ADJI SARR, LA DOUBLE PEINE
La notion de complot politique lancée par Sonko dès le début de l’affaire a produit les mêmes effets que celle de «propagande ennemie» en devenant un mur entre les Sénégalais et la raison ou le simple bon sens
Le Dr Joseph Goebbels, ministre de l’Education, du peuple et de la propagande de l’Allemagne nazie (1933- 1945), avait un immense talent. Dr Goebbels avait convaincu les Allemands que tout ce qui n’était pas pro Hitler, et surtout quand ça venait de l’étranger, était «propagande ennemie».
Cette notion de propagande ennemie était devenue un réflexe mental chez les Allemands, et avait fini par être un mur entre les Allemands et la raison ou le bon sens, parce que la Grande Allemagne, le pays de la pensée, secrétait par réflexe des «mécanismes du soupçon» pour tout ce qui ne venait pas des officines du Dr Goebbels.
Au Sénégal, toute chose étant égale par ailleurs, la notion de complot politique lancée par Sonko dès le début de l’affaire Adji Sarr a produit les mêmes effets que celle de «propagande ennemie» en devenant un mur entre les Sénégalais et la raison ou le simple bon sens. C’est de bonne guerre parce qu’étant redoutablement efficace. Par réflexe, l’idée du complot a développé des mécanismes du soupçon contre toute parole et même contre le bon sens ou l’empathie.
Si la notion de complot politique n’était pas devenue un rempart contre la raison et le bon sens, on comprendrait vite que Adji Sarr, la petite Niominka, n’est pas une nouvelle Mata Hari et encore moins Judith de Bethulie de l’ancien testament décapitant le Général Holopherne, scène immortalisée par le Caravage à la Galerie d’art ancien de Rome. Judith, après avoir séduit et enivré le Général assyrien, le décapita pour sauver son Peuple de l’offensive que se préparait à lancer ce bourreau.
La petite Sérère Niominka que j’ai vue à l’écran n’a pas le sens de l’intrigue d’une Mata Hari ou le cran de Judith. Cette jeune fille est doublement victime et le rempart contre le bon sens que renferme la théorie du complot politique nous empêche de le voir. Elle est victime physiquement, moralement, pour avoir été condamnée avant d’être entendue, avec une présomption de culpabilité et surtout socialement (c’est dur à l’âge de l’insouciance de devoir trimer pour survivre).
Vingt ans, c’est le bel âge, l’âge de l’insouciance, de la Fac, des grands rêves, pas un âge pour être l’agnelle de sacrifice d’un pays en transes. Je ne pense pas que Adji Sarr, qui n’est ni Mata Hari, encore moins Judith, puisse pousser la logique du complot jusqu’à attraper une grossesse. Celle qui appelle naïvement Sonko à venir jurer sur le Coran ne peut pas être aussi cynique ou machiavélique. Nous assistons à l’éternel combat entre David et Goliath.
Si Adji Sarr est dans cette situation, c’est en grande partie parce qu’elle est la fille de personne ; d’où cette succession d’abus de faiblesse sur le plan professionnel, sur le plan social. On est en train de transformer une pauvre petite victime en coupable de tous les péchés d’Israël. Comme dit le proverbe africain, «quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui en souffre».
La petite Niominka qui est l’herbe dans cette bataille d’éléphants est forcément une victime, quel que soit le schéma. Les féministes du pays de la Téranga et de la parité avaient une grande cause, mais ont déserté à cause de la terreur intellectuelle ou du caractère infranchissable du mur de la notion du complot politique qui nous déconnecte du bon sens et des grands principes.
Même si Adji Sarr a fait tomber un pan du mur de la notion du complot politique qui nous séparait de la raison, du bon sens, de l’empathie et même de la pitié, il est peu probable que nos féministes s’y engouffrent.
A l’ère et l’heure de Me Too, nos féministes ont manqué d’audace. Ça aussi, c’est une exception sénégalaise