LE SENEGAL A LA CROISEE DES CRISES
Le Sénégal est au confluent de diverses crises sur toile de fond d’une crise politique interne telle que le pays n’en a jamais connue par le passé.
Le Sénégal est au confluent de diverses crises sur toile de fond d’une crise politique interne telle que le pays n’en a jamais connue par le passé. Ces crises sont géopolitique, sociale, économique et financière car consécutives au conflit entre la Russie et l’Ukraine, à l’inflation européenne et aux tendances centrifuges de pays manifestant une volonté de s’extraire d’un ordre mondial dominé par les USA et l’Europe principalement.
Cette bataille pour un ordre nouveau pousse les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), avec à leur tête la Russie, à vouloir prendre durablement pied en Afrique via l’aide militaire aux pays attaqués par le terrorisme que la France, partenaire traditionnel, n’a pu éradiquer.
Le coup d’Etat survenu au Niger, aire d’influence aux allures de chasse gardée de la France, a été perçu par celle-ci comme portant atteinte à ses intérêts. La CEDEAO, soutenue par la France, a pris position pour l’envoi d’une force militaire destinée à la restauration de l’ordre constitutionnel.
Il est utile de rappeler que l’idée de la création de la CEDEAO est née d’une initiative des présidents de l’époque du Nigéria, Yakubu Gowon, et du Togo Gnassingbé Eyadéma (Ironie de l’histoire, des militaires !), qui proposent dès 1972 la création d’une zone d’intégration économique régionale.
En effet, le traité de Lagos conclu en 1975 et considéré comme l’acte de naissance de la CEDEAO cantonnait l’organisation à un rôle purement économique, l’objectif étant de promouvoir la coopération économique entre les Etats membres.
Dans l’actuelle crise du Niger, des pays frontaliers se sont rangés du côté du nouveau régime arguant qu’une attaque contre Niamey pourrait provoquer un effet domino à la libyenne. Ces pays, c’est le Mali, le Burkina Faso, l’Algérie et la Guinée qui, elle, n’est pas frontalière).
La Russie et les USA, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, ont indiqué leur préférence pour une solution diplomatique.
En réaction, la jeunesse africaine, qui dans sa grande majorité soutient les militaires putschistes, opère une dichotomie entre les pays favorables à l’option militaire, en particulier le Sénégal et la Côte d’Ivoire (qui seraient inféodés à la France), les pays ayant décidé de rompre avec le néo colonialisme, dont le Niger, le Mali, le Burkina Faso (présentés comme porteurs d’espoirs d’une rupture avec le néo-colonialisme), et les autres pays opposés à l’intervention militaire.
Il est évident que l’analyse est un peu sommaire si l’on se reporte aux discours des nouveaux dirigeants nigériens sur les raisons d’ordre sécuritaire du coup d’Etat qui diffèrent de la rhétorique des dirigeants du Burkina et du Mali remettant nettement en question les rapports de type néo-colonial avec la France.
C’est dire qu’en dernière instance, c’est la jeunesse africaine qui imprime l’orientation souverainiste des régimes issus de coups de force, faute d’espérer des changements de la part de régimes civils s’éternisant anormalement au pouvoir grâce à des tripatouillages des textes fondamentaux savoureusement appelés « coups d’Etats constitutionnels ».
La France a raté le tournant du co-développement avec ses anciennes colonies !
La France politique ou « Françafrique » n’est plus en odeur de sainteté auprès de la jeunesse africaine. Pis, elle est de plus en plus décriée par les citoyens français eux-mêmes. Ce qui est appelé « sentiment anti-français » est impropre à caractériser le phénomène. Cette appellation serait davantage un raccourci utilisé pour éluder les vraies raisons d’une remise en question d’une relation vieille de plusieurs siècles, dont le moment du bilan d’étape est arrivé.
En réalité, la France a raté le tournant du co-développement avec ses anciennes colonies.
