DIOUF-WADE, COMBIEN DE COMBINES ?
Sénégal : cardiaques, émigrez ! Alors que la République tremble dans ses fondements depuis que le chef de l’Etat en exercice, Macky Sall, nous annonce le report de l’élection, ne voilà-t-il pas que deux revenants, surgis des limbes de l’histoire politique
Sénégal : cardiaques, émigrez ! Alors que la République tremble dans ses fondements depuis que le chef de l’Etat en exercice, Macky Sall, de son ton le plus solennel, arborant sa mine la plus grave, nous annonce le report de l’élection, ne voilà-t-il pas que deux revenants, surgis des limbes de l’histoire politique récente, nous rappellent à leur bon souvenir….
Dans un courrier cosigné, les deux anciens présidents de la République, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, nous appellent, en chœur, à garder notre sang-froid, faire preuve de bonne éducation, de retenue, d’esprit républicain, de patriotisme. Ils s’adressent à nous autres, Sénégalais ordinaires, dont la plupart sont de cette jeunesse qualifiée de malsaine par l’un, et que l’autre a éduquée à affronter les Forces de l’ordre, leur apprenant comment renvoyer les lacrymogènes aux policiers quand elle ne fait pas exploser des voitures pour obtenir sa libération.
Une énième «sénégalaiserie» de ces duettistes dont le sordide compagnonnage, qui date de bien longtemps, prend racine en des occasions sans doute que l’histoire ne révèlera jamais.
Certes, le pays est au plus mal
A l’international, nos amis du monde occidental, qui font du Sénégal le premier de la classe démocratique sous les tropiques, froncent les sourcils
Le département d’Etat américain, cette vierge éternelle effarouchée, s’indigne des violations flagrantes des principes de bonne démocratie. Au pays de la peine de mort, du port d’arme institutionnalisé, où un Nègre prend une balle perdue s’il fouille trop brusquement ses poches, ça ne tolère pas qu’un pays aussi pauvre que le nôtre puisse s’offrir l’audace d’enfreindre sa Constitution avec autant de désinvolture.
Quant à l’Union européenne, qui ne comprend déjà pas qu’un pays civilisé s’offusque que des homosexuels se promènent sur les boulevards bras dessus, bras dessous en échangeant des baisers à pleines bouches, elle se scandalise que ces sauvages se permettent en plus de rater un rendez-vous électoral.
Que dire de l’indignation de la Cedeao… Ses pays membres ont déjà du mal à gober les Sénégalais qu’ils regardent comme des intrus : un authentique pays africain a dans son pedigree au moins deux coups d’Etat sanglants et un putsch sympa, pour le principe, sans trop de gaspillage d’hémoglobine. Juste des foules en liesse, des soldats sur les chars et des chants martiaux qui surexcitent les midinettes.
Le Sénégal, qui est non pas un pays africain mais juste situé en Afrique, tarde à sauter le pas. C’est agaçant. Allez, quoi : du nerf ! Y’aurait pas un sergent obtus chez nous, genre Dadis Camara, aux intonations vernaculaires et au vocabulaire chiche, qui se dévouerait pour authentifier notre nègre attitude ?
Macky Sall, avouons-le, est dans la bonne direction, puisqu’il ouvre la voie à l’aventure. Ça ne suffit pas. Il devrait sauter le pas et répondre à l’appel de l’abîme avec plus de courage s’il veut mériter sa place dans la liste interminable des chefs d’Etat africains dont on évoque les hauts faits en écrasant des larmes sur nos bajoues.
Ce n’est pas sénégalais certes, mais très ouest-africain. Une vraie révolution, avec des insurgés grognant et hurlant, une foule délirante qui brûle tout sur son passage et, au final, un quarteron de gradés qui prend ses aises au palais de la République après en avoir délogé l’occupant.
La première mesure que ces malappris prendraient, après avoir suspendu la Constitution, c’est de mettre un terme au gaspillage républicain dont les astronomiques pensions de retraites présidentielles ainsi que les frais d’entretien qui vont avec.
