ÉLÉMENTS D’ANALYSE POUR L’ÉLABORATION D’UN CURRICULUM INTÉGRÉ DE FORMATION ÉN EVALUATION DU DÉVELOPPEMENT
un phénomène aussi complexe que le développement exige des conceptions et usages autocentrés, nourris par des connaissances scientifiques approfondies des contexte
En Afrique, il existe aujourd’hui une réelle demande de formation en Évaluation du Développement. Mais l’analyse du système d’acteurs révèle une trop forte dépendance du continent de l’Aide au Développement malgré l’immense travail de l’IDEV. Dépendance telle qu’au gré des changements de cadres normatifs chez les donateurs, les pratiques évaluatives africaines ont été régulièrement affectées. Or, un phénomène aussi complexe que le développement exige des conceptions et usages autocentrés, nourris par des connaissances scientifiques approfondies des contextes. Le présent article apporte des éléments d’analyse ainsi qu’une démarche de nature à favoriser l’émergence de curricula pertinents et cohérents dans la perspective des ODD.
L’Evaluation des Politiques Publiques est, aujourd’hui, dans une phase de mondialisation marquée notamment par l’émergence de sociétés nationales d’évaluation et la multiplication de cabinets privés spécialisés. Cet essor planétaire semble inéluctable, qui s’appuie sur une véritable mouvance internationale vers sa professionnalisation et son institutionnalisation. Dans cette optique, certains pays ont déjà inscrit l’évaluation des politiques dans leur loi fondamentale, lui conférant ainsi un caractère constitutionnel.
L’Afrique, loin d’être en reste, connait une véritable effervescence grâce à un système d’acteurs dans lequel interagissent des femmes et des hommes dévoués à la cause de l’évaluation.
Rien que dans une courte période de 3 mois (entre novembre 2016 et février 2017), l’auteur de ses lignes a participé, en qualité d’expert, à trois grandes réunions internationales tenues sur le continent :
- la Semaine de l’Évaluation de la Banque Africaine de Développement (IDEV-BAD) à Abidjan, Côte d’Ivoire (du 7 au 11 novembre 2016) ;
- le 2ème Forum International du Réseau Francophone de l’Évaluation (RFE) à Marrakech, Maroc, (du 13 au 16 décembre 2016) et
- la 8ème Conférence de l’Association Africaine de l’Évaluation (AFREA), à Kampala, Ouganda (du 27 au 31 mars 2017).
Le présent article est justement le fruit d’une réflexion, au terme d’une période de pérégrinations, d’enquêtes et d’échanges, sur les besoins et les enjeux pour l’Afrique en matière d’évaluation dans la perspective de l’agenda 2030 des ODD.
Concrètement, il s’agit dans cet article, d’identifier les besoins et aspirations des acteurs africains, d’analyser les enjeux sous-jacents et de suggérer des réponses de nature à favoriser un alignement des évaluations en Afrique sur les principes d’équité, de pertinence et de durabilité conformément aux ODD.
L’EVALUATION EN AFRIQUE : LES ACTEURS ET LEURS BESOINS
Le système d’acteurs
Parti du Nord vers le Sud, l’essor de l’évaluation a connu une envergure mondiale à partir des années 2000.
En effet, jusqu’au milieu des années 90, seuls les pays du Nord avaient vu naître des sociétés d’évaluateurs dont le nombre était encore faible. Parmi les sociétés nationales d’évaluation, la canadienne fut la première créée en 1981, suivie de l’américaine en 1986. La même année, le CAD-OCDE[1], qui jouera par la suite un rôle prépondérant dans la promotion internationale des initiatives, mit en place un premier réseau d’évaluateurs : le DAC Working Group on Evaluation. Par la suite, des sociétés d’évaluation nationales et régionales apparurent au Sud grâce à de nombreuses initiatives internationales similaires. Aujourd’hui, on dénombre de très nombreuses associations nationales en Afrique (Laporte C., 2015)
Il faut signaler que si, au début, la Banque mondiale, le PNUD, l’UNICEF et le CAD-OCDE ont été les précurseurs et les acteurs majeurs parmi les organismes multilatéraux, par la suite, un immense acteur continental va apparaitre qui va jouer un rôle prépondérant. Il s’agit de La Banque Africaine de Développement (BAD), laquelle, par le biais de son organe spécialisé en évaluation du Développement (IDEV : Independent Development Evaluation), contribue considérablement à la diffusion de la culture de l’évaluation dans le continent.
