FATOU KINE «DEM NA»
Fat Kiné «Dém na»! Fat Kiné est morte. Oui elle est morte. Elle est partie à jamais! Et pourtant je me surprends à scruter le ciel, à défier le temps, mais surtout à refuser l’évidence. Mais de guerre lasse.
Fat Kiné «Dém na»! Fat Kiné est morte. Oui elle est morte. Elle est partie à jamais! Et pourtant je me surprends à scruter le ciel, à défier le temps, mais surtout à refuser l’évidence. Mais de guerre lasse. Résignée, affligée, la poitrine lourde, les semaines se déroulent, mais la réalité est là. Fat Kiné est morte. La sentence divine est passée par là. Maisje n’arrive toujours pas à me retenir ou à retenir mes larmes qui coulent depuis des jours sur mes joues et depuis l’annonce du décès de mon amie journaliste, Fatou Kiné Dème de la TFM. Décès survenu le 04 septembre dernier, jour du grand magal de Touba, suite à une longue maladie. Ce jour-là, mon téléphone a sonné, j’ai eu beaucoup d’appels manqués. La réaction d’une voisine m’a alerté, «Ohhhh! C’est une journaliste de la TFM. Ndeyssan», a-t-elle crié. D’abord, j’ai pensé à un accident sur la route de Touba avant de courir prendre mon téléphone qui affichait une liste rouge d’appels. Sur Facebook, ses photos défilaient. Mais j’ai pris la peine d’appeler sur son numéro avant de tomber sur sa soeur Sokhna Marième qui me confirma la nouvelle. C’était la triste réalité. Mon époux qui était sorti et qui a appris la nouvelle se hâta de rentrer car connaissant nos relations. Une fois dans les pièces, il comprit que j’étais au courant de la nouvelle. Tous les autres appels des camarades et autres collègues qui avaient remarqué cette complicité entre nous, c’est lui qui décrochait pour prendre leurs appels. Je ne pouvais plus faire sortir un seul mot. Ma langue complètement ... «coupée».
Les jours passent...
Elle a été inhumée le mardi 5 septembre au cimetière «Bakhiya» de Touba. Mais depuislors, la tristesse m’envahit encore et son image refuse de me quitter. Etant sous le choc, je peine encore à faire le deuil. Un deuil qui sera long et interminable, je le reconnais, et le vis! Pourtant, et pendant près d’une semaine, j’ai évité de regarder la Tfm (Télévision Futurs Médias) de peur de croiser son image, sa photo affichée sur l’écran. Mes enfants me disent : «maman, tata Fat Kiné ne doit pas mourir. On ne veut plus te voir dans cet état. Elle va revenir»! Ma réaction : des larmes encore! Sa disparition ne devait guère être une surprise pour moi. Seulement, j’ai toujours refusé d’y croire. Oui de croire et d’accepter surtout que ses jours sur terre étaient comptés comme elle le disait. Oui, elle me l’a dit. Dieu m’est témoin. Elle en rigolait, moi j’en pleurais. «Mounass, limay duund nii bonus là. Je sais que c’est très proche même. Le jour de mon décès, j’aimerais bien te voir en larmes et venir auprès de toi et te dire, yaa gnakk fayda. Diooy rek ngay def». Ainsi me taquinait-elle en rigolant. Moi qui, bouche bée, continuais à verser de chaudes larmes, elle me demandait de prendre un verre d’eau. Aujourd’hui, elle est partie. Je pleure, mais elle n’est pas là pour me consoler comme d’habitude.