De quoi réveiller le tonus de retraités grabataires qui pensent jusque-là couler des jours peinards à l’abri du besoin, tandis que leurs enfants et petits-enfants vivraient sur un grand train, conformément au standing familial. Suivez mon regard…
Saperlipopette, s’exclamerait-on dans un autre monde.
Et donc, ces bons messieurs, Diouf et Wade, de leurs plus belles plumes, qui voient de loin venir le temps des vaches maigres si la République bascule dans la révolution de palais, se fendent d’un appel à la raison, après avoir fait régner leur déraison trente-deux années durant.
On rembobine ?
Au début des années soixante-dix, alors que Senghor tient la barque d’une main de fer dans un gant de velours, il tourne autour de lui un troupeau de jeunes ambitieux dont les rêves de gloire n’excèdent pas la gloire de prendre la place du Blanc.
Abdou Diouf, sorti de l’Enfom, où l’on vous enseigne l’art de mater du Nègre en obéissant au Blanc, est un premier de la classe.
Deux mètres, mais pas un poil plus ras que l’autre. Il sait se plier en quatre, rentrer le cou et raser les murs au besoin. Quand on lui demande de poser aux côtés du Président plutôt court sur pattes, il recule de deux pas pour que le contraste des tailles ne fasse pas de l’ombre au Président.
La courtisanerie est un art.
Ça rassure l’autocrate républicain que le bicéphalisme avec Mamadou Dia échaude depuis les «événements de 1962».
Dans ces années-là, les finances publiques sont choses trop sérieuses pour être confiées à la négraille. André Peytavin, médecin vétérinaire, militant progressiste qui préfère la nationalité sénégalaise à celle de la France au moment des indépendances, est le premier ministre des Finances.
Il décède sans crier gare en 1964.
Un court intermède fera de Daniel Cabou, son successeur, un juriste et économiste, également un pur produit de l’Enfom.
Tout ça, c’est avant que Jean Collin n’y atterrisse.
Pause pipi.
Il y reste jusqu’en 1971. Malgré les coups de boutoir de jeunes ambitieux qui réclament sa tête et veulent sa place avec pour principal argument que leur couleur de peau.
Quand il faut choisir, quelques têtes émergent.
Un premier de la classe, sorti de l’Enfom, qui a eu le malheur d’être le directeur de Cabinet de Mamadou Dia, Babacar Bâ, sort du lot. Un surdoué qui, en 1948, décroche le bac à dix-huit ans, pendant que ses contemporains le décrochaient à vingt-deux ou même trente
Rien à voir avec les carrières poussives des autres prétendants, dont un certain Abdoulaye Wade.
Babacar Bâ a ce petit quelque chose, le panache, peutêtre, que la noblesse vous impose malgré vous. Sa mission : créer une bourgeoisie nationale qui reprendra notre économie des mains du colonisateur. Le vendredi, quand Babacar Bâ sort du cimetière de Soumbédioune aux aurores, il s’astreint à des audiences que le Peuple des Sénégalais en urgence lui réclame. Sa légende anime le monde des affaires et il devient un mythe dans le bassin arachidier.
C’est sans doute à ce moment-là qu’entrent Abdou Diouf, Premier ministre sans envergure, et Abdoulaye Wade, juriste, économiste, avocat, qui se voit ministre des Finances après avoir déployé tant d’efforts pour que l’économie et les finances soient confiées à un Nègre bon teint.
Senghor lui préfère Babacar Bâ
Abdou Diouf et Wade ne nous diront jamais à quel point ils ont été complices. La création d’un «parti de contribution» travailliste, le Pds, pour appuyer les progressistes de l’Ups, surtout au plan économique, tombe pile-poil. Quand Wade rencontre Senghor à Mogadiscio pour avoir l’autorisation de créer son parti, il a la bénédiction du Premier ministre.
Ça tombe bien, le monde entier attend la création d’un parti d’opposition civilisé en Afrique…
Le hasard faisant bien les choses, c’est dans le fief de Babacar Bâ, le bassin arachidier, avec aux manettes Ahmed Khalifa Niasse, que le premier congrès du Pds se tient.