Les acteurs et leurs besoins
Les débats au sein de ce système font largement ressortir l’existence d’une forte demande de formation en évaluation de la part des acteurs du continent. Parmi ces derniers se distingue la catégorie « les Évaluateurs Émergents (Ee)» dont le nom en dit long sur les attentes et aspirations en matière de formation qualifiante. Essentiellement composée de jeunes universitaires, les ressortissants de cette catégorie expriment fortement le désir d’accroitre leurs compétences par l’acquisition d’un diplôme professionnel. Mais ces débats mettent aussi l’accent sur la nécessité de prendre en compte, dans les pratiques évaluatives, les spécificités du continent liées à la culture et à la nature des besoins et des obstacles propres à l’Afrique. Au sein du mouvement associatif africain en faveur de l’évaluation, on parle même de la nécessité de faire émerger une évaluation « made in Africa. »
Cependant, il apparait clairement à tout observateur que cette demande de formation s’adresse quasi exclusivement aux partenaires techniques et financiers (PTF) de la coopération au développement.
C’est que, de leurs PTF, dépendent quasi exclusivement les acteurs africains ; aussi bien sur le plan des connaissances techniques et professionnelles que sur celui des financements. De fait, si les associations nationales d’évaluation fonctionnent tant bien que mal, elles le doivent aux subventions, bourses, ateliers de formation, forums et conférences financés par leurs PTF.
L’ÉVALUATION EN AFRIQUE : LES ENJEUX SOUS -JACENTS
Une dépendance aux racines profondes
En s’intéressant de plus près à cette dépendance en matière d’acquisition des compétences, on découvre alors toute son ampleur, mais aussi et surtout son caractère ombilical et systémique comme en témoigne ce long passage.
« Nos recherches ont montré qu’il n’y avait pas réellement de demande de renforcement des capacités en évaluation dans les pays du Sud. Cette demande provenait clairement des organismes d’aide au développement qui voyaient en l’évaluation une réforme positive pour les pays du Sud. Les pays bénéficiaires de l’aide ont alors été fortement incités à reproduire cette demande et à introduire l’évaluation comme objet de réforme politique dans leurs plans nationaux de développement. Cette incitation passait notamment par le conditionnement de l’aide à des engagements des États à mettre en place des systèmes évaluatifs. Le développement de capacités en évaluation faisait partie du « package » de réformes institutionnelles que les donateurs proposaient aux pays bénéficiaires pour atteindre ce qu’ils considéraient comme étant un niveau minimal de bonne gouvernance permettant d’assurer l’efficacité des programmes d’aide. » (Laporte, C., 2015, p.243-244)
C’est dire qu’en Afrique, l’évaluation des Politiques Publiques a émergé dans le cadre des programmes de l’Aide Publique au Développement (ADP) sous la tutelle intellectuelle et financière des donateurs du Nord par le biais des organismes bilatéraux et multilatéraux de la coopération au développement.
Or, on sait que l’histoire de l’APD en faveur de l’Afrique est marquée par une succession d’échecs, d’insatisfactions et de multiples réorientations opérées par les donateurs. On sait également que parmi les causes d’échec imputées au Nord figure la non-pertinence des théories de développement sous-jacentes à l’APD. Enfin, il est aussi connu que si certains changements d’orientation de l’APD ont été dictés par l’inefficacité avérée des programmes, - laquelle engage de manière incontestable aussi bien la responsabilité des élites politiques africaines que celle de l’expertise dominante du Nord, - d’autres, intervenus de manière unilatérale, l’ont été par des changements de référentiels aux motivations politiques, conjoncturelles ou autres, propres aux pays donateurs.
