CONJURER LES PIÈGES CONTRE LA TRANSFORMATION SYSTÉMIQUE
Mettre le bilan immatériel au premier plan, en instaurant une nouvelle gouvernance vertueuse, en assainissant les mœurs politiques, en conquérant toutes nos souverainetés confisquées, reste le plus sûr garant du succès du projet
Le peuple sénégalais n’a pas encore fini d'exulter après la brillante victoire électorale du Pastef, qui aura donné tant de fil à retordre aux faucons de Benno Bokk Yakaar. C’est dire qu’il est du devoir de tous les patriotes et démocrates sincères de notre pays d’accompagner ce mouvement, qui se veut de transformation systémique, tout en gardant un esprit critique.
Passage de témoin dans une ambiance « bon enfant »
Ainsi, il n’a pas échappé, même aux observateurs les plus proches de la nouvelle « mouvance patriotique », l’excès de civilités entre les équipes entrante et sortante, surtout entre le nouveau président, Bassirou Diomaye et l’ancien président, maître-d’œuvre du projet autocratique avorté.
Déjà, l’opinion s’était émue, lors de la conférence de presse tenue au lendemain de leur libération, de ce qui semblait être, sinon une absolution prématurée, tout au moins une indulgence exagérée à l’endroit de l’apprenti-autocrate, contrastant avec un acharnement féroce – quoiqu’amplement mérité – contre le candidat-kleptomane, mal-aimé de Benno Bokk Yakaar.
Il y a eu, ensuite, les discours mielleux lors des passations de pouvoirs entre anciens et nouveaux ministres de la République, qui cadraient mal avec la longue liste de contentieux du régime de Benno Bokk Yakaar avec, d’une part l’opposition sénégalaise, de l’autre avec l’ensemble du peuple sénégalais.
Nous restons convaincus qu’il ne s’agit là que de gestes d’élégance républicaine auxquels, nous ne sommes plus habitués après douze longues années de « barbarie institutionnelle ». Néanmoins, le président nouvellement élu, dont tout le monde salue la politesse exquise doit garder en mémoire ce qu’il est advenu, plus de soixante ans après, de notre prétendue indépendance obtenue à l’issue de négociations très policées d’une petite demi-heure entre le président Senghor et le Général de Gaulle.
Le lourd héritage d’une gouvernance calamiteuse
Contrairement à Me Abdoulaye Wade, après la première alternance de 2000, tout heureux d’avoir hérité d’une importante manne financière du gouvernement socialiste, fruit amer de plus d’une décennie d’un simulacre d’ajustement structurel, responsable d’une paupérisation dramatique des couches populaires, le duo Ousmane-Diomaye, lui, a plutôt eu droit à un endettement colossal. Et encore, s’il ne s’agissait que de ressources financières !
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Pastef dissous et ses fidèles alliés stigmatisés de Yewwi Askan Wi ont pâti d’une déliquescence notoire des institutions de la République, qui aura lourdement handicapé les préparatifs en vue d’une véritable alternative sociopolitique.
Si le monde entier retient surtout le report aussi arbitraire que spectaculaire de l’élection présidentielle le 3 février dernier, le peuple, les démocrates et patriotes de notre pays n’ont pas oublié toutes les autres forfaitures (opacité de la sélection par le parrainage, refus de remettre des fiches de parrainage au mandataire d’Ousmane Sonko, candidats de l’opposition interdits de campagne, procès irréguliers, arrestations arbitraires…).
Tant et si bien que, si notre réputation de vitrine démocratique en Afrique a été préservée et les apparences finalement sauves, notamment concernant le nombre et la durée des mandats présidentiels, ainsi que la victoire électorale attendue du Pastef, beaucoup d’entorses aux normes démocratiques ont été constatées. A titre d’exemple, l’incarcération de la quasi-totalité du staff dirigeant du Pastef a pu impacter négativement sur la cohésion organisationnelle et surtout programmatique de la Coalition Yewwi Askan Wi.