C’est fini. Mes peines et difficultés, je vais devoir les surmonter seule…
Seule et sans Fat Kiné qui intervenait et me donnait tout le temps des conseils. De la même manière qu’elle prenait ma défense devant mon époux. Bouleversée et secouée, je suis triste et dévastée par son décès. Elle était une plus qu’amie, une grande sœur, conseillère et confidente. Cette belle âme qui fut un plus que tout pour moi est partie bien trop tôt. On ne partagera plus les délires, les fous rires, les échanges interminables, les souffrances internes comme externes, les inquiétudes de la vie, les joies, les peines, les projets... Surtout nos enfants, et particulièrement Cheikh Ahmed Tidiane Shérif! Beaucoup n’ont pas compris pourquoi je suis extrêmement touchée. Je le dis ici. Elle m’a presque tout dit et tout appris. Elle m’a surtout donné des idées et des conseils. Elle m’a rassuré et guidé. C’était une grande personnalité. Je ne regrette aucunement de l’avoir connu, d’être restée avec elle, et partagé beaucoup de chose avec elle. Surtout notre plat préféré, le «spaghetti». Oui on ne mangeait que du «spaghetti» surtout quand on faisait la formation au CESTI, école de journalisme, et même après son mariage. Le jour où elle a eu un début de fausse couche et hospitalisée, elle m’a appelé pour me demander d’aller acheter pour elle du spaghetti chez le maïga et l’apporter à l’hôpital de Ouakam. Je lui dis, «Kharal ma toggal la»( Attends que le prépare moi-même). Elle répond «non. Bou maïga laawakh. Té bouko def thi bol. Nako def thi papier journal. «.... ( Je veux du spaghetti préparé par le vendeur du coin et il ne faut pas le faire dans un bol mais du papier) Elle aimait, mais elle en rigolait aussi. «Mounasssi par hasard nos camarades nous trouvaient en train de manger ce plat-là.... On ne mange pas sain hein. Regardes-moi les mouches là. Héy maïga, toi aussi, nettoie là un peu», disait-elle au vendeur qui acquiesçait sans broncher. Un ordre qu’elle n’osait pas donner quand on venait sans rond. Oui, il y a des jours où on venait prendre à manger et payer après avoir perçu quelque chose à sa rédaction ou à la mienne. Nos deux noms figuraient chaque mois dans le cahier du maïga. Histoire de vous raconter un peu ces moments passés ensembles. Moments de délires certes, imposés par nos situations. Ce, jusqu’au jour où la Tfm l’a recrutée à la rédaction centrale après son passage comme stagiaire envoyée par le CESTI dans le cadre de notre formation. J’ai fait le mien à l’APS (Agence de presse sénégalaise). Je me souviens encore de ce jour, ses larmes surtout. Adama Sow a beaucoup facilité son intégration dans ce groupe GFM. Elle devait, je pense, commencer un lundi ou jeudi. J’ai oublié. En tout cas, le lendemain de son recrutement, elle est venue tôt toquer à ma porte (c’était un samedi). Elle voulait que je l’accompagne à Castor (marché samedi) pour un peu changer nos garde-robes avec des jupes et hauts. Pour dire combien elle était humble.
La professionnelle aguerrie
Ce qui m’a surtout marqué chez elle, c’est l’amour qu’elle portait à sa mère. «Mounass ma maman, elle est ma force, et elle me manque énormément», me disait Cheikh Ahmed Tidiane Shérif également. C’est son unique fils. A coté de cet amour, il y a aussi la passion du métier… Elle a su montrer son talent et sa passion, surtout son professionnalisme avec la présentation, mais aussi dans les émissions et rubrique Santé. Femme de terrain, elle aimait surtout les sujets «intemporels». Ses deux premiers sujets de reportage (raréfaction du poisson et les artisans de Soumbédioune), on a travaillé ensemble là-dessus. La rigueur, l’implication, l’abnégation, l’engagement, voilà Fat Kiné. Elle était tout simplement exceptionnelle. Au point d’être pris en audience par Youssou Ndour. «Mounass, je te fais un envoi ma faye nar bi khoromam. Youssou Ndour m’a pris en audience aujourd’hui. Il m’a filé quelques billets Euro. Mounass c’est la première fois ma guiss ay euros ou dollars. En tout cas, ce n’était pas des francs Cfa». Et pour cette affaire d’audience avec Youssou Ndour, j’ai entendu Bouba Ndour l’aborder dans son témoignage rendu à Fat Kiné.
