AVEZ-VOUS LU ET RELU LE DISCOURS DU 3 FEVRIER DE MACKY SALL ?
La parole du président, s’adressant à la Nation dans les circonstances graves évoquées, ne devrait pas être susceptible de commentaires soupçonneux. Pourquoi ceux qui se disent ses alliés sont-ils les premiers à décrédibiliser son propos ?
La parole d’un chef d’Etat qui s’adresse solennellement à la nation dans des moments cruciaux de son Histoire, mérite d’être écoutée. Respectueusement. Puis, lorsque le texte est rendu disponible, donc gravé dans le marbre du temps, une lecture à tête reposée s’impose. Surtout lorsque les conséquences de cette parole se traduisent par des manifestations, des heurts et des morts…
J’ai donc pris le temps de l’écoute attentive. Puis celui de la lecture minutieuse du discours présidentiel qui commence ainsi :
« Mes chers compatriotes, alors que s’annonce l’élection présidentielle du 25 février 2024, notre pays est confronté ; depuis quelques jours, à un différend entre l’Assemblée Nationale et le Conseil Constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges » Ainsi commence le Président Macky SALL
La première observation qui s’impose est que si « différend » il y a eu, il s’agirait d’un différend entre le Groupe parlementaire du PDS et le Conseil constitutionnel, sur fond d’une accusation de corruption de deux juges par le Premier ministre – candidat à la succession du président sortant, Macky Sall. Ce fait expliquerait, selon le PDS, l’éviction de son Candidat Karim Wade de la liste des prétendants à la Magistrature suprême de notre pays et donc, justifierait le dépôt, dans des délais traités en mode fast track, d’une demande de mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire pour éclairer les zones d’ombre « d’une supposée affaire de corruption… »
La question à se poser serait donc celle-ci : En quoi un différend, entre un seul candidat et deux membres du Conseil constitutionnel, concerne-t-il les 20 autres candidats ayant satisfait à toutes les exigences dudit Conseil pour se présenter à l’élection présidentielle du 25 février 2024 ?
- Au point de convoquer la parole présidentielle ?
- Au point d’annuler, purement et simplement, une élection fixée par la Constitution de la République ?
- Tout cela pour une « supposée affaire de corruption ? »
Le chef de l’Etat poursuit :
« Dans son communiqué du 29 janvier 2024 signé par tous ses membres ; le Conseil Constitutionnel a réfuté les allégations portées contre lui, tout en prenant la mesure de la gravité des accusations, et en tenant à ce que toute la lumière soit faite dans le respect des procédures constitutionnelles et légales régissant les relations entre les Institutions, notamment la séparation des pouvoirs et le statut de ses membres. »
Donc « le Conseil Constitutionnel a réfuté les allégations portées contre lui » L’incident aurait pu être clos. Sauf rebondissement extraordinaire ! La parole des membres, assermentés, du Conseil constitutionnel, ainsi que leur statut élevé dans l’ordonnancement de nos Institutions, devraient suffire à ne pas les ravaler au rang de dénégateurs qui doivent se laver à grande eau. Au demeurant, la qualité de l’accusé, Premier Ministre en fonction à qui, d’ailleurs, le président de la République vient de renouveler sa confiance, aurait dû nous éviter le spectacle navrant d’une Assemblée nationale qui persifle et insinue sans le nommer… Une Assemblée vidée, manu militari, de représentants élus par des millions de sénégalais. Quelle dignité reste-t-il désormais à ces représentants de la Nation ? Susceptibles d’être poussés vers la sortie de la Maison du Peuple ? Surréaliste !
Le chef de l’Etat poursuit :
« A cette situation suffisamment grave et confuse, est venue s’ajouter la polémique sur une candidate dont la binationalité a été découverte après la publication de la liste définitive des candidats par le Conseil Constitutionnel, ce qui constitue une violation de l‘article 28 de la Constitution qui dispose que » tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise. »
Le président de la République dispose, très certainement des éléments d’information lui permettant de juger d’une situation qui serait « suffisamment grave et confuse » au moment de s’adresser à la Nation ce 3 février 2024 à 14h. A quelques heures du démarrage de la campagne électorale prévue le jour même à 20h… Pour le commun des mortels, parmi lesquels je me compte, rien de grave a cette heure-là ne s’était encore produit sur notre sol : C’est plutôt après ce discours que des évènements malheureux et graves vont se produire. Hélas !
Pour ce qui de la binationalité invoquée :
- Ne suffisait-il pas, tout simplement de retirer de la liste des candidats la personne concernée ? Avec éventuellement des poursuites judiciaires subséquentes ?