Par ailleurs, en réussissant la prouesse de terrasser, dès le premier tour, le mastodonte que constitue le Parti-Etat apériste, héritier de ses homologues socialiste et libéral, les jeunes cadres politiques du Pastef se sont, de fait, affranchi de toute pression venant de leurs alliés politiques, une situation pleine d’opportunités mais aussi de risques.
Quelle démarche pour écarter les dangers pesant sur la transformation systémique ?
Malgré sa victoire électorale éclatante, le Pastef créé par des cadres de la haute administration, a le devoir impérieux, d’élargir et de consolider sa base sociale focalisée dans les couches moyennes et les grandes agglomérations urbaines, en vue de convertir le vote protestataire en vote d’adhésion au fameux projet patriotique, souverainiste et anti-impérialiste, lors des prochaines législatives.
Il faudra aussi transformer les préjugés favorables dont ce parti et le président Diomaye (lui-même très attaché à sa ville natale, Ndiaganiao) bénéficient dans le monde rural en de solides positions politiques. Il s’agira ensuite de s’ouvrir davantage au monde du travail, notamment aux syndicats et à leurs centrales, sans oublier certains partis de gauche traditionnellement liés à certains secteurs de la classe ouvrière, même ceux d’entre eux qui étaient hostiles au camp patriotique ravalé au rang d’agrégat de sectes populistes.
Pour écarter les menaces, qui pointent à l’horizon, la cooptation dans l’Exécutif, de personnalités neutres, ayant fait la preuve de leur indépendance d’esprit et de leur courage est une excellente chose. Dans le même ordre d’idées, le pays a grandement besoin d’experts, dont les compétences ne font l’objet d’aucun doute, car ayant été concrètement matérialisées et mises en œuvre.
Mais évidemment, les critères de choix les plus déterminants devraient être l’option résolue pour le renforcement de la souveraineté nationale et une véritable transformation sociale de notre pays vers plus de justice sociale, d’équité et de liberté.
On observe déjà quelques embûches dressées sur le chemin des nouvelles autorités allant des décrets de dernière minute sur la nomination de magistrats véreux, les passeports diplomatiques au profit de politiciens affairistes, venant après la fragilisation budgétaire conjuguée au contexte inflationniste.
Il y a aussi cette maladresse avérée et regrettable sur la représentation féminine dans le gouvernement, qui commence à prendre une ampleur disproportionnée, rappelant les éternelles tentatives déjà utilisées par les précédents régimes libéraux, d’instrumentaliser la cause féminine à des fins politiciennes, surtout électoralistes d’ailleurs.
La question est de savoir, si le nouveau régime sera capable de contourner tous ces pièges, pour mener à bien sa tâche de « transformation systémique ».
Dans son allocution du 3 avril, le président Bassirou Diomaye Faye, bien que signataire du pacte national de bonne gouvernance initié par des organisations de la société civile, dont le Sursaut citoyen, a omis de mentionner les Assises nationales, mais a plutôt préconisé des concertations isolées sur le processus électoral et le système judiciaire et d’autres mesures de lutte contre la corruption, la fraude fiscale et de protection des prête-noms repentis et autres lanceurs d’alerte…
Tout en saluant ces mesures courageuses, de rupture par rapport à la gabegie des précédents régimes, nous n’en pensons pas moins, qu’il ne sert à rien de réinventer la roue, avec des mesures disparates, qu’il faudrait plutôt fédérer dans un cadre harmonisé. C’est ce qui nous fait militer pour une approche holistique, telle qu’elle ressort des travaux des Assises nationales et du projet de constitution de la C.N.R.I, qui, à notre humble avis, devrait, après réactualisation, être soumis à référendum, avant la fin de l’année.
Mettre le bilan immatériel au premier plan, en instaurant une nouvelle gouvernance vertueuse, en assainissant les mœurs politiques, en conquérant toutes nos souverainetés confisquées, reste le plus sûr garant du succès du projet qui sera suivi de plusieurs autres victoires du camp du patriotisme et du progrès social.