le tourbillon du quotidien, nous oublions souvent de dire à ceux que nous aimons combien nous les aimons.
Il y a quelques jours, alors que tu étais en pleine campagne électorale à Gossas, je t'ai appelé.
J'avais entendu à la télévision qu'il faisait une chaleur insupportable là-bas. Tu m'as rassuré, m'envoyant ton programme de campagne et me disant que tu étais en pleine forme.
Je savais bien que tu étais épuisé par la rudesse du climat et le rythme de la campagne. Mais quand on aime quelqu'un, on le laisse faire ce qui le rend heureux, même si cela peut lui nuire.
L'amour et l'amitié vraie ont deux règles : l'une insiste, l'autre respecte et se plie.
Il y a des choses que l'on dit et des choses que l'on vit.
Comment raconter, comment vivre...
Lorsque j'ai reçu ce coup de fil, ce vendredi 5 avril 2024, une partie de moi s'est effondrée.
Mon interlocuteur, connaissant notre lien fraternel, m'a demandé de vérifier l'information avec tact.
Mon cœur s'est serré, comme si une partie de ma vie disparaissait devant moi. Une intuition m'a envahie, confirmant l'inconfirmable.
Ce vendredi 5 avril 2024, restera gravé à jamais dans ma mémoire. Les vendredis sont censés être saints, mais pour moi, celui-là restera marqué par la perte d'un être cher. Ton vendredi fut saint, le dernier du Ramadan, le vendredi de la nuit de l'Haylatoul Khadr... Les portes du paradis s'étaient ouvertes pour toi.
C'est le début d'une longue période d'acceptation, d'absence et de deuil. Peut-être que ces vers de Birago Diop apaiseront nos cœurs, peut-être pas, mais je les dis quand même.
Souffles
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l'Ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l'Arbre qui frémit, Ils sont dans le Bois qui gémit, Ils sont dans l'Eau qui coule,
Ils sont dans lEau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les morts ne sont pas morts....
Il redit chaque jour le Pacte, le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort, Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve, Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l'Herbe qui pleure.
Tu vois mon cher frère, je n'avais pas la force de t'écrire aujourd'hui mais le pacte de quarante ans qui nous lie est si fort que je ne pouvais pas me dérober devant la violence de la nouvelle pour t'adresser ces premiers mots. C'est un exercice difficile, je n'arrive pas toujours à le faire par lâcheté à chaque fois que la mort frappe mes proches de peur de remuer le couteau dans la plaie de ma souffrance. Il me faudrait un livre entier pour parler de toi.
Repose en paix au paradis cher frère et ami
Oumou Wane est présidente Citizen Media Group-africa7.
par Oumar Ndiaye
QUELLE NOUVELLE POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU SÉNÉGAL ?
Le Sénégal et le Cap Vert avec des trajectoires politiques et démocratiques similaires marquées par des alternances récurrentes et fréquentes, peuvent être les fers de lance d’une nouvelle renaissance ouest-africaine et même africaine
Allier la démocratie et l’économie dans une approche souverainiste , panafricaniste et internationaliste
À chaque changement de régime, les politiques intérieures comme extérieures sont scrutées pour savoir dans quelle direction un pays sera dirigé et drivé. La politique étrangère d’un pays est marquée par des constantes et des variables. Celle du Sénégal, ces deux dernières décennies , a été caractérisé par les constantes du bon voisinage ouest africain avec le président Wade et surtout théorisé par le président Sall par sa métaphore du « craton ouest africain » en référence à cette structure géologique de notre espace géographique sous régionale. Il y a sous Macky et Wade, comme constante, la consolidation de nos partenariats traditionnels (Maroc, France, Usa, Arabie Saoudite, etc). Il y a aussi et surtout la diversification de nos partenariats avec d’autres pays comme la Chine, la Turquie, l’Inde , le Brésil, Émirats Arabes Unis, etc, entamée par Wade et poursuivie et prolongée par Macky Sall jusqu’à faire du Sénégal , un pivot et une place de choix dans ce qui est appelé le Global South. S’agissant des variables, elles n’ont pas trop évolué sinon que cette ouverture vers d’autres partenaires. Ce qui permet de donner une direction ou encore des indications de ce que sera la politique extérieure d’un dirigeant à la quête du pouvoir, c’est dans doute son programme de gouvernance ou encore son projet de société.