Aussi, ces faits à l’esprit, l’observateur témoin de cette effervescence en cours dans les milieux africains de l’évaluation ne peut s’empêcher, à prime abord, de redouter le développement dans les pays du Sud de curricula de formation en Evaluation qui, parce qu’ils n’auront pas été conçus de manière autocentrée ou qu’ils sont trop sensibles au moindre changement de référentiels advenu au Nord, reproduisent les mêmes schémas d’échec qui ont marqué la Coopération au Développement. Ce fut notre cas et celui de nombreux acteurs que nous avons rencontrés, qui s’interrogent sur les enjeux de cohérence mais aussi de pouvoir et de domination qui accompagnent le renforcement des capacités en évaluation par le transfert de compétences du Nord vers le Sud.
Il nous a paru alors particulièrement utile de procéder à l’approfondissement de l’analyse sur le plan historique par une recherche bibliographique ciblée sur une rétrospective des liens entre l’APD et les pratiques évaluatives.
Un arrière-plan historique révélateur des enjeux
Nous avons alors découvert que des analystes politologues et critiques du « développement » qui se sont penchés sur le rapport entre l’APD et l’évaluation ont bien établi que cette inféodation apparente est historiquement avérée depuis bien longtemps.
De fait, leurs travaux ont bien montré que les approches et pratiques évaluatives dans le secteur de la coopération ont évolué de façon cyclique en fonction des changements dans les politiques d’aide au développement.
Selon Laporte (Op.cit.), les pratiques et usages de l’évaluation ont oscillé entre les deux principales fonctions qui lui ont été alternativement attribuées par les cadres normatifs en vigueur dans chaque époque : la redevabilité et l’apprentissage. Lesquelles ont respectivement privilégié des méthodologies quantitatives dites scientifiques et celles qualitatives dites participatives selon un cycle dont voici un aperçu.
- 1960 -1970. L’évaluation est conçue à des fins d’apprentissage pour tirer les leçons du passé.
- Années 80. Après le tournant néolibéral, préoccupé d’évaluer l’efficience et l’efficacité des politiques d’aide dans le but de vérifier que les PVD appliquent bien les recommandations du consensus de Washington, on a privilégié les approches quantitatives.
- Au milieu des années 90. Suite au constat d’échec de l’APD, les années 80 sont qualifiées de « décennie perdue de l’APD ». Des approches sociales ciblant la lutte contre la pauvreté, le renforcement des systèmes éducatifs et de santé, la promotion de la bonne gouvernance sont mises en place avec des démarches qualitatives et participatives. C’est alors que débarqua le NPM (New Public Management) qui redonne à l’évaluation une fonction de redevabilité privilégiant l’évaluation de l’efficacité organisationnelle et les résultats des administrations publiques par une approche gestionnaire.
- Fin des années 2000. Cette approche gestionnaire de l’APD est remise en cause par les bénéficiaires et les ONG internationales qui réclament plus de partenariat et plus de redevabilité mutuelle. Les donateurs vont céder devant cette pression. Les conceptions qualitatives et participatives sont alors remises au gout du jour pour rendre plus égales et plus collaboratives les relations entre acteurs.
Ainsi, selon les besoins des donateurs et les contraintes organisationnelles et contextuelles, les évaluateurs des programmes et politiques d’aide ont alternativement favorisé différentes approches, démarches et méthodologies
Dès lors, la question fondamentale est la suivante :
Comment affranchir l’évaluation des aléas de la Coopération au Développement. Pour en faire une « évaluation » qui rendrait ses praticiens capables d’approcher les réalités sociopolitiques du continent de façon plus autonome.
Dans cette perspective, la forte demande de formation qu’expriment les africains renvoie à celle d’un curriculum pertinent pour une formation à l’évaluation des Politiques Publiques en contexte africain.
DE LA NÉCESSITÉ D’UNE APPROCHE HOLISTIQUE EN MATIÈRE DE FORMATION.
