ÉCONOMIE DE GUERRE
À petit feu, le monde bascule dans la guerre. Jamais l’humanité n’a été aussi proche d’un précipice meurtrier. Depuis un an, la bande de Gaza subit une brutalité sans gêne et un déluge de feu nourri d’une soldatesque israélienne déchainée.
À petit feu, le monde bascule dans la guerre. Jamais l’humanité n’a été aussi proche d’un précipice meurtrier. Depuis un an, la bande de Gaza subit une brutalité sans gêne et un déluge de feu nourri d’une soldatesque israélienne déchainée.
Sur la même séquence temporelle, le Soudan a cessé d’être une nation pour devenir une prison à ciel ouvert du fait d’un indescriptible chaos provoqué par deux généraux qui se vouent une haine irascible pour la conquête du pouvoir.
Abdel Fattah al-Burhan des Forces armées soudanaises (SAF) et Mohamed Hamdan Dagalo des Forces paramilitaires de soutien rapide (RSF). Pour avoir travaillé ensemble, ils se connaissent. Ce sont deux ennemis intimes. Ce qui complique tout dans ce Soudan chaotique.
La capitale Khartoum, ressemble à une ville fantôme, vidée de sa population qui erre sans fin, infrastructures détruites, pillages de banques, des services, des hôpitaux, des entrepôts, des silos. Ceux qui le peuvent, deux ou huit millions ( !), fuient et se réfugient au Soudan du sud, en Égypte, en Éthiopie, au Tchad soupçonné d’être le point de passage (ou de transit) des armes en grande quantité destinées aux belligérants d’un sanglant conflit qui s’enlise.
Bien évidemment Ndjaména, dément mais ne convainc personne. Ces armes, proviennent d’une Libye désarticulée au lendemain de la mort de Kadhafi. L’hécatombe et l’horreur se combinent.
Le Soudan sert de lieu d’évacuation des matériels militaires achetés à prix d’or par le défunt colonel libyen du temps de sa splendeur ou de sa factice grandeur. Il s’agit proprement d’un trafic orchestré par des hommes de tous acabits reconvertis en marchands de la mort prospères.
Les deux pays, géographiquement distants, se rapprochent grâce à des similitudes de situations avec de part et d’autres une double belligérance qui oppose des officiers supérieurs enivrés par leur puissance de feu et qui ne perçoivent leur bonheur personnel que dans l’accomplissement de leur volonté quitte à massacrer leurs semblables, en un mot leurs compatriotes.
La cruauté des tueries et l’enchaînement des crises alimentaires ont plus ou moins secoué l’indolence d’une communauté internationale frappée d’inaction jusque-là. Mais la voilà secouée. Et promptement, une conférence réunit à Paris les acteurs de l’humanitaire mondial, les financiers de haut vol et des… militaires (cartes à l’appui) pour travailler ensemble à mettre fin à cette guerre sans nom avec une pression insistante sur les protagonistes.
Enjeu : mobiliser dans l’urgence 4 milliards de dollars. Rapidement, préviennent les organisateurs ! Cette surprenante réaction ne gomme pas pour autant l’indifférence du début découlant d’une légère appréciation du contexte et (surtout) d’une négligence coupable des grands dirigeants du monde qui n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts propres.
Or à Paris, le président français, Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz sont à pied d’œuvre pour, disent des observateurs, « un espoir de motivation ». Ils veulent stopper la saignée.
Mieux, la désagrégation du Soudan, selon eux, équivaudrait à une fragilisation accentuée de l’Afrique déjà en proie à une série de crises résiduelle : Sahel, Salafisme à l’ouest, RDC/Rwanda, Centrafrique, des millions de déplacés pour différentes causes de guerre, famine et réchauffement climatique.
Par ce biais, l’Allemagne revient au-devant la scène en jouant les premiers rôles aux côtés d’un Macron qui se voit en « acteur majeur » sur cette même scène internationale.