La nouvelle équipe dirigeante du Sénégal a ainsi un programme qu’ils ont présenté aux électeurs, même si cette exercice dans notre démocratie est réservé à une certaine élite sachant lire et surtout comprendre les enjeux.
Connu pour leur approche souverainiste, nationaliste et panafricaniste, les nouveaux tenants du pouvoir au Sénégal dont la plupart viennent de l’ex parti Pastef, n’ont pas, à proprement parlé, penser une politique étrangère qui prend en compte la place et la dimension du Sénégal dans le monde. Dans le document qu’ils ont partagé, juste quelques lignes, sur 84 pages, sont réservées à ce qu’ils appellent : « Pour une véritable intégration sous régionale et africaine » avec entre autres des vœux pieux et radieux toujours déclarés et déclamés sous le vocable de la CEDEAO des peuples avec des reformes envisagées : « Nous porterons une initiative de réforme de la CEDEAO à travers le renforcement du Parlement de la Communauté, de la Cour de justice de la Communauté et une atténuation de la prépondérance de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement ». Il n’en demeure pas moins que la CEDEAO est une Communauté économique régionale (CER) que partagent 15 pays. Dans cette organisation, l’Article 9 du Traité qui parle de la Conférence des Chefs d'État et de Gouvernement des États Membres qui est l'institution suprême, dispose que : « Sauf dispositions contraires du présent Traité ou d'un protocole, les décisions de la Conférence sont prises, selon les matières, à l'unanimité, par consensus, à la majorité des deux tiers des États Membres ».
Donc quelque soit la volonté d’un pays, la valeur et la teneur de ses propositions, il sera difficile de les faire adopter dans une organisation qui traverse une crise conjoncturelle avec des contingences politiques et des divergences linguistiques. La CEDEAO qui, nous le rappellons, malgré les reproches qui lui sont faits, est l’une des meilleures sinon la meilleure Communauté économique régionale d’Afrique eu égard de plusieurs facteurs comme ces 17 % de commerce intrarégional (au-dessus de beaucoup d’autres organisations régionales) ; une libre circulation des personnes et des biens, même si les tracasseries persistent ; un attrait économique certain, etc.
La vision panafricaniste reste aussi présente et prégnante dans ce document programme avec cette phrase : « Nous renforcerons les missions diplomatiques du Sénégal dans les pays africains par la construction d’ambassades à la mesure du rayonnement international du Sénégal et l’affectation d’ambassadeurs et de diplomates expérimentés ». A voir si ce ne sera pas en contradiction avec cette volonté de réduire le train de vie de l’Etat tant chantée lors de la période de conquête du pouvoir, vu que l’élargissement de la carte diplomatique aura un coût même si le rayonnement international d’un pays n’a pas de prix.