Pour une réactualisation intelligente des critiques du Développement
Les nombreuses critiques du « développement », dont certaines sont d’un scepticisme profond (Rist G., 2013) ; d’autres d’une radicalité inouïe (Amin S., 1997); (Rivero O., 2003), ont fini par établir que le Développement est un phénomène global d’une complexité qui exige une approche holistique.
Dans les années 80, Gilbert Rist rappelait à juste raison, qu’évaluer le Développement, c’est évaluer le plus formidable pourvoyeur de relations interculturelles. Les milieux des « Etudes du Développement » étaient alors en plein débats sur, entre autres questions, la nécessité d’admettre que le Développement n’est pas qu’une question de croissance ; qu’il a des fondements culturels et nécessite une approche globale, etc. C’est qu’on avait découvert que l’échec de ce gigantesque transfert Nord-Sud de culture qu’est le Développement avait fait redécouvrir la vitalité des cultures autochtones. Lesquelles, tout en imitant l’Occident par admiration, la craignaient et la rejetaient en faisant émerger des « logiques de compromis[2] ». (Rist G., 1985)
Il s’y ajoute que l’histoire a fait du continent africain un lieu où, de manière quasi soudaine et simultanée, ont émergé deux processus : un processus de formation d’états-nation et un autre de développement économique. Tous les deux venus d’ailleurs pour se greffer dans un contexte culturellement foisonnant mais politiquement désarticulé, d’abord par la Traite Négrière puis par la Colonisation. En l’espace de seulement 4 à 5 décennies, une élite formée dans le moule colonial est chargée d’opérer cette greffe sous assistance de l’expertise du Nord, en menant de pair le déploiement des structures étatiques et la mise en œuvre des politiques publiques de développement. En Afrique plus qu’ailleurs, le Développement recouvre des réalités d’une complexité inouïe.
Aussi, si l’analyse des politiques publiques rend intelligible l’Évaluation des Politiques Publiques (Monnier E., 1992), en Afrique, plus qu’ailleurs, seule l’Étude et l’Analyse du « phénomène développement » peut rendre intelligible l’Analyse des Politiques Publiques et par ricochet l’Évaluation de ces dernières. Pour autant que cette analyse du développement soit la résultante de regards croisés des différentes disciplines scientifiques sur le phénomène dans une perspective intégrant fortement la dimension historique.
Pour être performant, l’évaluateur en contexte africain doit donc être capable de comprendre et de prendre en compte les questions d’ordre sociologique, anthropologique, économique, historique, méthodologique, etc.
Il convient de préciser que cet effort de réactualisation et d’approfondissement des critiques du Développement doit s’opérer dans un cadre scientifique. Pour cela, il faut que les deux champs de recherches scientifiques universitaires que sont les Études du Développement et l’Analyse des Politiques Publiques voient se développer une expertise africaine, riche, autocentrée et performante pour servir d’arrière-plan intellectuel à l’Évaluation des Politiques Publiques. Cela, en dehors de toute tentation culturaliste et de toute forme de nationalisme ou d’anti-occidentalisme.
Car, comme l’écrit si bien Cheikh Hamidou Kane :
« …chaque heure qui passe apporte un supplément d’ignition au creuset où fusionne le monde. Nous n’avons pas eu le même passé, vous et nous, mais nous avons le même avenir, rigoureusement. L’ère des destinée singulières est révolue. Dans ce sens, la fin du monde est bien arrivée pour chacun de nous, car nul ne peut plus vivre de la seule préservation de soi. » (Kane, C. H., 2011, pp. 90-91)
Vers un curriculum intégrant les Études, l’Analyse et l’Évaluation du Développement
Dans cette perspective, l’Afrique doit donc former, - plus que des évaluateurs capables de concevoir et de conduire des évaluations, - des analystes/évaluateurs du développement fortement sensibilisés en Études du Développement et en Analyse des Politiques Publiques et bien outillés en Évaluation des Politiques Publiques[3].
