COMMENT SORTIR DE L’IMBROGLIO POLITICO-JUDICIAIRE DANS LEQUEL LE SENEGAL EST ENGLUE ?
Le Sénégal d’aujourd’hui ressemble à un western spaghetti de série B.
Le Sénégal d’aujourd’hui ressemble à un western spaghetti de série B.
Pour ceux qui s’en souviennent, Sergio Leone, talentueux metteur en scène italien, avait imaginé tourner une parodie de western américain, dans des décors européens ressemblants, la recette étant de mettre en avant un acteur vedette américain (en l’occurrence Clint Eastwood dans la trilogie des « dollars »), entouré d’acteurs italiens auxquels il était demandé de tirer à tout va, avec des pistolets à mille coups.
L’affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko ressemble à s’y méprendre à un western spaghetti mettant en situation un acteur principal, Ousmane Sonko, et des acteurs de second plan mal doués pour leurs rôles et difficilement crédibles du fait de leurs moultes contradictions, avec un scénario de bas niveau à l’écriture confiée à des petites inexpertes.
Le peuple avait déjà dénoncé le déni de justice, et voilà que le verdict de ce jeudi a disqualifié les crimes de viol et de menaces de mort reprochés à Ousmane Sonko pour retenir en définitive que le délit de « corruption » de la jeunesse ».
Tout ça pour ça serait-on tenté de dire.
Malheureusement, ce navet cinématographique a complètement esquinté un Sénégal déjà fatigué et tenu en haleine depuis plus de deux années durant lesquelles les populations ont connu la maladie du COVID et ses dégâts, la baisse drastique de leur pouvoir d’achat, et une création nette d’emplois négative si l’on compare les arrivées de demandeurs sur le marché du travail aux destructions d’emplois dues aux fermetures d’entreprises, aux emplois créées dans le « xéyu ndawyi ».
Les chefs religieux au faîte de l’organisation spirituelle nationale sont dépassés et cloués au pilori sur les réseaux sociaux qui ont fini, eux aussi, de représenter des centres d’information justes et adaptés à la demande de rapidité dans la livraison de l’information exprimée par une jeunesse désabusée par le ronron des médiats mainstream. Les pare feux traditionnellement sollicités pour coordonner un dialogue national indispensable pour lever les incompréhensions et surtout entendre les désiderata, ont été usés jusqu’à la corde à l’instar de Famara Sagna.
De 2021 à 2023, la situation sociale s’est dégradée
Les adversaires politiques, devenus ennemis, conviennent tous qu’on est entré dans la phase finale de l’affrontement tant les espaces et canaux de dialogue et de communication habituels ont perdu de leur efficacité.
A la veille du verdict de l’affaire Ousmane Sonko/Adi Sarr, le Président Sall vient de lancer un nouveau dialogue national dont les calculs politiques sous-jacents n’ont échappé à aucun observateur averti du jeu politique et de ses enjeux actuels.
En réalité, ce dialogue des forces vives de la nation n’est rien d’autre qu’une opération de marginalisation d’un adversaire politique condamné d’avance à une inéligibilité à la prochaine élection présidentielle.
Comme une sorte de cautère sur une jambe de bois, le Prince informe au détour d’un semblant d’énervement sur la question du 3ème mandat qu’il n’exclue pas ce point des termes de références. D’ailleurs, a-t-il dit, sa non-participation à ce scrutin est négociable, le prix à payer par les demandeurs étant la courtoisie, le respect et la considération (njekk).
A l’observation, on remarque que le Président n’a donné la parole à aucun des ténors de l’APR durant cette séance de lancement, ni aux communicateurs traditionnels dont les louanges dithyrambiques auraient enlevé toute l’impartialité requise lorsque les idées s’affrontent.
S’agit-il d’une nouvelle ruse du Prince ? On serait tenté de le penser si l’on se réfère aux résultats stériles des exercices précédents.
Ce dialogue est-il sincère et inclusif ? Nous ne le pensons point. Dialoguer sans Ousmane Sonko et le Pastef est un leurre dans la situation actuelle.
Si tant est que l’idée avait traversé les esprits des initiateurs, il aurait fallu rendre Sonko libre de ses mouvements dans un premier temps, et déconstruire tous les scénarii (terrorisme djihadiste, forces spéciales et autres rébellions) qui ont mené au cachot un grand nombre de militants de cette organisation politique.
Il aurait été inconfortable pour Ousmane Sonko de participer à un dialogue national dans ces conditions. Dans le même ordre d’idée, le Président SALL n’avait sans nul doute aucune intention d’inviter Sonko à un dialogue, sauf à l’amener à se déconsidérer aux yeux de ses partisans.
Si le dialogue national est le moyen destiné à présenter une configuration du panorama des élections et à la faire valider par une assemblée de notables et de partis non alignés, avec la présence de candidats potentiels crédibles comme Khalifa Sall pouvant rendre digeste l’absence d’Ousmane Sonko, s’il consiste en réalité à choisir des candidats et à en éliminer d’autres, en particulier Ousmane Sonko, il est évident, au vu de l’actuelle dégradation du climat politique, que l’on file tout droit vers l’échec.