A défaut d’avoir suffisamment d’éléments qui indiquent la direction que va prendre la politique extérieure d’un nouveau président, sa première visite officielle à l’étranger est aussi illustrative du sentier que sa diplomatie va prendre et le chantier à construire dans ce domaine. Si d’habitude, sous Wade et Macky, un pays de la sous-région et la France ont été les premières destinations, pour Bassirou Diomaye Faye, vu l’approche panafricaniste déclinée dans son programme, il est sûr qu’il se rendra en premier dans un État ouest-africain. Ce qui sera une continuité du craton cher au géologue Macky Sall. A ce niveau, nous estimons que le Cap Vert peut être un choix judicieux et aussi audacieux pour le premier déplacement du président Faye. Ce pays insulaire dont nous sommes le seul voisin immédiat, est à une heure de vol de Dakar. En plus de partager avec nous l’océan Atlantique, il est, comme le Sénégal, l’un des rares pays de notre espace ouest africain à de ne pas subir de Coup d’Etat. Cette longue tradition démocratique et de transmission pacifique du pouvoir du Sénégal et le Cap Vert doit être une phare qui illumine l’espace ouest africain assombri par des ruptures de l’ordre institutionnel qui ne font qu’occasionner un recul de la démocratie. Avec l’expérience ajoutée de nos deux pays, l’Afrique de l’Ouest peut être une terre où l’accession au pouvoir par les urnes serait une règle et non une exception.
Il sera ainsi facile d’opérer les changements souhaités à la CEDEAO qui par manque de moyens de coercition et de correction n’a pas pu juguler cette propension de conservation du pouvoir par les urnes avec les troisièmes mandats et sa conquête par les armes avec les Coups d’Etat. Depuis les années 90, l’Afrique de l’Ouest a traversé des crises majeures avec en toile de fond, la question de la démocratie. Lors de cette période, la plus grande menace venait des pays dits du Mano River (Libéria, Sierra Leone, Guinée) avec des rébellions sanglantes et des coups d’État à répétition. Ces pays ont pu sortir la tête de l’eau et amorcer une vague de démocratisation qui est en train de faire son chemin malgré quelques houles. Il y a eu aussi, depuis le début des années 2000, le terrorisme djihadiste qui est en train de consumer certains États ouest-africains. Aujourd’hui les crises ont changé de fusil d’épaules pour ne plus provenir des armes mais plutôt des urnes.
Il nous faut donc une stabilité institutionnelle dans tous les pays ouest africains afin de faire face à tous les défis sécuritaires, humanitaires, climatiques et économiques qui se posent avec avec acuité et dont la résolution ne sera pas sans difficultés.
Nos deux pays, le Sénégal et le Cap Vert, partagent surtout un espace maritime qui peut et va être prochainement un pivot de notre économie avec l’exploitation des hydrocarbures. Même si nous partegons avec la Mauritanie un des nos plus grands gisements de gaz, Grande Tortue Ahmeyim (GTA), il reste toujours dans notre bassin sédimentaire des poches pas encore explorées et qui pourraient être proches des côtes Cap-verdiennes. Sans ajouter que le Sénégal abrite depuis des siècles une diaspora cap-verdienne qui s’est totalement intégrée avec dans ses bagages son patrimoine culturel surtout musical que nous avons aussi adopté.
Dans le domaine sécuritaire, la mer est devenue un espace criminogène et le terreau fertile de plusieurs trafics (drogue, migrants, piraterie maritime). Il s’y ajoute qu’après leur implantation dans la zone continentale, les groupes terroristes visent le littoral c’est-à-dire la mer comme leur nouvel espace de projection. D’où l’importance de développer et de densifier notre coopération avec le Cap Vert avec qui beaucoup de choses nous lient : de la démocratie à l’économie.
Nous osons espérer que ces deux pays dans l’espace ouest-africain, le Sénégal et le Cap Vert avec des trajectoires politiques et démocratiques similaires marquées par des alternances récurrentes et fréquentes, peuvent être les fers de lance d’une nouvelle renaissance ouest-africaine et même africaine.
Oumar Ndiaye est journaliste, diplômé en Relations internationales et études de sécurité.
