LE CONCLAVE DE SAVANA
Le conclave de Savana : une brève histoire du parti socialiste (L’Harmattan-Sénégal, 2024) offre une vue panoramique sur plus de cinquante ans d’un courant qui a façonné l’histoire politique du Sénégal
Philosophe, romancier, essayiste, Abdoulaye Elimane Kane vient de publier un ouvrage remarquable sur la vie du parti socialiste sénégalais. Le hasard du destin, malicieux comme toujours, fait que ce livre est sorti à quelques encablures d’un scrutin présidentiel qui efface le camp socialiste de la carte électorale du Sénégal. Le conclave de Savana : une brève histoire du parti socialiste (L’Harmattan-Sénégal, 2024) offre une vue panoramique sur plus de cinquante ans d’un courant qui a façonné l’histoire politique du Sénégal. De la scission issue de la Sfio jusqu’au Ps, en passant par le Bds, le Bps et l’Ups, que de chemin parcouru par ce désormais «grand cadavre à la renverse» ! Le Ps a conduit notre pays à l’indépendance sous la houlette d’un leader charismatique. Il a bâti une Nation, un Etat et conçu la République comme synthèse de diverses aspirations et influences avant de passer dans l’opposition le 19 mars 2000 après 40 ans de règne sans partage.
Le livre de Abdoulaye Elimane Kane est essentiel dans ce contexte de confusions et de brouillage des lignes et des pistes idéologiques, et dans un moment de ferveur électorale à la suite du scrutin du 24 mars dernier. Il nous permet de prendre du champ, d’investir encore notre histoire politique dans le long terme et dans une temporalité plus large et plus complexe.
On parle d’alternance concernant ce qui se passe en ce moment. Justement, l’auteur déconstruit le mythe de l’alternance de 2000 et montre avec des références et des exemples précis qu’il y a déjà eu des alternances avant l’arrivée de Wade au pouvoir. Il cite entre autres la fin de l’hégémonie de la Sfio au profit du Bds en 1951 et le changement de cap de 1981 avec l’avènement de Diouf à la faveur de l’article 35 de la Constitution.
Ministre dans le dernier gouvernement de Abdou Diouf, Abdoulaye Elimane Kane revient sur cette période et surtout sur les jours d’après, quand le Ps, vaincu et groggy, devait panser ses plaies dans la douleur des lendemains de défaite. Il évoque avec pudeur et distance le phénomène de la transhumance, les querelles internes, les règlements de comptes et surtout la désignation de Ousmane Tanor Dieng comme responsable de la débâcle. Cette période tendue donne son nom au livre, car le conclave de Savana fut le premier acte d’une réconciliation (de façade ?) pour sauver les meubles dans une formation défaite et obligée de se remettre sur pied et en marche.
Tout en reconnaissant les limites de l’action et la responsabilité de l’ancien Premier secrétaire du PS, le professeur Kane consacre de longues et belles pages à la notion d’opposition républicaine comme choix du Ps en 2000, qui mêlait exigence sur les principes et responsabilité dans la démarche.
Ce choix rétrospectivement est à saluer au regard de la tournure des événements plus de deux décennies plus tard. Le Ps est resté, malgré douze années difficiles en dehors du pouvoir, un parti de gouvernement, même face aux méthodes scabreuses du Pds au pouvoir et aux injonctions de jeunes cadres et militants radicaux.
Acteur au cœur de la vie du parti socialiste qu’il a rejoint en 1990, Abdoulaye Elimane Kane y a assumé plusieurs responsabilités : coordonnateur du Groupe d’études et de réflexion, membre du Bureau politique, secrétaire national, porte-parole, etc. C’est donc de l’intérieur, sans jamais verser dans le déballage ni dans le règlement de comptes, qu’il nous parle de l’histoire de cette formation politique pendant et après l’exercice du pouvoir.
Ce livre arrive à son heure, quand toute la gauche est subitement propulsée dans l’opposition. Il permet d’expliquer certaines difficultés face auxquelles elle a eu à faire front commun entre 2000 et 2024, dans des unités d’actions comme le Front Siggil Senegaal ou ensuite le Benno bokk yaakaar. Ces divergences, qui demeurent tenaces, malgré l’arrivée au pouvoir de libéraux, au sein de la gauche historique - des socialistes aux communistes- est expliquée par l’auteur avec une grande finesse dans l’analyse. Il offre ainsi des clés pour agir collectivement et recoudre les liens afin d’affronter les défis complexes et majeurs à venir au regard de la nouvelle configuration du champ politique.
Le professeur Kane nous dit qu’un autre conclave est possible. Le basculement actuel rend ce propos davantage pertinent et même urgent. Cet ouvrage offre déjà une réflexion sur la table de ceux pensent se relever, penser et agir sur la suite.
Le socialisme démocratique offre une intuition et un cadre pour penser les retrouvailles de l’ensemble de la famille progressiste.
Abdoulaye Elimane Kane enfin consacre de sublimes pages à la mystique qui nécessairement fait penser à Jean Jaurès et aux théoriciens du socialisme. Il fait un emprunt à la mystique socialiste pour panser le Ps et au-delà toute la gauche à l’instar du kintsugi, cet art japonais de la réparation qu’il cite à de nombreuses reprises.
Abdoulaye Elimane Kane dédie cet essai majeur à feu Aboubacry Kane et aux Sages du Ps qui ont agi pour apaiser les cœurs et les esprits dans une période difficile. Il s’agit d’une dédicace qui m’a personnellement touché pour des raisons que l’auteur, s’il venait à me lire, saura décrypter car de génération en génération, nous avons tous bu à la même source du maayo éternel.