COMMENT FAIRE PROFITER LE FOOTBALL AFRICAIN ?
Mettre l’humain au cœur du sport- L’équité dans la répartition des richesses du football-Améliorer la gouvernance du football-Une justice sportive de proximité-Régler les litiges du football africain en Afrique.Le football est un fait économique et social
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Quelques idées (4 précisément) que j’estime importantes pour le développement du football africain qui évolue de manière positive sur le plan des résultats de terrain (une réelle compétivité sportive de nos équipes nationales est à signaler lors des coupes du monde de football), mais qui semble marquer le pas dès lors qu’on s’intéresse aux questions liées à sa compétivité économique au regard du marché mondialisé qui regroupe les activités autour du football.
Ces quatre questions reposent sur le constat que le football est un fait économique et social. Il est soumis aux mêmes influences que l’ensemble des autres secteurs d’activités économiques. En conséquence, les buts monumentaux que poursuit l’humanité se retrouvent aussi au cœur du monde du football : droits de l’homme, lutte contre le racisme, contre la corruption, le blanchiment et le financement du terrorisme, lutte pour la préservation de l’environnement et contre la dégradation du climat … Ainsi indissociable de la marche du monde contemporain, l’organisation du football ne peut échapper ni aux influences qui traversent ce monde, ni à la recherche de ces objectifs et buts monumentaux dont l’atteinte est supposée permettre à l’homme de vivre en harmonie sur la surface du globe.
Aussi, les développements réglementaires et décisions juridiques, dont certains sont déjà dans les textes de la FIFA, portent la marque de ces influences qui permettent au football de ne pas donner l’impression de fonctionner comme un électron libre dans ce monde d’interdépendance et de quête de ce graal qu’est le « vivre en commun » proclamé partout mais très difficile à réaliser.
Au final, je crois que le sport comme phénomène économique et social n’ayant pas encore fini sa mutation, le droit du sport n’a pas encore fini de se construire !
PREMIÈRE IDÉE. METTRE L’HUMAIN AU CŒUR DU SPORT.
On assiste de plus en plus à des évolutions qui permettent de réaliser un plus grand ancrage du sport comme une activité économique partie intégrante de la société. En conséquence, ces normes, malgré la spécificité de l’activité sportive, doivent se conformer aux valeurs cardinales de notre « vivre ensemble », qui exige des valeurs et normes communes de base, le socle de notre harmonie.
Prenons la dernière en date de ces évolutions : la décision de justice rendue par la Cour Européenne de Justice sur la désormais très célèbre affaire Lassana Diarra qui est sur les traces de la toute aussi célèbre affaire Bosman. Les travailleurs, dans l’activité économique qu’est le football professionnel, sont des êtres humains. Ils doivent donc bénéficier de toutes les garanties qu’offre le système juridique, en particulier la liberté d’aller, de venir, de travailler dans le pays de son choix et avec l’employeur de son choix …
Malheureusement le mode de fonctionnement du sport contemporain a tendance à oublier l’humanité au profit du business. C’est le cas dans le football professionnel. Le système des transferts de la FIFA était fait de telle sorte qu’il devenait impossible de rompre son contrat de travail de footballeur. En tout cas, le footballeur Diarra, désireux de quitter un club (Lokomotiv Moscou), n’a pas pu se faire recruter par un club belge (Charleroi) qui craignant qu’on le condamne à payer la très importante indemnité pour rupture abusive mise sur la tête du joueur, a finalement renoncé au recrutement de Diarra, désormais condamné au chômage.
C’est ce système reposant sur la réglementation FIFA du transfert des joueurs qui a été considérée par la Cour de Justice de l’Europe (CJCE) «de nature à entraver la liberté de circulation des footballeurs professionnels », en faisant « peser sur ces joueurs et sur les clubs souhaitant les engager des risques juridiques importants, des risques financiers imprévisibles et potentiellement très élevés ainsi que des risques sportifs majeurs qui, pris ensemble, sont de nature à entraver le transfert international des joueurs ». La décision du juge repose sur le droit européen de la concurrence qui consacre par son Traité, la libre circulation des hommes et des biens.