Renforcer le Système d’Acteurs
La description que nous avons faite plus haut du système d’acteurs met en évidence le fait que des acteurs comme les universités, les organes étatiques, les collectivités locales, les médias nationaux et régionaux, sont loin d’être au-devant de la scène.
A l’exception de l’APNODE[4] dont le dynamisme et l’implication au plus haut niveau méritent d’être soulignés, les institutions nationales républicaines et les organes étatiques maitres d’œuvre de politiques publiques brillent par leur faible présence dans les réseaux d’évaluation.
Or, dans la perspective qui est ici la nôtre, leur rôle sera absolument indispensable. Par conséquent, il faudra œuvrer pour la densification du système d’acteurs notamment par une plus grande participation de ces absents de marque, chacun dans son rôle.
Le rôle des Universités et Instituts de formation supérieure,
Outre le développement de programmes de recherche dans les trois champs disciplinaires que nous avons indiqués, les institutions de formations supérieures devraient être encouragées à mettre en place des Master en Analyse et Évaluation du Développement (MAED) structurés autour de modules d’enseignements alimentés par des travaux scientifiques issus des trois domaines susmentionnés.
A partir d’un tronc commun, ces modules conduiront à trois certificats distincts : un en Analyse des Politiques Publiques, un en Études du Développement et un en Évaluation des Politiques Publiques. L’obtention des trois certificats, la réussite des modules de méthodologie de recherche, du stage pratique ainsi que la soutenance d’un mémoire de fin d’études seront obligatoires pour décrocher le MAED. La création d’écoles doctorales devrait également être envisagée.
Le rôle des États, des Collectivités locales et des cabinets privés
Tous les démembrements de l’État et des Collectivités Locales chargés de la mise en œuvre de politiques ou de programmes publics, tous les cabinets privés devraient être encouragés à prendre leurs dispositions pour être en mesure d’accueillir en leur sein des apprentis évaluateurs dans le cadre d’un programme de « Formation duale au service de la poursuite des ODD » tel que nous le proposons ci-dessous.
L’AGENDA 2030 DES ODD : UN LABORATOIRE CONTINENTAL À METTRE À PROFIT
Les ODD : une opportunité pour l’évaluation
Dans le contexte international actuel, la nouvelle donne de l’agenda 2030 des ODD fait de l’évaluation un véritable impératif. En effet, la poursuite des ODD est aujourd’hui le référentiel et le cadre logique dans lequel s’opèrent les politiques pour le développement international.
Or, l’évaluation est perçue par les principaux acteurs comme un outil indispensable dans le cadre des ODD. Les Nations Unis ont d’ailleurs lancé un grand programme d’élaboration d’indicateurs internationaux pour l’évaluation des ODD. Les promoteurs africains de l’évaluation le savent très bien qui viennent de consacrer la 8ème conférence de l’AFREA à l’évaluation des ODD. En choisissant la thématique de la présente édition de son journal trimestriel, IDEV s’inscrit parfaitement dans la même perspective.
De fait, on peut dire de la Communauté internationale qu’elle vient de s’engager dans l’ère de la généralisation à l’échelle mondiale de l’évaluation des Politiques Publiques dans un contexte rendu hautement favorable par un cadre logique commun à tous les acteurs déterminants. Il faut donc saisir cette opportunité.
L’immensité du chantier des ODD, son caractère continental et sa perspective temporelle (2030), mais aussi le fait qu’il exige une approche holistique du Développement nous conduisent à penser qu’il peut servir de laboratoire pour l’expérimentation de la vision que nous avons développée dans le présent article.
La formation duale au service de l’Évaluation des ODD
Il s’agit ici de résumer un des volets de la démarche expérimentale que nous prônons : celui de la formation duale en évaluation du développement. Sous peu, notre vision sera disponible dans son entièreté comprenant les plans d’études pour les MAED.
L’innovation, fondée sur une approche anticipatrice « d’encouragement à l’évaluation », consistera à proposer des offres spontanées d’évaluations partenariales à des responsables de programme/politiques dont l’évaluation est souhaitable dans la perspective des ODD.
