AIR SÉNÉGAL, SOURCE DE CONVOITISE, CORSAIR ET AIR FRANCE À L’AFFÛT
Puisse Air Sénégal profiter d’un partenariat gagnant-gagnant, juste, loyal et équitable pour son avenir et pour le bien de l’industrie du voyage au Sénégal
Suite à une situation financière préoccupante, l’État du Sénégal est au chevet de la compagnie nationale Air Sénégal, pour résoudre les termes de sa relance et donc de sa survie.
Cette semaine la presse a révélé d’éventuelles négociations envisagées ou en cours entre Air France, Corsair et Air Sénégal pour un partenariat avec un retour de Corsair sur la desserte Paris-Dakar-Paris.
Selon L'Observateur, « Corsair souhaiterait établir un partenariat avec Air Sénégal dans le cadre de son éventuel retour à Dakar, une démarche qui vise à créer un environnement de concurrence dynamique sur la ligne Dakar-Paris, aux côtés d'Air France qui est déjà présente sur cette relation ».
Selon Le Témoin, « les directeurs généraux de Corsair et d’Air France auraient sollicité directement le président de la République Macky Sall pour pouvoir acquérir des actions et soulager l’État du Sénégal par rapport à la réalisation de ses ambitions pour Air Sénégal ».
Aujourd’hui, les opérations aériennes d’Air France sont de plus en plus mises à mal en Afrique de l’Ouest où la situation géopolitique l’a contraint à suspendre ses dessertes monopolistiques dans trois pays sahéliens à raison de 7 vols par semaine à Bamako, 5 à Ouagadougou et 4 à Niamey.
Le détour par le Sénégal devient de plus en plus incontournable, mettant Air Sénégal au centre de la stratégie de contournement. Ce qui fait dire qu’Air Sénégal est aujourd’hui, source de convoitises.
Air Sénégal, entreprise d’État à capitaux publics, a subi de plein fouet, au même titre que les autres transporteurs aériens, les aléas conjoncturels dans un contexte économique, politique, et social mondial perturbé. Cependant, elle a multiplié les risques techniques et budgétaires dans une stratégie de croissance externe dont elle n’avait pas les moyens opérationnels et financiers, contribuant ainsi à une insuffisance de trésorerie à l’ouverture de ses lignes long courrier.
Les conséquences négatives de ces occurrences sur ses opérations l’on conduit à aller à la recherche d’une poche profonde pour assumer ces risques à sa place.
La tutelle n’a pas les moyens de suivre une augmentation de Capital, ni de rester politiquement actionnaire unique ou majoritaire après tous les efforts consentis depuis sa création ; ce qui rend davantage, la situation pressante et préoccupante car il n’est ni de son intérêt, ni de celui des travailleurs de laisser Air Sénégal sombrer par corps et biens.
Voilà où l’on en est !
Le partenariat sollicité sur le marché France va de toute évidence, engendrer une concurrence frontale entre les différents acteurs, cependant à un niveau moindre avec Air France (AF) qui cible la clientèle haut de gamme. Air Sénégal n’a pas encore les reins solides pour jouer avec les mêmes règles du jeu et les mêmes cartes que ses concurrents.
Pour surmonter ses difficultés structurelles, Air Sénégal gagnerait davantage à s’imposer à l’échelon national et régional pour être une major régionale avant d’imposer sa présence à l’international. Elle en avait les moyens et les capacités. Ces acteurs n’arriveront donc pas à se mettre d’accord. La pression s’imposera et imposera le deal.
Le journal Le Témoin a d’ailleurs annoncé que les autorités de tutelle, réticentes au départ ont finalement engagé des discussions sur les modalités d’un éventuel partenariat que des employés-cadres sénégalais qualifient de non-bénéfique à long terme pour Air Sénégal, des manœuvres qui suscitent craintes et réticences de leur part.
Ces cadres de la compagnie nationale craignent que l’entrée de Corsair ou d’Air France dans le Capital risque de plomber les ailes d’Air Sénégal.
À vrai dire, d’un point de vue purement technique, le marché serait mieux servi lorsqu'un seul transporteur est en mesure d’y opérer car, lorsque les coûts d’exploitation sont élevés et la demande insuffisante, la concurrence nécessite une duplication des immobilisations et des actifs à coûts fixes, ce qui engendrerait une inefficacité globale du système concurrentiel, un risque prévisible sur cette ligne phare.
L’État du Sénégal en sa qualité d’actionnaire unique, n’a pas cependant, trente-six mille solutions, mais une équation à résoudre : comment désendetter Air Sénégal ? c’est-à-dire, comment Air Sénégal pourrait restructurer sa dette envers ses créanciers, augmenter ses performances et dépenser moins que ce qu’elle ne gagne et ce, de manière constante et durable.