La FIFA, prenant acte de la décision de justice, a modifié suite à une consultation mondiale avant le mercato d’hiver (https://inside.fifa.com/fr/tr ansfer-system/news/la-fifalance-une-concertation-mondiale-sur-larticle-17-du-reglement-du statut et du transfert des joueurs ), son règlement sur les transferts internationaux de joueurs par une Circulaire n° 191 en date du 23 décembre 2024 instaurant un cadre temporaire qui « permettra à la FIFA de continuer à garantir l’application uniforme de règles partout dans le monde et à ce que les clubs du monde entier soient soumis à des normes réglementaires cohérentes en matière de composition des équipes, de stabilité contractuelle et de transferts internationaux de joueurs ». Du point de vue contenu, ce cadre porte sur les règles régissant les indemnités pour rupture de contrat, la responsabilité conjointe et solidaire, les incitations à la rupture de contrat, les Certificats Internationaux de Transferts et les procédures devant le Tribunal du football. Il vise à instaurer davantage de clarté et de stabilité en vue des périodes d’enregistrement à venir ainsi qu’à maintenir des règles universelles (https://inside.fifa.com/fr/tr ansfer-system/news/le-bureau-du-conseil-adopte-un-cadre-reglementaire-temporairepour-le ). On sait que cette modification et son processus, n’ont pas fait l’unanimité car, le syndicat des footballeurs français (UNFP) n’avalise pas du tout la totalité des mesures de la FIFA. Soulignant que la régulation du marché du travail ne peut à l’avenir résulter que d’une négociation collective entre les partenaires sociaux européens, il réclame une sorte de dialogue social à l’échelle européenne comme cela se fait dans les autres secteurs activités entre partenaires sociaux.
DEUXIÈME IDÉE. L’ÉQUITÉ DANS LA RÉPARTITION DES RICHESSES DU FOOTBALL GRÂCE À UNE MEILLEURE VALORISATION DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE EN VUE DE CONTRIBUER AU FINANCEMENT DES FÉDÉRATIONS ET DES CLUBS AFRICAINS.
Il n’est un secret pour personne que, dans le football africain surtout celui au sud du Sahara, il y a des conflits récurrents entre les fédérations et les Etats. Ces derniers estimant qu’ils financent se considèrent légitimes pour décider. Par contre, les premières arguent souvent de l’autonomie du mouvement sportif pour résister ou s’opposer. Ce conflit essentiellement d’origine financière, est arbitré par la FIFA qui n’hésite pas à brandir la menace soit de suspension des Etats de toute participation à ses activités pour cause d’ingérence, soit celle de la mise en place d’un comité provisoire de gestion du foot. La solution pourrait se trouver dans une plus grande autonomie financière des fédérations. Malheureusement, le marché africain du foot n’a pas encore atteint une suffisante maturité pour générer toutes les ressources nécessaires à son propre développement. En attendant explorons quelques pistes dont certaines font partie des mesures récentes de gestion du foot mondial.
Une première piste a été ouverte par la très opportune décision de la FIFA d’augmenter le nombre des équipes nationales africaines dans les phases finales des coupes du monde de football. Aujourd’hui, on est passé à 9 plus une place de barrage. Avec deux participations successives dont une avec une qualification au deuxième tour, la fédération de foot du Sénégal a pu engranger des moyens supplémentaires pour ses différentes missions. Toutefois, malgré les efforts de la FIFA, la mesure d’augmentation du nombre de pays africains à la coupe de monde, une excellente chose, n’est pas suffisante car, il y a ces niches non explorées que sont les compétitions de clubs en Europe et en Asie qui génèrent d’importantes ressources.