L’intégration dans une même zone monétaire ne s’est pas traduite par une délocalisation industrielle qu’elle a préféré effectuer dans les pays asiatiques considérés comme plus compétitifs particulièrement en termes de taux de change monétaires et de coûts salariaux entre autres.
Les dirigeants occidentaux s’en sont tenus aux théories du commerce international de Ricardo, Samuelson Hecksher et Ohlin prescrivant à nos pays une spécialisation économique sectorielle là où la dotation en facteurs de production était la plus favorable par rapport à la concurrence.
Dans les faits, cela a conduit vendre sans transformation industrielle les ressources naturelles brutes du continent et à laisser la valeur ajoutée se fabriquer ailleurs.
En soustrayant la politique de développement en vigueur jusqu’au milieu des années 80 du pilotage du ministère de la Coopération pour en déléguer la responsabilité aux multinationales et aux institutions financières internationales, l’Etat français a cessé de s’intéresser au développement économique de l’Afrique francophone.
L’intégration économique de la France à l’Europe a accentué la rupture d’avec des pays africains en proie à des déficits budgétaires chroniques, orientés vers la Banque Mondiale et le FMI pour équilibrer les trésoreries quitte à sacrifier des secteurs jugés improductifs comme l’éducation et la santé.
L’irruption du terrorisme consécutif au désastre libyen est venue parachever la destruction de ce qui restait de la relation. Il est d’ailleurs symptomatique que les pays qui restent toujours fidèles à la relation soient ceux qui n’ont pas ou peu été exposés au « djihadisme », comme le Sénégal et, dans une moindre mesure, la Côte d’Ivoire mais aussi le Bénin et le Togo.
Pour poursuivre la relation avec ses anciennes colonies, la France gagnerait à proposer d’autres types de partenariats favorisant le développement industriel compétitif, le transfert de technologies, la formation du capital humain, la lutte sécuritaire entre autres.
C’est dans ce contexte international et sous-régional chargé d’incertitudes que s’installe la crise politique au Sénégal. Nul besoin d’en développer tous les aspects. Seuls deux faits majeurs en constituent les lignes de force. Il s’agit de la non candidature du président Macky Sall pour un nouveau mandat et l’incarcération d’Ousmane Sonko suivie de la dissolution de son parti le PASTEF.
Ousmane SONKO a entamé une grève de la faim et d’autres militants de son parti emprisonnés l’accompagnent dans cette forme de lutte. Des informations contradictoires sur son état actuel de santé sont distillées dans la presse et les réseaux sociaux. Une fatale détérioration n’étant pas exclue dans ce type d’épreuve, l’alerte sonnée par les « droits de l’hommistes » doit être prise au sérieux.
Le régime actuel aurait tout à perdre en laissant Sonko poursuivre cette forme de lutte assimilable à un bras de fer au goût de roulette russe pour une victoire finale personnelle contre la force d’Etat.
Pour qui concerne les élections de février 2024, les choses semblent relever du domaine de l’aléatoire. Le président Macky Sall étant détenteur d’une carte blanche pour choisir le meilleur profil devant défendre les couleurs de la majorité présidentielle, le « Habemus candidatus » tarde à retentir.
Il s’en suit dans son camp des déclarations ça et là, plus velléitaires qu’assumées, démontrant l’impréparation de la succession.
Quel que soit le profil proposé, le candidat de Benno Bokk Yaakaar aura des difficultés à se couler dans l’habit de postulant à la magistrature suprême. Il n’aura pas l’avantage qu’a eu le Président actuel de parcourir le Sénégal pour se faire connaître, et peut-être même aura perdu les élections législatives dans son fief. Le Président Sall, non candidat, sera certainement obligé de battre campagne pour son profit.
De surcroît, même non candidat, Ousmane Sonko aura de l’influence sur ces consultations électorales difficilement mesurable pour l’instant.