En ces temps-là, le bourrage des urnes est la norme. Quand Senghor le veut, les urnes affichent 100% des votes. Quand Wade et son Pds arrivent, ô miracle, ils décrochent de quoi former un groupe parlementaire à l’Assemblée, avec dix-huit députés.
Fara Ndiaye, le numéro deux du Pds, est un familier de Diouf, depuis la fin des années cinquante. Ils crèchent alors dans la même résidence universitaire en France. Cerise sur le gâteau, le beau-frère de Fara Ndiaye est un condisciple de Diouf. Ça aide, n’est-ce pas…
Ils se parlent la nuit, en bons Africains, comme dirait un éditorialiste français pince-sans-rire. C’est Diouf lui-même qui le dit dans son autobiographie.
Pour financer le Pds, un cabinet de consultance est mis sur pied, codirigé par Fara Ndiaye et Habib Diagne, que l’on dit proche de Abdou Diouf. Des lettres de recommandation du gouvernement sénégalais leur ouvriront des marchés auprès de certains Etats africains.
Il n’y a pas que gagner de l’argent en politique, il faut aussi savoir nuire à ses adversaires…
Pendant que Abdoulaye Wade dénonce le scandale économique qu’est l’Oncad, le moteur de l’économie dans le bassin arachidier, fief de Babacar Bâ, Abdou Diouf démolit le mécanisme de financement de la bourgeoisie locale en fermant le fameux «Compte K2» de la Bnds qui donne à Babacar Bâ plus de pouvoir que de raison.
Moustapha Niasse, Djibo Kâ, qui ceinturent Senghor sous la coupe de Jean Collin, se dévoueront pour provoquer le court-circuit entre le Président et son ministre des Finances… Même le cousin, Serigne Ndiaye Bouna, s’en mêlera en créant le fameux «scandale des voitures japonaises», prétextant que Babacar Bâ, ministre des Finances, protègerait les multinationales françaises en interdisant l’importation des voitures japonaises.
Un «scandale» révélé par le seul journal privé de l’époque, Le Politicien…
Tous ces braves concitoyens feront tant et si bien que le chouchou de Senghor tombera en disgrâce. Il est d’abord déplacé aux Affaires étrangères avant qu’un incident ne le raye de la liste des membres du gouvernement. Avec les compliments de Jean Collin et Abdou Diouf.
La voie est libre.
Lorsque Diouf remplace Senghor, Collin est aux premières loges certes, mais Wade ne doute pas qu’il a sa part du butin qui l’attend. Diouf n’est pas une bête politique et il pense n’en faire qu’une bouchée aux premières élections qui viennent.
En 1983, ô surprise, c’est Diouf qui gagne… C’est alors que le gentil parti d’opposition issu du «parti de contribution» opère sa mue. Le style change. L’extrémisme de Wade que la conquête du pouvoir obsède depuis que c’est Diouf qui occupe le Palais, effraie ses lieutenants qui le quittent les uns après les autres.
En 1988, lorsque le Pds donne l’assaut, c’est une armée de sans-culottes que complète un trio de poseurs de bombes.
L’Etat, alors, c’est Jean Collin.
Il faudra s’en débarrasser, en 1990, pour enfin que Diouf et Wade se retrouvent en tête-à-tête, face à face. Pour qu’il puisse y avoir le «Code électoral consensuel» piloté par Kéba Mbaye, puis le «gouvernement de majorité élargie» où nos larrons se croiront en foire…
De leurs mamours, qui confinent à la vulgaire partie de jeu de dames, on retiendra en plus la faillite de l’éducation et la citoyenneté, une année scolaire «blanche», un juge constitutionnel assassiné, plusieurs couvre-feux, le plus grand naufrage maritime de l’humanité, une culture du reniement et de la compromission, du vandalisme politique, une conception du bien public qui se contente de garder le pouvoir ou le conquérir juste pour jouir de ses privilèges.
Entretemps, comprenez trente-deux-années de magistère si on additionne les années de gloire de nos duettistes, la «jeunesse malsaine» a fait des petits qui sont devenus des pilleurs et des assassins.
Avec les compliments de MM. Diouf et Wade…