Une seconde piste doit donc s’ouvrir : faire en sorte que toute présence africaine dans les grandes manifestations du football puisse générer des ressources spécifiques pour le club d’origine du joueur qui y participe. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que les plus grands clubs du monde, en particulier ceux de l’Europe, essaient de créer leur propres compétitions à coté de celles de l’UEFA. Cet état de fait n’est certainement pas étranger à la nouvelle formule de la ligue des champions UEFA qui tente de faire participer le maximum de clubs possibles. L’idée de base de cette seconde piste est de mettre en œuvre une stratégie consistant à rémunérer les clubs d’origine sur tous les spectacles de football dans lesquels les joueurs de nationalité d’un pays africain sont parties prenantes. Ce sera dans le prolongement de la fameuse indemnité de solidarité que la FIFA a créée pour que les clubs professionnels riches puissent être solidaires des clubs pauvres desquels sont issus certains joueurs. Cette obligation de solidarité trouve une assise textuelle à l’article 21 du règlement Fifa du statut et du transfert des joueurs rédigé comme suit : «si un joueur professionnel est transféré avant l’échéance de son contrat, tout club ayant participé à la formation et à l’éducation du joueur recevra une proportion de l’indemnité versée à l’ancien club»
Une troisième piste est du domaine du possible. Elle permettrait l’augmentation des ressources des clubs par une meilleure maitrise sur la mobilité ou les transferts. Ici, l’Idée c’est que les transferts doivent profiter aux clubs et non pas seulement aux intermédiaires et aux joueurs. Pour cela, il faut organiser la transparence autour des opérations financières pour non seulement en faire bénéficier le club d’origine du joueur mais aussi éviter les flux financiers illicites, le blanchiment et la corruption. En ce sens, imposer la présence d’un intermédiaire et d’une banque du pays d’origine du joueur dans les opérations de transfert me semble une réelle garantie pour la transparence envers le club d’origine.
TROISIÈME IDÉE. AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DU FOOTBALL.
Améliorer la gouvernance du football africain par la formation. Dans le monde d’aujourd’hui, la formation est devenu un outil essentiel pour la conformité des actes de tout opérateur aux règles juridiques et éthiques qui lui sont applicables. Quand on connait, on applique mieux : c’est le leitmotiv de la compliance et, il faut que dans la gouvernance du football, cela devienne un réflexe chez les dirigeants car au-delà de la dimension purement éducative de la formation, il y a l’aspect diminution des risques et donc accroissement de la performance.
Concernant le football africain, si au plan des résultats du terrain, il est devenu très compétitif, il reste beaucoup à faire pour la gouvernance. En ce sens, l’atout majeur dans l’atteinte des bons résultats sportifs est la formation : les entraineurs africains ayant bénéficié de la formation CAF ont brillé en coupe du monde et ont placé leur équipe au premier rang du classement FIFA (Sénégal et Maroc).
Aussi, le programme de Certificat Exécutif en Gestion du Football de la CAF, en partenariat avec les Universités africaine mérite d’être saluée et surtout, bien accueillie par les associations membres (une session s’est déjà déroulée avec l’université du Cap en Afrique du Sud). Il s’agit d’un programme exécutif conçu pour offrir aux cadres supérieurs et dirigeants du football africain les connaissances stratégiques et les outils nécessaires pour évoluer dans le paysage complexe du football moderne. Il y a donc lieu de féliciter et surtout d’encourager la CAF à persévérer dans cette voie.
Améliorer la gouvernance du football par un cadre institutionnel plus inclusif et moins clivant qui permet l’inclusion de toutes les parties prenantes dans les décisions du football
Cela suppose dépasser la cogestion qui est un mode de gestion hérité du droit français par la quasi-totalité des pays francophones au sud du Sahara. Il faut donc, dans ces pays, inventer de nouvelles structures de gestion du sport en s’inspirant de ce qu’il y eu comme évolutions dans d’autres secteurs et dans d’autres pays.