LE SÉNÉGAL DE SENGHOR À SONKO, UNE GESTION PARADOXALE DE L'ÈRE POSTCOLONIALE
Nous assistons à l’ouverture de la troisième République, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia
Gaston Kelman et Jemal M Taleb |
Publication 07/04/2024
Le Sénégal ne laisse aucun Africain indifférent parce qu’il s’est toujours présenté comme un modèle unique. Unique, il l’a été dans l’approche mémorielle de l’histoire de l’Afrique. En effet, avec la porte de non-retour de l’île de Gorée, on a le mémorial qui a su imposer à tous les présidents américains de s’incliner devant le drame de la traite négrière. On se serait attendu à ce que chaque côte africaine ait le sien. Le Sénégal l’a fait. L’honneur est sauf. Un jour peut-être… Un jour qui sait… Les autres comprendront que les âmes des déportés attendent cela de nous pour devenir respectables au pays des ombres. Après le mémorial pour l’histoire, la bien nommée Statue de la Renaissance dont l’espérance de vie est plus que millénaire, pointe le doigt vers un avenir radieux et offre au continent qui en manque cruellement, une trace de notre génération pour la postérité.
Mais le Sénégal est aussi unique dans sa gestion paradoxale de l’ère postcoloniale, mélange d’une aliénation outrancière à l’Occident et du plus bel espoir de changement. En effet, la gouvernance des nations africaines postcoloniales s’inscrit sur quelques axes majeurs. Les frontières entre ces axes ne sont pas étanches. Nous allons nous contenter d’en illustrer trois ici, parce qu’ils comportent des des éléments assez forts non perceptibles à première vue. Tous ces axes sont des suites bien logiques d’une histoire unique, celle de l’Afrique et de l’Afrique francophone en particulier, faite de violence, de soumission, d’humiliation, d’aliénation, de traumatisme. Il y a au cœur de tout cela, cette difficulté de la France à comprendre que le monde évolue, même l’Afrique. Puis on voit poindre quelque chose comme une aube nouvelle au pays des énigmatique Signares.
Premier axe : le temps des coups d’état.
Le coup d’état est un mode assez répandu d’accès au pouvoir en Afrique. C’était le modèle le plus logique. Le colon avait fait signer des accords iniques par des dirigeants dont il avait organisé l’accession au pouvoir. Si quelqu’un ne correspondait pas ou plus à son modèle, il le faisait déposer par un plus docile. Tenus par la peur, les dirigeants espéraient ne pas devoir assister à la destruction programmée de leur pays comme ce fut le cas pour la Guinée, parce que Sékou Touré avait osé dire non au plan unilatéral de la France sur son pays.
Un autre aspect justifiait le coup d’état. Le colon a usé de la violence comme seul modèle d’exercice de pouvoir sur les indigènes. Le gouverneur venu d’un pays démocratique n’était pas élu par ceux qu’il dirigeait. Il leur était imposé par la force et exerçait cette force sur eux comme unique outil de gouvernance. C’est donc le seul modèle de dévolution et de conservation de pouvoir que le dirigeant africain connaissait.
Il convient de noter que le coup d’état n’est pas mort. Il reprend même de la vigueur. Pourtant, le concept a très fortement évolué. Jadis, c’est l’Occident qui fomentait des coups d’état pour mettre des dirigeants à sa solde. Il n’a d’ailleurs pas abandonné cet axe. Mais aujourd’hui, les coups d’état sont aussi organisés localement pour déposer les dirigeants que l’on juge trop à la solde de l’Occident.
Deuxième axe : la tentation dynastique.
Il y a quelques années, le coauteur de ce texte, Gaston Kelman, publiait un article intitulé « La tentation dynastique ». Il soutenait que c’était le modèle de gouvernance le plus conforme aux aspirations des humains. C’est celui dont on trouve la trace dans tous les peuples non acéphales. En Occident, il était déjà en cours pendant la période de barbarie médiévale. On le retrouve à la renaissance et il assure le développement de l’Occident. La démocratie inventée cinq siècles avant l’ère chrétienne ne séduit personne et n’a absolument pas ébranlé ce modèle qui allait de pair avec la monarchie. C’est quand il a achevé son développement avec ce système aux contours clairs – je suis le chef et je lègue le pouvoir à mon fils – que l’Occident a mis en place ce fourre-tout qui a pour nom « démocratie » dont on ne trouve pas une application identique dans deux pays. Ici, on a recours à la votation-référendum, ailleurs la démocratie est dite représentative, avec une élection par les individus ou par les grands électeurs, au scrutin uninominal ou de type proportionnelle, elle même totale ou partielle. Et après avoir démocratiquement élu ses représentants, le peuple est obligé de descendre dans la rue tous les jours pour se faire entendre, pour faire respecter ses droits, parce que quelques lobbies n’en font qu’à leur tête et se paient la sienne.