D’ailleurs, jeudi dernier, il s’est rendu ostensiblement en Dordogne dans le sud-ouest de la France pour y visiter une usine de fabrique de munitions tout en posant la première pierre d’une autre unité de production. Requinqué par l’objet de cette « tournée », M. Macron, la mine réjouie, sans doute épanouie, annonce sans sourciller qu’une économie de guerre « produit de la richesse ».
Le propos n’est pas passé inaperçu. Il sonne plutôt comme un retournement de conjoncture à la faveur de l’éclosion de plusieurs théâtres de conflits armés. En le proclamant, songeait-il à la guerre Russie-Ukraine aux portes de l’Europe ?
Le continent en souffre encore parce que fortement impactée par les conséquences en termes d’approvisionnement en hydrocarbures et en blé et céréales en provenance de Kiev. L’industrie militaire est donc en marche !
Ne nous méprenons pas en revanche si, demain, les priorités d’investissement et de transformations s’inversent pour privilégier la fabrique d’armes sophistiquées. Les pays producteurs sont ceux-là mêmes qui gouvernent le monde via le G7 et, accessoirement le G20. Ils pilotent à leur guise l’économie du monde dont la guerre est une composante essentielle. Surveillons également les indicateurs de liquidités afin d’apprécier leur inclination conjoncturelle.
La récente attaque de l’Iran contre Israël par des missiles balistiques de moyenne portée signe une tournure nouvelle du conflit au Proche et au Moyen Orient. L’Iran révèle ses capacités techniques qui peuvent surprendre tout le monde sauf Israël et les Etats-Unis.
Washington tempère Tel-Aviv pour ne pas riposter instantanément. A tout prix, l’Amérique veut éviter l’embrasement et l’escalade à la fois. Le Premier ministre Netanyahu n’a pas la même lecture de l’affront iranien qu’il veut laver au plus tôt pour ne pas apparaître indolent voire faible aux yeux des Israéliens inquiets pour leur sécurité face à ces « attaques » qui titillent l’armée, le Tsahal. L’attaque a-t-elle été contreproductive ou s’agit-il de la part des Iraniens d’une provocation pour tester le degré de réaction des Israéliens ?
Dans la péninsule se joue un conflit larvé. Suite à la destruction en juin 2019 d’un drone américain, les Etats-Unis avaient déclenché des frappes contre l’Iran qui avait été lourdement sanctionné. Il avait payé un lourd tribut et faisait l’objet d’une surveillance accrue en raison de ses velléités de disposer d’un uranium enrichi pour devenir à terme une puissance nucléaire.
Ce danger bien que réel n’effraie pas Israël. Il ne le méconnait pas non plus. En outre, l’Amérique a averti que les proportions sont à prendre en considération : l’Iran c’est 90 millions d‘habitants, Israël, 10 millions. L’économie iranienne s’appuyant sur ses richesses, s’affranchit de toute dépendance paralysante tandis que Israël bénéficie du parapluie américain qui se déploie en sa faveur en toutes circonstances.
Tel-Aviv détient certes l’arme nucléaire mais redoute que Téhéran l’acquière alors que ses savants y travaillent d’arrache-pied à l’abri de tout regard inquisiteur. Les Etats-Unis agissent sur les deux tableaux pour contenir les intentions des radicaux des deux côtés, bellicistes impénitents qui ne songent qu’à en découdre.
L’autre arme dont se sert l’Iran est le pétrole. Il peut et veut souvent en user pour perturber le commerce de l’or noir. Il est membre influent de l’OPEP au sein de laquelle trône l’autre géant qu’est l’Arabie Saoudite, fidèle alliée des Etats-Unis et farouche adversaire de l’Iran dans la gouvernance du monde musulman. Chiite d’un côté, sunnite de l’autre.
La complexité de la géopolitique ajoute une difficulté supplémentaire à l’enjeu d’une économie de guerre qui se met en place sous nos yeux. Quand des éléphants se battent, l’herbe en souffre plus.