BALANCE TON SAÏ-SAÏ !*
Les femmes souffrent bien assez au Sénégal avec tout ce qui leur est imposé comme contraintes sociétales - Elles se heurtent au diktat de la phallocratie - Femmes sénégalaises, ne soyez pas en reste, écrivez, parlez, dénoncez et on vous entendra !
Harvey Weinstein, tout-puissant propriétaire du studio Miramax avec son frère Robert, ayant à son actif une quantité non-négligeable de productions hollywoodiennes, s’est vu au début du mois d’octobre accusé de harcèlement sexuel. Avec force détails, la première victime, suivie immédiatement de plusieurs autres, a expliqué comment H. Weinstein utilisait son pouvoir pour les forcer à entretenir des relations sexuelles avec lui, en échange de l’avancement de leur (s) carrière (s) cinématographique (s). Car quand l’affaire a éclaté, le motif était le même : proposer des contrats mirobolants aux actrices débutantes ou confirmées après avoir abusé d’elles. Les langues se sont déliées, l’omerta a été brisée et ce fut le déluge.
Chaque actrice, d’hier à aujourd’hui, a eu son moment « what the fuck? » avec le producteur.
Les réseaux sociaux, surtout Twitter, amplificateur de phénomène par excellence, s’en sont emparés et la parole fut libérée. Anonymes et personnalités, chaque femme démontrait qu’à un moment ou à un autre de sa vie, elle avait été la victime de harcèlement sexuel, car le « non » qu’elle avait pourtant dit à haute et intelligible voix avait été confondu avec un « oui ».
Le mouvement #BalanceTonPorc était porté sur les fonts baptismaux. Pas un jour ne passe sans qu’un acteur hollywoodien ou même un vulgaire anonyme, ne fasse l’objet de dénonciations de la part de ces femmes qui ont décidé de ne rien lâcher. Ces dénonciations se sont même étendues outre Atlantique et d’autres hommes publics, à l’image du prédicateur Tariq Ramadan, en font les frais.
Avant de donner plus largement mon avis sur le mouvement #BalanceTonPorc, j’aimerai le contextualiser et parler du cas du Sénégal ; c’est la raison pour laquelle j’ai intitulé ce billet #BalanceTonSaïSaï. Mon pays, où les femmes sont devenues étrangement aphones. Une amie avait partagé un visuel sur Facebook qui parlait de cet état de fait, stipulant qu’au Sénégal le harcèlement sexuel ne semblait pas exister, tant l’absence de réactions était flagrante. Dans un pays où le muñ et le sutura sont érigées en valeurs cardinales, pourquoi s’étonner ?
En traduction littérale, le muñ pourrait être assimilé à la propension à endurer stoïquement les épreuves. La capacité des femmes à faire preuve de muñ fait d’elles de « bonnes » femmes, que tout homme rêverait d’avoir sous son toit. Quant au sutura, il vient en complément du muñ et consiste à tout cacher, tout maquiller, feignant que tout va bien avec un large sourire alors qu’au fond de nous, c’est la misère. Il suffit d’écouter les émissions radio ou de parcourir la colonne faits divers des journaux pour se rendre compte de l’ampleur des faits. On viole, on harcèle, on bafoue, on violente impunément les femmes, sœurs, cousines, belles-filles, et même filles, sans aucune représailles.
Les rares fois où il m’arrive d’écouter la radio, je reste bouche bée devant les témoignages des femmes ayant souffert d’attouchements sexuels. Dans la plupart de ces malheureux cas, la victime connaît le bourreau, car c’est un homme évoluant dans sa sphère familiale. Mais pour ne pas briser l’harmonie de la cellule familiale, la plainte initialement déposée va être retirée. Les mères protègent les maris qui violent les enfants, car souvent, le bonhomme est un notable respecté et respectable, donc on camoufle … Ou pire encore, la victime se verra accusée d’être une fille/femme de mœurs légères, et donc tout ce qui lui est arrivé est de sa faute. Le troisième scénario qui peut advenir et qui est le plus effarant, c’est d’ignorer les signaux pourtant perceptibles et annonciateurs d’un viol.
Tout cela est quand même bien alarmant ! Ces femmes qui se heurtent à l’indifférence et au mépris face à la souffrance qu’elles endurent, doublé du diktat de la phallocratie méritent qu’on les entende, qu’on les soutienne et qu’on dénonce leurs agresseurs. En cherchant à les museler, on les viole une seconde fois. Je suis pour la dénonciation au vu et au su de tout le monde, que tout un chacun puisse reconnaître le visage de celui qui a été assez malade pour agresser sexuellement une femme. L’assouvissement de la libido étant le seul motif de ces mâles à la recherche du mal, on ne doit pas les protéger !
Les femmes souffrent bien assez au Sénégal avec tout ce qui leur est imposé comme contraintes sociétales, elles courbent suffisamment l’échine pour satisfaire les désirs de leurs conjoints, alors il ne faut pas en rajouter ! Nous ne sommes plus à l’époque du Allah baaxna* résigné, mais bel et bien du Allah Allah bey sa tool !*
Je trouve aussi réducteur et insultant de lire certaines réactions de femmes niant la réalité des agressions sexuelles, s’enfonçant dans le déni jusqu’au cou et rejetant la faute sur leurs congénères. Je me doutais bien que la solidarité féminine était une chimère, mais le « elles l’ont bien cherché » ou encore, « c’est une aggravation des faits », n’ont pas leur place ici ! Le philosophe allemand Nietzsche le résume parfaitement avec cette phrase : « les femmes elles – mêmes, tout au fond de leur immense vanité personnelle, gardent un mépris impersonnel de la femme ». Tout est dit …
Alors femmes sénégalaises, ne soyez pas en reste, écrivez, parlez, dénoncez et on vous entendra ! Ces actes vils et barbares ne doivent plus être saupoudrés de sutura ! Enough is enough !
Pour revenir sur le mouvement #BalanceTonPorc qui a quand même permis à beaucoup de femmes d’oser parler, je reste quand même mitigée face à l’ampleur qu’il prend maintenant. Entendons-nous bien, je soutiens la prise de parole des femmes et comme je l’ai dit tout au long de cet article, l’impunité doit cesser, mais lire chaque jour que telle actrice ou telle femme connue a subi des attouchements sexuels de tel homme connu pousse à se demander ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ces allégations supposées - pour attirer le buzz et la contrepartie financière – noient les vraies victimes et transforment leur combat pour la vérité en un scandale people.
J’ai lu de-ci de-là des réactions d’hommes outrés accusant les femmes d’être à la recherche de l’argent. Car quand on accuse un homme d’avoir violé une femme, surtout si celui – ci est connu, le premier réflexe qu’il aura est de sortir le carnet de chèques pour étouffer l’affaire …
Alors sachons choisir nos batailles et surtout balançons ces saï-saï qui tuent silencieusement les femmes sans ressources mentales ! L’impunité doit cesser !
*Saï-sai : pervers
*Allah baaxna : Dieu est grand
*Allah Allah bey sa tool : aide-toi, le ciel t’aidera