- Au demeurant, les agents du Conseil Constitutionnel ne pouvaient-ils pas se livrer à l’exercice de vérifier la nationalité de cette candidate comme l’on fait tous ceux qui se sont rendus tout simplement sur le fichier de électeurs français ? Ce que nous ne pouvons faire à ce jour sur le fichier des élécteurs du Sénégal ! Si près, si loin…
Au final, le chef de l’Etat estime que « Ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et post électoral »
Cette préoccupation est louable dans son principe. Mais, dans les faits, des évènements autrement plus graves se sont succédés dans notre pays, ces trois dernières années, sans pousser à envisager l’annulation de l’élection présidentielle prévue par la Constitution le troisième dimanche du mois de février de l’année en cours… Des centaines de personnes sont en prison pour des raisons politiques, des candidats significatifs de l’opposition aussi. Et au mépris de tout cela, on invoque une binationalité découverte tardivement, ainsi que des allégations de corruption réfutés par les intéressés ? On ne nous dit pas tout…
Mais poursuivons notre relecture !
Le président Macky Sall de poursuivre :
« Alors qu’il porte les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise. J’ajoute qu’en ma qualité de président de la République, garant du fonctionnement régulier des institutions et respectueux de la séparation des pouvoirs, je ne saurais intervenir dans le conflit opposant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire »
En résumé : le président de la République, quoiqu’intervenant dans un « différend » selon ses propres mots entre un Groupe parlementaire et deux juges mis en cause par des « allégations » impliquant son Premier ministre, s’en défend. Mais il prend en plus, et sur ces entrefaites, la décision grave d’annuler une élection présidentielle… Il y a vraiment quelque chose qui cloche !
Poursuivons la relecture :
« Devant cette situation, l’Assemblée Nationale, agissant en vertu de ses prérogatives, m’a saisi, pour avis conformément à son règlement intérieur ; d’une proposition de loi constitutionnelle en procédure d’urgence portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution. »
Je saute un paragraphe et termine part :
« En conséquence, compte tenu des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence, et sans préjuger du vote des députés, j’ai signé le décret 2024-106 du 03 février 2024 abrogeant le décret 2023 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral. »
Si je comprends bien, le Groupe parlementaire PDS, préoccupé de bon droit par le sort de son candidat Karim Wade, a pu mobiliser la majorité présidentielle, contourner son propre candidat Amadou BA, pour solliciter l’avis du président de la République en vue d’aboutir à une annulation de l’élection présidentielle… Chapeau !
Car en effet des audios en langue nationale wolof et qui circulent abondamment diffusent les propos de l’Honorable Woré Sarr, député du PDS qui expliquent avec force détails succulents, la stratégie mise au point pour reculer, d’au moins 6 mois, l’élection présidentielle !
Il y aussi des audios de M. Madiambal Diagne, greffier et journaliste dans le civil, qui explique pourquoi Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ne devraient, absolument pas, participer au scrutin de février 2024.Qu’est ce qui autorise Ce Monsieur, intime dit-il du chef de de l’Etat à sortir ce genre de fatwas ? « Dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu es » nous apprend la sagesse populaire…
Tous ces éléments, mis bout à bout, entachent le discours présidentiel de suspicions partisanes et de non-dits coupables. La parole du président de la République, s’adressant à la Nation dans les circonstances graves évoquées, ne devrait pas être susceptible de commentaires soupçonneux. Pourquoi ceux qui se disent ses alliés sont-ils les premiers à décrédibiliser son propos ? A quelles fins ?
En vérité, la décision d’annuler le scrutin du 25 février 2024 est illégitime. En attendant que des voix plus autorisées en établissent l’illégalité. Le discours du président de la République n’a pas donné des arguments d’une gravité telle que tous les efforts fournis par les 20 candidats retenus pour participer à l’élection présidentielle soient annihilés par la simple signature de celui qu’ils aspirent à remplacer. Au demeurant et en renouvelant sa confiance au Premier ministre Amadou Ba, le président de la République annihile les accusations de corruption portées sur lui. En reculant les élections, avec pour conséquence de permettre à Karim Wade de se présenter, le président Macky Sall chercherait-il à se faire pardonner les 5 années de prison auxquelles il l’avait fait condamner ? Quid de l’amende de 138 milliards qui lui avait été infligée ?
En un mot, comme en mille, nous sommes entrés dans une zone de turbulences. Aucun individu ne mérite la mise en péril d’une nation. Que chacun prenne ses responsabilités devant Dieu et devant les hommes. Se taire, c’est se rendre complice de tout ce qui pourrait advenir de fâcheux.
Personnellement, j’ai dit !