AINSI COMMENÇAIENT LES PREMIERS JOURS CORONÉS
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps – En me levant, mon premier geste, c'est de tirer le rideau de ma chambre et d'apprécier l'horizon qui hélas n'est pas fameux depuis des mois à Dakar. Le Covid-19 n'a pas chassé la pollution et tous ses problèmes
JOUR 1 (mardi 24 mars 2020)
#SilenceDuTemps – Ce matin après avoir gentiment demandé à papi viou d'aller faire un tour... ailleurs, je me suis mise à faire un peu de ménage. Odile ne vient plus qu'un jour sur deux. Et après avoir fait mon lit, je me suis lancée dans le ménage de notre Salle De Bains (SDB). Me voilà à 4 pattes, question de protéger mon gentil et fragile dos, autour de la cuvette des WC. Il y a quelques jours déjà je disais à Viou, qu'après 16 ans de bons et loyaux services cette chaise pourrait être changée d'autant que j'y remarquai des taches qui me paraissaient indélébiles. Mais quand j'y suis allée avec mon énergie, grande énergie d'ailleurs, car depuis quelques jours je me suis remise au yoga, et pas celui du coach inaccessible, mais bien celui de Srisri je ne sais plus, yoga respiration, un plaisir. Or donc comme dirait mon pote Léo, j'ai frotté persuadée que c'était l'usure du temps et j’ai frotté encore et devinez quoi ?
Bon, c'est vrai que la mère Odile ne voit pas bien et refuse les lunettes que nous lui avons prises de force après 2 visites chez l'ophtalmologiste... Coquetterie ou ignorance, I don't know !
Et pour pallier tout, nous lui avons collé une adjointe, mais apparemment sans grand succès…
Tiens papi viou est arrivé tel un pêcheur lebou les bras chargés ; « mais où donc vais-je mettre toute cette pêche », n'ai-je pas eu l'idée de dire tout haut et surtout j’ai plus beaucoup de sacs congélation.. Alors système D ! J’ai d'abord fait comme ma poissonnière et donc coupé la queue dépassant et pour fermer hermétiquement j’ai pris le gros rouleau de scotch celui qui sert à faire les tupperware remplis de "tiep'u wekh à la M." prêt à voyager. J'espère que ça va tenir…
En allant me laver à la SDB, j'ai fortement éternué plusieurs fois et Viou était au téléphone, son interlocuteur s'est inquiété de qui éternuait comme çà, avec tout ce que cela veut dire par les temps qui courent.
En prenant des nouvelles de mon amie et sœur Mamilou, on s'est bien marrée en se quittant en disant qu'on avait heureusement WhatsApp, mais que nak dit-elle « celui de family mamina va si vite... » Et moi de penser si elle voyait celui des vadrouilleurs elle serait par terre ; ouh les vadrouilleurs ça va vite dé. Et puis je n'en peux plus de tous les posts hilarants.
Bon, viou n'a toujours pas vu de changement dans la SDB et j’attends avec impatience ce petit moment si agréable de me servir un petit verre de punch à la vanille que j'ai fait il y a des années sans jamais y toucher... Il est délicieux, j'y ai rajouté un excellent rhum de Cuba, il était trop doux à mon goût. À la santé de corona aytcha.
JOUR 2
En me levant, mon premier geste et pas à cause de M. Covid, c'est de tirer le rideau de ma chambre et d'apprécier l'horizon qui hélas n'est pas fameux depuis des mois à Dakar. Peu de différence entre ciel et mer, hélas le Covid-19 n'a pas chassé la pollution et tous ses problèmes avec. On va donc continuer de faire avec. De toute façon aujourd'hui j’ai à faire avec mes cours à reprogrammer. Comme il n'y aura plus de biennale et c'est dommage, car on commençait à s'amuser avec nos deux programmes, dont le carnaval des identités architecturales de Dakar. Imaginez-vous des masques à porter comme l'Afrique a su en produire et qui ressemble à la Foire, la gare de Dakar, le building communal, le building Maginot, le Musée Senghor, la baraque en bois de la Médina ou le Benténier géant du quartier Mbot lebou...aux sons de Assiko, de Goumbé dansés par les danseuses de Yoff, de la fanfare, de la capoiera... Carnaval allant çà et là dans les rues de Dakar.