A ce propos, le modèle de gouvernance qui est en train de s’imposer est celui qui tend à l’inclusion totale avec une plus forte implication des sportifs et surtout, des anciens sportifs qui ne sont plus seulement considérés comme des « légendes » à honorer de temps en temps. Ils sont au contraire de plus en placé au cœur du management et de la décision. Ainsi, dans plusieurs pays, l’évolution institutionnelle se réalise avec l’objectif de la « coconstruction » des politiques sportives au niveau aussi bien étatique que fédéral
Aujourd’hui, un pays comme la France, de pure tradition administrative napoléonienne, c’est-à-dire centralisée et hiérarchisée, a préféré faire gérer son sport par une structure qui relègue la technique de cogestion, technique contractuelle de la délégation de pouvoirs, au rang de vieille relique à ranger dans les greniers. Cette structure, c’est celle structure dénommée Agence Nationale du Sport qui, bien que n’ayant pas fait l’unanimité dans ce pays, ne me semble pas totalement étrangère aux excellents résultats organisationnels et sportifs obtenus par cette nation cette nation, ces dernières années et, particulièrement, lors des JO de 2024. Dans cette structure, tout le volet « sport de haut niveau » est confié au coach français qui a gagné toutes les compétitions de sa discipline au niveau mondial, européen et national (Claude Onesta). Au final, la structure a permis de « garantir la collégialité nécessaire à la coconstruction d’une dynamique commune respectueuse des politiques de chacun des acteurs du sport : l’État, le mouvement sportif, les collectivités territoriales et le monde économique ».
QUATRIÈME IDÉE. UNE JUSTICE SPORTIVE DE PROXIMITÉ. RÉGLER LES LITIGES DU FOOTBALL AFRICAIN EN AFRIQUE.
Suite à la circulaire FIFA prise après l’affaire Lassana Diarra, le syndicat des footballeurs professionnels français (UNFP) a semblé remettre en cause le monopole du tribunal arbitral du sport (TAS) sur le règlement de la quasi-totalité des litiges du sport. Ce qui est une vieille revendication du mouvement sportif africain. Le syndicat français n’est pas seul car ailleurs, notamment dans la justice belge et dans la justice européenne, le recours forcé à l’arbitrage n’est pas admis. Du coup, l’exclusivité du TAS est souvent remise en cause par certaines décisions de justice. En Afrique, on fonctionne comme si le règlement des litiges du sport et du football est l’apanage du exclusif TAS. Il n’en est rien, car ce n’est pas du tout obligatoire. En effet, le recours au TAS n’est ni exclusif ni obligatoire. D’ailleurs, en réglementation même du football, rien n’empêche de prévoir la possibilité d’un arbitrage indépendant pour les litiges sportifs dans les pays africains. Ce n’est pas du tout un rejet du TAS mais plutôt une mise en place d’une justice de proximité du fait de l’éloignement et des coûts attachés au TAS. La FSF a exploité cette possibilité récemment en mettant en place un tribunal arbitral. Mais j’avoue que je n’ai pas de nouvelles quant à son opérationnalisation.
Les règlements généraux de la Fédération sénégalaise de football (p. 86, édition de la Fédération) prévoient, en reprenant les dispositions de la CAF/FIFA : « Les litiges nationaux sont traités conformément aux règlements de le FSF et au droit sénégalais. Lorsque cela est possible, ils sont tranchés par un tribunal arbitral paritaire indépendant.
Les litiges internationaux sont traités par les organes idoines de la CAF et de la FIFA et, le cas échéant, par le Tribunal arbitral du sport »
Les statuts de la FSF prévoient expressément, dans l’article 64 : « Le Tribunal arbitral prévu par les règlements de la FSF, traite de tous les litiges nationaux internes entre la FSF, ses membres, les joueurs, les officiels et les agents de joueurs et de matches qui ne tombent pas sous la juridiction de ses organes juridictionnels »
Ces mêmes statuts (article 67 in fine) excluent la compétence du TAS pour se prononcer sur un recours relatif à une décision d’un tribunal arbitral d’une association ou d’une confédération indépendant et régulièrement constitué. Cela signifie qu’il est possible qu’une décision relative à un litige dans le football interne soit prise en charge par une juridiction arbitrale interne qui n’est pas le TAS (art. 81, code disciplinaire). Au final, à côté de la justice étatique qui admet la justice fédérale, il y a bien de la place pour une juridiction arbitrale du football.
PROFESSEUR ABDOULAYE SAKHO