La tentation dynastique est logique dans les nations en construction comme les nations africaines ou les… Etats-Unis d’Amérique. Qui peut imaginer que Georges W. Bush aurait été président si son père ne l’avait été avant lui ! Hilary Clinton aurait-elle rêvé de la Maison blanche si elle ne l’avait connue à travers son Bill ! On sait que Barack Obama y a pensé – et peut-être y pense encore – pour sa Michelle et que les Kennedy un instant ont été convaincus qu’ils allaient se céder le bail les uns après les autres, par ordre d’aînesse sur plusieurs générations. En Occident et en France en particulier, les présidents de la république créent souvent une véritable cour familiale autour d’eux.
Fort logiquement, le modèle dynastique a le vent en poupe en Afrique. Il ne s’agit point d’approuver ou de désapprouver. Personne ne se félicitait des coups d’état. Ils étaient logiques parce que le dominant ne voulait pas lâcher le dominé. Le modèle dynastique qui s’insinue dans le paysage africain charrie toute la panoplie de personnages qui va avec, le dauphin, le régent et même Brutus. Parfois elle prend des formes qui pourraient échapper aux statistiques. Sur une vieille photo en noir et blanc des années 1960/1970 (à voir en illustration 2), on voit divers personnages. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils ont tous exercé le pouvoir suprême et continuent à se léguer le palais présidentiel. Il y a la Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964/1978) qui tient un gamin de cinq ans par la main. On y voit Daniel Arap Moï qui sera le deuxième président (1978/2002) et Mwaï Kibaki (2002/2013) qui sera le troisième. L’enfant que Jomo tient en main, c’est son fils Uhuru, qui avait été élu en 2013.
Point n’est besoin de faire l’inventaire de la situation actuelle. Les cas sont nombreux. On a – ou on a eu – au pouvoir des régences, des Brutus et des dauphins. Il paraît que le président camerounais, un modèle assez exceptionnel de longévité, caresserait le rêve – ou y serait poussé par la courtisanerie – de voir son fils Franck lui succéder.
L’axe majeur : les nervis de l’Occident et de la France en particulier.
L’Afrique est secouée par des mouvements de révolte. On a l’impression d’assister au deuxième acte des indépendances. Ces mouvements sont-ils identiques partout ? Ce qui est certain, ils sont tous placés sous un commun dénominateur, le sentiment anti français. C’est ce bel euphémisme qu’ont choisi les médias hexagonaux. Mais hélas, la situation est bien plus explosive, beaucoup plus préoccupante qu’un pâle sentiment. Il s’agit de la haine suscitée et entretenue par l’arrogance des gouvernants français, leur autisme face aux évolutions en Afrique. Cette situation est décriée même par certains élus et inconditionnels de la France. Cette situation a créé un sentiment de ras-le-bol qui frise l’asphyxie au sein de la jeunesse.
Il existe sur le continent des dirigeants que l’on considère à la solde de la France. Ils seraient plus là pour les intérêts du maître que pour le développement de leur pays. Ce sentiment a été renforcé récemment par le soutien que ces dirigeants on apporté à l’Eco, cette monnaie que l’on a proposé pour remplacer le CFA.
