ALLONS-NOUS DEVENIR UN PAYS SANS MEMOIRE ?
Les évènements en cours dans notre pays sont d’une tristesse infinie. En plus des vies inutilement sacrifiées, nous assistons à la destruction des Archives ce qui est une atteinte au cœur de la nation sénégalaise.
Le Sénégal éternel, notre beau pays que nous désignons fièrement sous le nom de pays de la Teranga, notre Sunugaal offre aujourd’hui un visage balafré : le sang de nos enfants coule, nos universités sont fermées, des bibliothèques et archives incendiées, des biens publics et privés détruits, accès à Internet et aux réseaux sociaux limité ! Notre pirogue tangue dangereusement en eaux troubles. Cette terre qui nous a vu naitre et qui nous gardera dans ses entrailles pour l’éternité vit des moments très difficiles et il est de notre devoir à tous de tirer sur la sonnette d’alarme et d’appeler à la paix des esprits et des cœurs. Le devoir de notre génération est de transmettre aux générations à venir après nous d’un Sénégal de paix et de prospérité.
Les évènements en cours dans notre pays sont d’une tristesse infinie. En plus des vies inutilement sacrifiées, nous assistons à la destruction des Archives ce qui est une atteinte au cœur de la nation sénégalaise. Se relever après une perte totale de mémoire est une mission presque impossible. En effet, les Archives sont la mémoire des institutions et des peuples. Ces vieux papiers, conservés depuis longtemps par des générations de sénégalais, ne sont « pas que de vieux papiers, mais des vies d’hommes, de provinces et de peuples ». Les archives ne sont pas « d’immenses cimetières », mais des lieux où chacun peut retrouver la trace « des expériences, des aventures, des menaces et des drames » de la société. Elles sont indispensables à la « continuité de la conscience humaine », à la bonne gouvernance et à la continuité de l’action gouvernementale. Sans Archives, il ne saurait y avoir d’Etat moderne. Sans Archives il n’y a pas de planification, pas de reddition des comptes ni de capitalisation des expériences. L’étymologie du mot Archives du grec arkhè signifie à la fois le commandement et le commencement. On gouverne avec des Archives et on ne peut comprendre le passé qu’en ayant une lecture rétrospective des faits à travers les traces justifiant les prises de décision et des motivations des acteurs.
Voir les archives de la Faculté des Lettres de l’Université de Dakar, les pièces d’état civil conservées dans les mairies et les archives de beaucoup d’institutions publiques réduites en cendres est une image insoutenable et d’une tristesse infinie. Ce drame va coûter cher à plusieurs générations de sénégalais et d’Africains ayant fait leurs humanités à Dakar. La perte de 200 000 dossiers administratifs d’étudiants ayant fréquenté la Faculté des Lettres de 1957 à nos jours. Ces dossiers renseignent sur les parcours, les objets d’études entrepris par plusieurs générations d’étudiants. Ils gardent également la trace des procès-verbaux d’évaluation des travaux scientifiques dont certains sont signés de la main du professeur Cheikh Anta Diop. !
Cette perte sera lourde de conséquences. Beaucoup de diplômés de cette faculté payeront pendant longtemps les frais de ce drame. Dans le cadre des processus de recrutement, des Organisations internationales procèdent à la vérification des diplômes des candidats. Il sera désormais impossible de répondre à ces demandes et les candidats verront filer des opportunités. Par ailleurs, cette situation fera les beaux jours des faussaires et des détenteurs de faux diplômes qu’il sera désormais impossible d’authentifier. En plus des faux médecins, des faux pharmaciens, nous serons bientôt submergés par de faux diplômés de la Faculté des Lettres.
Il est urgent d’ériger les défenses de la paix par le dialogue dans l’esprit des Sénégalaises et des Sénégalais. “Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix”. Nous ne pouvons renier les principes fondamentaux de l’idéal démocratique si chèrement acquis par les luttes et les sacrifices de nos devanciers et de le substituer à la violence et à la destruction par le feu et par l’épée. La liberté et la paix fondées sur la conscience de soi sont ce que nous avons de plus cher.
La politique de réarmement moral et du désarment des esprits passe par la reconstruction de notre mémoire abimée et par le rapprochement des cœurs et des esprits. Il nous faut faire recours aux valeurs de Ngor, Jom, Kersa et de Teranga que nous ont laissé nos ancêtres.
L’Etat doit désormais donner aux institutions patrimoniales (Les Archives nationales & à la Bibliothèque nationale) les moyens nécessaires à la préservation et à la valorisation de la mémoire de la nation. Nous avons les moyens et les ressources humaines nécessaires pour relever ce défi avec les nouveaux outils technologiques de notre époque. Notre pays a formé depuis plus de 50 ans à l’Ecole de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes (à quelques mètres du sinistre) plus de 5000 archivistes et bibliothécaires africains qui sont sur tous les continents, dans toutes les Organisations qui participent à la préservation et à la valorisation de la mémoire du monde.
Nous avions tous été heureux d’assister à l’acquisition et au retour des photographies de Serigne Touba Xadim Rasul au Sénégal. Cela a été possible parce que quelque part elles ont été protégées contre l’usure du temps et la folie des hommes. Tâchons d’être dignes de notre devoir de préserver les sources de notre glorieuse histoire et donnons-nous les moyens de transmettre à notre descendance nos archives et notre patrimoine. Ancrons notre action quotidienne dans l’amour et la paix de notre cher pays. Gardons-nous de vendre l’héritage que nous ont laissé nos parents pour ne pas compromettre notre présent et celui de l’avenir de nos enfants.