Toute autre tentative de résolution du problème ne fera que rajouter à la complexité de l’équation à résoudre. Des spécialistes de la question peuvent accompagner Air Sénégal dans sa requête de restructuration de sa dette et des investisseurs institutionnels peuvent également l’accompagner dans sa quête d’«equity», ceci est possible et disponible à condition de frapper aux bonnes portes.
Forger des partenariats, c’est avant tout accepter de globaliser son réseau de routes en vue d’une optimisation de la productivité, d’une minimisation du cout au siège et d’une maximisation des recettes.
Est-ce la ferme volonté d’AF et de Corsair ? ou simplement, la manifestation d’une réal-politique fondée sur l’anticipation stratégique d’un pari sur l’avenir : un pré-positionnement ?
En méditant sur l’état d’esprit qui prévaut dans le milieu des cadres de l’entreprise, repris par le journal le Témoin, l’inquiétude gagne !
« …Malheureusement, la clé de leur succès repose en général sur une agression commerciale, une concurrence déloyale et une géopolitique de la ruse qui ne profitent guère à des compagnies remorques ou partenaires de second…ciel. »,
Pour rappel, Corsair fut un acteur majeur sur la relation Paris-Dakar de 2012 à octobre 2018, où son retrait a été demandé par les autorités sénégalaises pour permettre au lancement d’Air Sénégal sur la ligne en vertu des principes sacro-saints d’égalité des chances, de réciprocité et d’équilibre des capacités.
Corsair reliait Paris à Dakar avec toute la qualité du service requise, à raison de 7 vols par semaine ; en six ans d’exploitation, elle avait relevé le trafic et baissé les tarifs, avec près de 135 000 passagers annuels représentant 45% du marché.
En dehors des arrières pensées légitimes, il faut noter que la concurrence est consubstantielle au transport aérien. L’exploitation de la ligne Dakar-Paris mettra ces transporteurs en parfaite compétition pour permettre le développement d’une offre de transport aérien qui réponde de manière satisfaisante et durable à la demande réaliste et durable et aux besoins des échanges commerciaux, économiques, culturels et citoyens.
Cependant à terme, ce marché, bien que bénéfique aux consommateurs, sera très vite surcapacitaire pour trois gros porteurs ce qui dégradera sa rentabilité et verra la sortie de l’un des acteurs. Ma conviction est que ce sera le plus faible, le moins préparé et le plus vulnérable. C’est-à-dire Air Sénégal qui devra désormais se satisfaire de son réseau domestique et régional à consolider.
AF et Corsair sont convaincus de la défaillance d’Air Sénégal sur le long courrier.
Néanmoins, la plateforme AIBD, l’autre acteur essentiel du système des transports aériens sénégalais en sera, tout de même, le grand gagnant, en voyant sa clientèle et son trafic global augmenter. L’aviation est un écosystème global où les visions et actions de chacune des parties prenantes ont nécessairement un impact croisé sur les autres, ce qui aura pour effet de réaliser des aéroports efficaces et profitables.
Le président Macky Sall avait dit dans son discours d’ouverture de l’aéroport AIBD : « L’ouverture, en décembre 2017, du nouvel Aéroport international Blaise-Diagne illustre notre ambition de faire émerger un hub aérien de dimension internationale….
Air Sénégal vient donc compléter cet environnement et conforter cette dynamique vers l’émergence du Sénégal…. Notre ambition ne signifie cependant pas repli sur soi. Air Sénégal tissera des alliances avec les grandes compagnies aériennes internationales pour renforcer son positionnement et accroître ses capacités de trafic dans un ciel très concurrentiel…. Le salut du secteur aérien passe comme partout par l’ajustement stratégique des réseaux de routes aériennes, la conclusion d’accords de partage de recettes et la mise en œuvre de coopérations techniques…. L’orgueil national n’a pas sa place dans un environnement où la productivité requiert d’asseoir son modèle d’exploitation, de réduire ses coûts et de coordonner son développement…Air Sénégal est à la croisée des chemins, elle doit échanger avec d’autres compagnies pour trouver des axes de coopération ou d’opportunité de mettre en commun des moyens sans lesquels tout succès se révèle impossible… ».
Une concurrence saine dans le marché aérien est bonne pour notre pays. Elle profite aux consommateurs en maintenant les prix bas et en préservant la qualité et le choix des produits et services. C’est le consommateur qui a le pouvoir dans un marché concurrentiel avec une offre plus variée. La concurrence saine, la vraie, la loyale, stimule notre économie, aide le Sénégal à réaliser son plein potentiel économique et profite aux sénégalais au moyen d’une diminution des prix, d’un plus grand choix et d’une qualité et d’une innovation accrues.
Puisse donc, Air Sénégal profiter d’un partenariat gagnant-gagnant, juste, loyal et équitable pour son avenir et pour le bien de l’industrie du voyage au Sénégal.
Mamadou Lamine Sow est ancien DG aviation civile (ANACIM), ancien DG Air Sénégal