La colère a franchi un cran avec la levée de bouclier de la CEDAO contre le coup d’état au Niger. La lecture que le continent a fait de la position de la CDEAO était qu’elle obéissait à la France qui gigotait dans des positionnements ubuesques, d’un comique troupier. Certains de ces présidents vont jusqu’à dire qu’ils doivent tout à la France et que leurs pays vivent sous perfusion grâce à l’aide au développement. L’obstination de la France à s’appuyer sur ces nervis, plutôt que de concevoir un autre système de relations avec l’Afrique, voilà le carburant du ressentiment de la jeunesse africaine. Et parmi cette jeunesse, on compte le nouveau pouvoir du Sénégal.
Le Sénégal, un cas à part.
Puis il y a le Sénégal qui apparaît au départ comme la terre de l’aliénation et de l’adaptation simiesque au modèle occidental, et français en particulier. Paradoxalement au fil de l’évolution de la gouvernance de ce pays, on observe un mouvement ascendant, comme irrésistible, espoir de désaliénation. Avec l’avènement du nouveau pouvoir, nous avons réparti l’ère post coloniale du Sénégal en trois républiques.
1. Senghor et la république de l’aliénation.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce Sérère dans cet inattendu degré d’aliénation pour un intellectuel ! En effet, l’on conçoit fort bien que le traumatisme de l’impérialisme pousse le dominé à se croire inférieur. Mais dans toutes les situations, l’essence de l’intellectuel est de prêcher la libération, ce bien vers lequel aspire tout individu. Et du temps de la lutte pour la libération, on n’imaginait pas un intellectuel digne de ce nom qui ne soit pas « engagé ». L’engagement était le signe distinctif de l’intellectuel colonisé et toutes les dissertations de français tournaient autour de ce thème.
Des compagnons de route de Senghor qui ont connu la même histoire (Mamadou Dia le colonisé) ou même des situations plus complexes (Césaire, descendant d’esclave et colonisé) ont eu des discours plus libres, plus engagés. On n’oubliera pas Le discours sur le colonialisme de Césaire et son cri selon lequel, le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France. On n’oubliera pas non plus le Cahier d’un retour au pays natal, véritable manifeste de la libération et de la grandeur future de l’Afrique qu’il voit « multiple et une, verticale dans sa tumultueuse péripétie, avec ses bourrelets et ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle comme un cœur de réserve ».
Senghor ne voit l’Afrique que sous la tutelle de la France. Il est dans une allégeance assumée, revendiquée, professée. Il veut y embarquer le Sénégal et toute l’Afrique qui pour lui est «attachée à la France par le nombril». Le plaidoyer du premier président par rapport à la langue française est tout simplement inqualifiable. Le Français, cet outil merveilleux qu’il aurait trouvé dans les décombres du colonialisme, il voudrait l’ériger en trésor africain, dont les langues maternelles occuperaient désormais la même place que le basque ou l’occitan. La fascination de Senghor par rapport à la langue française – et l’allégeance à la France qu’elle reflète – est sans borne. « Le français, offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des alizés la nuit sur les hautes palmes, à la fulgurance de la foudre sur la tête des baobabs_ ». Désormais, après avoir fait verdir les chênes et rougir les vignes, la poésie française sifflera sur la cime des palmiers et des baobabs d’Afrique. On a l’impression que pour lui, son sérère natal, le wolof, le bambara, la langue de Servantes ou celle de Dante ne peuvent pas exprimer la poésie. En un mot, c’est la France et la colonisation qui ont créé l’Afrique. La France elle-même n’en demandait pas tant.
On a de la peine a penser qu’un intellectuel, de surcroit président d’un état, ignore que les deux fondements d’une nation sont justement le territoire et la langue ; que comme le lui opposera Sembene Ousmane, «on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères». Justement, Senghor ne demande pas la décolonisation de l’Afrique, mais son effacement et sa dissolution dans la francophonie. Vous avez dit francophonie ! On lui offre généreusement d’avoir été le créateur de cette supposée unité culturelle. On lui offre une place à l’Académie française et un peu partout, on pense au timeo danaos_ du grand prêtre troyen Laocoon. Après le poète qui voudrait assujettir le culture africaine à la francophonie, l’homme politique va défendre les intérêts de la France et pour atteindre cet objectif, rien ne va l’arrêter.