Il me faut abandonner en plein vol le carnaval et réorienter le semestre et vers quelque chose du genre la mutation de l'arbre dans Dakar depuis les années 60... Et on travaille via les réseaux sociaux. D'ailleurs je me suis fait moquer par les étudiants lors de notre réunion du conseil pédagogique du collège de crise Covid-19 le lundi 16 mars. Lorsqu'il s'est agi de faire le tour des outils utilisés pour communiquer, j’ai dit Skype ce qui a fait rigoler les représentants des étudiants et je ne sais vraiment pas pourquoi, Skype me semble pourtant bien moderne. Petite pause pour ma séance de yoga respiration, que j'espère continuer après le Covid tant cela me fait du bien. La chanson "Sound of silence" qui passe au générique du film offert par une chaîne de TV vient me sortir de mes 10 minutes de relaxation en fin de séance, il n'y a pas de hasard, non ?
Et je reprends mon travail de profs une oreille baladeuse vers les musiques de ce film dont je n'ai pas retenu le nom, mais des musiques qui me replongent dans mes années 70, peut-être même 69, Venus, ohlala "I'm your fire, at your desire...", que l'on chantait à tue-tête, Aïcha dira sûrement : "je me revois au Caveau ou au 732 en début de soirée aux heures permises par les parents, de 7 à 9 ! Que de souvenirs…
Le temps passe si vite lorsque nous sommes attablés devant nos ordinateurs en oubliant de bousculer Odile qui par temps de Corona oblige, doit rentrer à 16 h au plus tard. Il est 18.30, Y. ma fille nous fait peur « il n'y a plus de taxi sur la place… » ; on s'emballe et finalement le journaliste qui a le sésame pour braver le couvre-feu va la déposer chez elle. Moment de panique réelle, les vidéos qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux depuis hier montrant les flics bastonnés ceux qui ne respectent pas le couvre-feu auront fini par user nos nerfs. Preuve que ma réserve de yoga est loin d'être suffisante. Hier soir nous avons longuement parlé avec notre parisien de fils en fait, c'est lui qui nous a appelés comme tous les jours pratiquement depuis qu'il est confiné dans son appartement nous échangeons et hier cela ressemblait beaucoup à du dakhi'kor pardon dakhi' covid…
Alors plutôt en rire. Et en tout cas nous ici en avons ri de ces parisiens fuyant vers des horizons meilleurs pour éviter le confinement, emportant avec eux Covid et « caillassés » par les... autochtones furieux de les voir débarquer, pensant se mettre à l'abri ou plutôt en vacances quand cela brûle partout même dans les campagnes.
Ah ! ces parisiens qui voudraient qu'on les plaigne, par ce que, aujourd'hui leurs quotidiens de confinés va être douloureux puisque même dire bonjour à son voisin de palier n'est pas dans leur habitude, il leur faudra gérer leur individualisme et tutti quanti... Et que donc pourquoi les plaindre puisqu'ils ne sont que le résultat de ce qu'ils ont construit depuis... Bien entendu, grande opposition avec mon fils si parisien. Cet épisode Covid-19 devra leur apprendre à vivre autrement et le NTP (nouveau type parisien) devra se construire de cette terrible crise, mais pas que lui de toute façon. Nous tous, chacun à notre niveau.
Et pour finir, j'accepte par ces temps de réaménagement à la maison de servir le repas dans les plats de cuisson, ce que j'ai très souvent refusé, détesté même. Comme quoi tout est possible.
Dans le cadre du projet d’écriture #SilenceDuTemps, retrouvez tous les dimanches sur SenePlus, le « Journal d’une confinée » d’Annie Jouga.
Annie Jouga est architecte, élue à l’île de Gorée et à la ville de Dakar, administrateur et enseignante au collège universitaire d’architecture de Dakar. Annie Jouga a créé en 2008 avec deux collègues architectes, le Collège universitaire d’Architecture de Dakar dont elle administratrice.
Épisode 2 : AVEC LA BÉNÉDICTION DE FRANÇOIS, LE PAPE LE PLUS AVANT-GARDISTE