Les blessures de la vie
Cette dame généreuse qui vient de nous quitter, on habitait ensemble à la Médina et elle fréquentait notre domicile à la rue 45 angle 28. Nous n’avons pas grandi ensemble. C’est le métier de journaliste qui a croisé nos chemins. En effet, entre Tambacounda et Sébikhotane, c’est tout un trajet, des routes, des pistes, de la poussière, de la chaleur... Pourtant nos chemins se sont croisé je ne sais plus encore par quel miracle. En tout cas, on s’est croisé, on s’est aimé et on a partagé beaucoup de choses. Oui beaucoup de choses, d’abord en tant que deux... soeurs mais surtout en tant que camarades et collègues journaliste. On s’est connu et on s’est aimé malgré notre différence d’âge et ethnique. Elle est née en 1975, moi en 1983. Elle est halpoular, je suis sérère. Le cousinage à plaisanterie a surtout raffermi notre relation. On vivait zen, sans stress malgré nos difficultés. Oui, on a souffert. Le jour de la remise de diplôme, elle m’appelle tôt pour me demander de récupérer pour elle car ayant un empêchement. Elle ne pouvait pas se présenter devant ses camarades dans une telle situation que moi seule connaissait. Tout comme le jour où elle m’a réveillé à 3 heures du matin pour me dire qu’elle va prendre un taxi et venir chez moi parce qu’elle ne voulait pas que sa maman sache qu’elle vivait dans une certaine situation. Je me réserve le droit de ne pas entrer dans les détails. Djiby Sadio, un camarade et collègue journaliste qui a fait son stage à la RFM sait aussi, et Dieu nous est témoin. Le divorce, l’opération chirurgicale, le fait de ne plus avoir d’enfant qui faisait qu’elle refusait de s’engager dans une nouvelle aventure. Ça aussi, c’est la vie de Fat Kiné, c’est notre vie. Mais silence surs ces épisodes... Son parcours sur terre est si court, mais elle m’a marqué dans sa vie. On s’est connu en 2008 alors qu’elle était journaliste présentatrice à la Rdv à Dakar après des années passées comme correspondante à Tambacounda. Depuis lors, je l’adore parce que je la connais personnellement. Plus chanceuse que tous ces gens qui ne la voyait à travers le petit écran et qui rêvaient de la côtoyer. Très correcte, joviale, affable, mais très comique aussi, sa modestie légendaire et son langage poli ont fait de la fille de feu Elhadj Touba Dème qui fut représentant du Khalif général des mourides à Tambacounda une grande personnalité. Même ceux qui ne la regardaient qu’à travers le petit écran appréciaient son professionnalisme, son style et surtout son humilité. Ils ont bien remarqué son professionnalisme fait de tenue et retenue. Elle était très joviale, toujours le sourire aux lèvres, bosseuse et respectueuse, humble et professionnelle. On aimait l’écouter et la suivre. «Grande soeur, présentation journal en Wolof, ya meunn». «Elle: Petite soeur, buma diay waay, pas de fleurs. Moi: Tu me connais grande soeur, je ne te jette jamais des fleurs. Tu te souviens. Ton premier reportage on l’a suivi ensemble au Cesti à 19 h 30. Après, en rentrant à la maison, tu me demandais si tu l’avais réussi. Je te disais que ce n’était qu’une confirmation. La diction, le ton, le style, la justesse des mots, en plus tu es très professionnelle et très posée». Malgré ses appréciations, elle voulait avoir des critiques. Elle signait Fatou Kiné Dème Niaba avant d’enlever le Niaba après des remarques à la rédaction disant que ce n’était pas professionnel. Quelques années après elle revient pour me dire que «Mounass, Oui, ce n’est pas professionnel. Oui. Le divorce est là hein».
Une vie d’athlète
De nature très taquine, elle était humble et sincère, et surtout prête à se mettre à genou lorsqu’elle avait offensé quelqu’un. Un jour, elle est venue me remettre un joli tissu croyant que j’étais fâchée contre elle. Entre grande soeur et petite soeur, rien de plus normal. Mais c’est juste pour parler de la dimension de la femme partie à jamais laissant derrière elle une famille dévastée, des collègues attristés, des amis abattus... Une grande perte pour le monde de la presse et du sport. Fatou était également une grande athlète. Elle a été plusieurs fois vice-championne du Sénégal. Le premier jour où je suis allée chez elle, elle m’a montré ses trophées tous agencés dans l’angle d’une armoire. «Mounass, tous ces trophées sont à moi. C’est une collection ? J’étais athlète», a-telle dit avant de me tendre la couverture d’un mensuel avec sa photo en pleine action... Que son âme repose en paix. Grande sœur, tu me manques déjà, et tu vas continuer à me manquer.
Maïmouna FAYE FALL