Même pas son compagnon de route, Mamadou Dia. Avec le père de la Négritude, il fonde en 1948 le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Les rôles sont repartis. Senghor sera président de la république et lui Président du conseil des ministres dès 1956. C’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal. Le modèle de gouvernement est un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Senghor président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. Mamadou Dia élabore la politique intérieure et économique du pays. Plus radical que Senghor, il veut rompre le vis-à-vis avec la France en diversifiant les partenaires. Pour Senghor c’est non-négociable. Il organise le renversement de Dia pour sauvegarder les intérêts de la France et le condamnera à la prison à perpétuité dont il purgera douze années.
En quoi la position du poète président est-elle exceptionnelle ? L’Afrique a connu et connaît encore des dirigeants assujettis. Mais chez les uns et les autres, on sent plus la peur que la conviction. Il y a parfois aussi des aliénés naïfs qui pensent que l’aide de l’occident leur est nécessaire. Avec Senghor, nous sommes en présence du complexe du dominé qui n’arrive pas à se libérer de l’emprise du maître. L’aliénation de Senghor est unique. Il n’a pas peur de la France, il l’aime. Il lui est dévoué. Il est convaincu qu’elle est supérieure et que l’Afrique doit l’accepter et s’arrimer à elle, faire partie comme au temps jadis, de l’empire colonial, de la même façon que la Martinique ou Wallis et Futuna.
L’ère de l’aliénation Senghorienne se terminera avec l’appendice Abdou Diouf, roi fainéant, qui récoltera lui aussi pour services rendus, une retraite dorée au sommet de l’organisation de la… francophonie.
Abdoulaye Wade le bâtisseur ou la deuxième république.
Après l’intermède Diouf, un géant de l’Afrique contemporaine prend le pouvoir au Sénégal. C’est aussi un ancien et permanent opposant à Senghor. Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à la faveur de la démocratie, ce canevas de la culture occidentale supposé universel et panacée du développement. C’est occidental, donc c’est excellent pour cette annexe de l’Occident que le Sénégal a toujours rêvé d’être. Les longues années de l’opposition, et l’indéniable intelligence de Gorgui, cet homme plein d’ambition pour son pays, vont faire le reste. L’homme est un prince bâtisseur. Il ne veut rien de moins que de changer la face du Sénégal. Il ouvre des chantiers pharaoniques dans l’urbanisme et les infrastructures. La puissance symbolique de certaines de ses réalisations est inégalée. La statue de la Renaissance est la première merveille de l’Afrique contemporaine et les monuments qu’il envisage de bâtir sous le nom des sept merveilles sont une ambition de grand homme.
Abdoulaye Wade va solliciter un troisième mandat pour terminer l’œuvre engagée. Il ne l’aura pas. Si Senghor a réussi à positionner son dauphin, Wade sera éjecté par le sien, Brutus Macky Sall. L’homme mènera une campagne farouche contre son ancien mentor pour soutenir contre vents et marrées cette nouveauté qu’est la limitation des mandats. Le Sénégal y tient mordicus, car ce doit être un indicateur des sociétés civilisées. Le discours le plus courant de Dakar à l’époque était le suivant. « Wade est excellent. On n’aura pas mieux, mais il a fait ses deux mandats, il doit partir ».