Les structures de mise en œuvre de politiques de développement partenaires dans l’innovation chemineront ensemble avec les experts du programme lors des étapes de définition des projets d’évaluation et d’élaboration des référentiels d’évaluation. La relation sera conçue dans une logique « gagnant-gagnant » : les partenaires y trouveront l’occasion de passer à l’acte et d’introduire la pratique évaluative dans leur agenda tandis que cette collaboration servira de support au programme conçu dans l’esprit de la formation duale suisse. Les apprentis seront des étudiants en formation ou des « évaluateurs émergents » sélectionnés sur dossier.
Le programme sera chapoté par un consortium d’organes spécialisés en évaluation du développement qui travailleront de concert pour trouver les financements nécessaires, démarcher les structures qui accueillent les apprentis, élaborer les modules du volet théorique de la formation, superviser la pratique, évaluer les candidats, etc. Et c’est ici que l’on perçoit mieux le rôle prépondérant que les structures de l’État, les cabinets d’experts et les institutions de recherche et de formation pourront jouer.
Évaluer le développement c’est donc évaluer un phénomène complexe et multidimensionnel. Le faire en Afrique, c’est le faire avec une complexité accrue caractérisée par l’existence de multiples problématiques anthropologiques, sociologiques ainsi que celle de cadres normatifs d’évaluation des politiques publiques conçus hors contexte et pouvant être soumis à des impératifs politiques exogènes.
Dans un contexte international où l’évaluation est vivement recommandée par la Communauté Internationale qui lui a fourni un cadre logique consensuel à l’échelle planétaire, l’Afrique doit saisir l’opportunité pour fonder une école continentale d’Études du Développement et d’Analyse des Politiques Publiques dont les travaux scientifiques alimenteront des curricula adaptés pour une formation appropriée en matière d’évaluation du Développement.
Nous sommes intimement convaincus que cela passera par la densification du système d’acteurs, notamment par l’implication des milieux universitaires et l’engagement des organes étatiques.
L’approche innovatrice dont nous avons résumé un des aspects et que nous développerons ailleurs permettrait, nous semble-t-il, de relever ce formidable défi dans la perspective de l’agenda 2030 des ODD.
Références bibliographiques
Amin, S. (1997) « le Développement autonome dans les démocraties : une alternative pour l’Afrique et le Moyen Orient, in L’Avenir du Développement, L’Harmattan, Paris
Kane, C. H. (2011) L’aventure ambiguë, 10/18, Nouvelle éd., Paris
Laporte, C. (2014) L’évaluation, un objet politique : le cas d’étude de l’aide au développement, Thèse Science politique, Science po, Paris
Monnier, E. (1992) Evaluation de l’action des pouvoirs publics, 2nd éd. Economica, Paris
Muller, P. (1990 ) Les Politiques Publiques, 10 ème éd., Que sais.je, Puf, Paris
Rist, G. (1985) « La problématique interculturelle, fondements et perspectives, in L’Avenir du Développement, Colloque, IUED, Genève, pp. 91-98,
Rist, G. (2013) Le Développement. Histoire d’une croyance occidentale, 4ème éd. SciencesPo Les Presses, Paris
Rivero, O. (2003) Le mythe du Développement, Enjeux Planète, Tunis
[1] CAD : Comité d’Aide au Développement. OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques.
[2] On parle de logiques de compromis lorsque des peuples autochtones confrontés au Développement mettent en œuvre des stratégies de survie qui consistent en l’attribution d’anciennes significations à des éléments nouveaux permettant ainsi aux nouvelles valeurs de changer la signification culturelle des formes anciennes.
[3] L’étroitesse de cet article ne nous permettant pas de définir ces champs disciplinaires, nous conseillons les lecteurs intéressés de consulter les livres de Monnier E., Muller P. et Rist G. mentionnés dans les références bibliographiques.
[4] African Paliamentarians Network on Developement Evaluation (Réseau des parlementaires africains pour le développement de l’évaluation.