Les deux protagonistes principaux tirent sur la corde ; elle risque de se casser à très court terme.
Certains crient : « foutons le au gnouf », en réponse, d’autres assènent « brûlons tout, on reconstruira après ».
Il est clair pour nous que l’élimination de Sonko du jeu politique est porteuse de destructions en tous genres, si l’on se réfère aux évènements de Ziguinchor et de la Caravane de la Liberté interrompue.
Depuis l’annonce du verdict de ce procès, les foyers de contestation et de destruction de biens publics et privés se sont démultipliés. Le pays a-t-il la capacité de porter la lourde charge du « GATSA GATSA » VS « FORCE RESTE A LA LOI », et le tout « quoiqu’il puisse en coûter » ?
Je ne le crois pas.
Tout détruire n’est pas responsable alors que les dettes ayant servi à réaliser ces biens et infrastructures demeurent, et que leur remboursement conditionne la qualité de la signature du pays dans les marchés financiers incontournables pour le financement des investissements longs.
Concernant la prochaine présidentielle, le Président Sall doit répondre à deux défis majeurs sur la candidature qui représentent les deux faces d’une même médaille. Il s’agit de présenter sa propre candidature au risque de se dénier au regard des engagements pris sur la question et, dans le même temps, d’éliminer la candidature de Sonko.
Le report des élections à 2026 permettrait au Président de différer les urgences. Il doit être dans l’idée des initiateurs de cette formule, de préparer sereinement l’amnistie envisagée pourles candidats potentiels, à savoir Khalifa Sall et Karim Wade, et étudier les conditions de son extension à Ousmane Sonko en 2026.
D’ici là, une épée de Damoclès serait suspendue sur sa tête.
Bien entendu, il ne s’agit ici que de politique fiction mais tous les scenarii doivent être mis en perspective car il s’agit d’un moment crucial de la vie de notre nation.
Ce scénario ne serait bien entendu valable que pour autant que le Président Macky Sall reste le maître du jeu.
Pour l’instant, la violence destructrice s’installe et touche particulièrement les biens publics et privés. Le lancement du dialogue national n’a pas été un franc succès du fait de son impréparation et de son caractère exclusif. Il a fait l’impasse sur Ousmane Sonko et la jeunesse qu’il incarne qui tiennent le pays en haleine depuis quelque temps, l’impasse sur l’économie et sur les questions de gouvernance.
Sur l’économie, des vérités doivent être dites en commissions au-delà du consensus observé quant à une réussite étayée par des réalisations d’infrastructures visibles et de taux de croissance consensuellement salués sans interrogation sur les transferts de revenus sociaux qu’ils auront permis, encore moins sur les transformations structurelles réalisées sur les diverses filières d’activités.
Les dégagements des participants sur les perspectives ouvertes par l’exploitation du gaz et du pétrole ont vite fait de clore la question. Un dialogue national non centré sur l’emploi des jeunes, dans une configuration où 60 % de la population a moins de 25 ans, exclut la grande majorité de la population.
Attention, le Président SALL n’est pas le seul responsable du sous-emploi structurel dans notre pays. Celui-ci est induit par un modèle économique datant de la colonisation perpétué par ses dirigeants successifs en charge de nos destinées depuis 63 ans.
Seulement, c’est pendant son magistère que les attentes de la jeunesse sont les plus fortes, et le désespoir plus grand..
Changer de paradigme devient, dans ces conditions, une urgence nationale, et le consensus « transpartisan », une exigence.
Le mythe de l’homme providentiel ou d’un Deus ex Machina qui apporterait une solution miracle pour sortir notre pays du sous-développement économique a vécu.
Bâtir un consensus sur les grandes orientations économiques, c’est parler le même langage de défense des intérêts nationaux en tout temps, au-delà des alternances politiques.
Nettoyer le programme économique de son prédécesseur sous le prétexte que le sien est meilleur, soumet le pays à des discontinuités dans les plans de développement. La force des dirigeants n’est point dans le regard de ceux qui les appellent « homme fort » ou qui vantent leur leadership. Elle réside plutôt dans leur capacité à mobiliser les citoyens sur des orientations économiques qu’elles finissent par s’approprier.
Le Sénégal a perdu beaucoup de temps. Le bruit, la fureur et l’adversité nous ont empêchés depuis 2019 de nous entendre sereinement sur les enjeux fondamentaux. Les élections étant dans 8 mois à peine, les critères de choix des citoyens tourneront autour de la confiance ou la peur, du conservatisme ou l’aversion pour le changement, tout cela au détriment des programmes économiques proposés par les prétendants, les citoyens n’ayant eu au préalable aucune information en la matière ni de temps disponible pour apprécier les offres politiques.
Cette échéance sera d’autant plus à risques que l’invalidation de la candidature d’Ousmane Sonko a été judiciairement actée à la fin d’un procès pour viol qui a tourné court.
En toutes hypothèses, éliminer de la compétition électorale le leader d’une jeunesse désespérée est gros de danger pour la tenue d’élections apaisées et la paix civile.
Imposer ces consultations, c’est prendre le risque d’un désordre assuré et ancrer les forces de défense et de sécurité dans l’affrontement avec les jeunes manifestants, dont nous avons en temps réel les avant-goûts.