Que retiendrons-nous du règne appenditiel de Macky Sall ? Qu’il a poursuivi vaille que vaille quelques chantiers de Wade ; qu’il a construit un TER trop utile mais trop coûteux, ou qu’il se félicitait de l’amour que la France a toujours manifesté pour le Sénégalais, puisque les soldats sénégalais avaient le dessert et les autres rien. Peut-être on retiendra aussi cet alignement caricatural et attristant à l’option dictée par Paris sur les coups d’état qui secouent le Sahel. Mais on retiendra surtout sa volonté farouche de ne pas s’appliquer la limitation de mandats. Et tout y est passé, l’interprétation très opportuniste des textes constitutionnels, le harcèlement et l’emprisonnement arbitraire des opposants, la répression sanglante des soulèvements populaires…
Bassirou Diamoye Faye et la rupture de la troisième république.
Une image a fait le tour de la planète. Un jeune homme arpente une plateforme, une femme à sa droite, une femme à sa gauche. Cet jeune homme, c’est le nouveau président du Sénégal le soir de son élection. Et ces deux jeunes dames, ce sont ses épouses. Nous sommes au Sénégal, un pays africain où la polygamie est autorisée. Nous sommes en présence de Bassirou Diamoye Diakhar Faye, le tout nouveau président de la république et de deux jeunes dames, en beauté, en grâce et au port altier. On écrirait une encyclopédie en plusieurs volumes pour analyser la puissance de cette image. En Afrique, beaucoup de présidents ont plusieurs épouses. Mais la pensée unique leur interdit d’assumer leur culture. La même pensée unique ici vante parfois son charme et l’appelle affectueusement « poly amour ». Alors, ces présidents et hauts responsables tartuffent à qui mieux-mieux et laissent leurs épouses dans l’ombre. Le jeune président assume. Mais ce n’est pas tout.
Le jeune homme qui parade avec ses deux épouses n’est pas celui qui était prévu à cette place. En fait, le père de cette aventure se nomme Ousmane Sonko, l’homme a abattre du régime Sall. Il aurait pu mettre le Sénégal à feu et à sang. Il a choisi une voie inédite. Puisqu’il est l’homme a abattre, puisqu’il ne cherche pas le pouvoir mais le bien du Sénégal, il trouve parmi ses compagnons celui que le magnat Sall ne pourra pas récuser. Et comme l’équipe est porteuse d’une vision et que nous sommes au Sénégal où on ne court pas derrière un messie mais derrière un programme de changement, le choix du parti est plébiscité par le peuple. On a connu des situations en Afrique où des candidats demandaient le boycott des élections présidentielles quand ils ne pouvaient pas se présenter ou celui des autres scrutins pour qu’il n’y ait pas un conseiller municipal de leur parti, encore moins un maire ou un député qui pourraient leur faire de l’ombre.
Quelle que soit la suite que ce gouvernement donnera à son aventure, nous assistons à une authentique révolution dans le modèle de gestion du pouvoir en Afrique. Nous assistons à l’ouverture de la troisième république, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia.
Tout le monde peut se revendiquer de Mamadou Dia puisque l’aliénation senghorienne ne fait plus recette. Le baptême d’un bâtiment ou d’une rue en son nom, c’est bon à prendre. Mais l’ancien président du Conseil posait l’autonomie de son pays par rapport à la France comme un impératif. Depuis son éviction, aucun président sénégalais, même pas Abdoulaye Wade, n’a osé relever le défi, viser ce niveau d’émancipation mentale. C’est donc à ce rendez-vous avec l’histoire que l’on attend de cette équipe de jeunes au profil de baba cool. Elle aussi revendique l’héritage de Dia. Le discours de campagne allait dans ce sens. Ousmane Sonko et ses camarades ont martelé leur exigence : que la France nous laisse tranquille comme les autres anciennes puissances coloniales le font pour leurs anciennes colonies. Les premiers gestes de la nouvelle équipe sont prometteurs et portent une puissance symbolique novatrice. Et en filigrane, on croit entendre comme ces mots d’Aimé Césaire quand il hurle aux autres, accommodez-vous de moi, je ne m’accommoderai point de vous.
Gaston Kelman est écrivain.
Jemal M Taleb est avocat au barreau de Paris, Diamantis & Partners.