Un remake du bras de fer Margaret Thatcher/Bobby Sands
Il est clair que Sonko est déjà entré dans l’histoire comme l’opposant le plus radical que le Sénégal a jamais connu. Ses militants le parent d’une infaillibilité dans sa vision et ses jugements, d’un courage hors normes, d’une intégrité morale absolue, et d’une endurance sans égale. De plus, il passe pour détenir LA solution pour défaire le « système » actuel au profit de la jeunesse.
Le duel actuel Macky Sall/Sonko en grève de la faim depuis 15 jours rappelle curieusement celui entre la dame de fer Margaret Thatcher contre Bobby Sands dans les années 80.
Thatcher a occupé le poste de Premier ministre du Royaume-Uni pendant trois mandats entre 1979 et 1990, soient 11 ans de crises économique, politique, sociale et culturelle qu’a traversées le Royaume-Uni. Les réformes impopulaires qu’elle a appliquées sans transiger et les guerres avec l’IRA mais aussi avec l’Argentine, lui avaient valu le surnom de « Dame de fer ». Son célèbre bras de fer mortel avec Bobby Sands avait fini de mettre en relief cette intransigeance
Bobby Sands, militant républicain et membre de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA), emprisonné pour sa participation à des activités qualifiées de « terroristes » en faveur de l’indépendance de l’Irlande du Nord, avait entamé une grève de la faim pour protester contre le statut de « prisonnier criminel » qui lui était attribué et exigeait d’être reconnu, avec ses partisans, comme prisonnier politique.
Face au refus de Margaret Thatcher, les grévistes de la faim ont été confrontés à de graves problèmes de santé et plusieurs d’entre eux sont morts en raison de complications sanitaires.
Malgré les efforts diplomatiques pour résoudre la situation, Bobby Sands est décédé le 5 mai 1981 après 66 jours de grève de la faim. Sa mort, suivie de celle d’une dizaine de ses compagnons fût perçue à travers le monde comme un symbole d’inhumanité de la part de Mme Thatcher.
« M. Sands était un criminel condamné. Il a fait le choix de s’ôter la vie. C’est un choix que l’organisation à laquelle il appartenait n’a pas laissé à beaucoup de ses victimes », affirmera Margaret THATCHER en guise d’épitaphe (source : Les Echos du 09 avril 2013).
Gageons que le surnom de « Dame de fer » est davantage resté collé à Mme Thatcher du fait de son intransigeance l’ayant conduite à « laisser mourir en prison après 66 jours de grève de la faim Bobby Sands qui venait d’être élu député à la Chambre des Communes du Royaume Uni ».
Concernant SONKO, nous avons une crainte. C’est le penchant secret de Sonko à mettre au défi l’autre en combat singulier n’excluant pas d’aller plus loin dans la détermination au péril de sa propre vie et non de celle des autres, et de le vaincre par la domination de sa propre peur. Les péripéties des diverses arrestations de Sonko ont montré qu’il avait la capacité de dominer sa peur devant une menace subite d’atteinte à son intégrité physique. Lorsque les policiers de la BOP explosaient la vitre de sa voiture dans le tunnel de Soumbédioune, aucune réaction faciale n’avait été notée sur lui, pas même un battement de cils. Comment combattre un tel individu par la menace sans envisager l’extrême ? Quel est le prix que l’on est prêt à payer pour cela ? Nous terminerons par ce que l’on a fait dire dans la presse au général Moussa Fall : « Selon le chef de la gendarmerie sénégalaise, l’offre traditionnelle de sécurité des forces de défense se trouve compromise avec des populations plus exigeantes vis-à-vis de leurs dirigeants. Les demandes de sécurité des populations imposent désormais un changement des paradigmes » aurait expliqué le Haut commandant de la gendarmerie nationale. Il est malheureusement le fondement des conflits auxquels les gendarmeries et forces de sécurité à statut militaire sont appelées à apporter des réponses justes, légales mais surtout proportionnées » (Pressafrik)
Pour finir, en notre qualité de citoyen libre de ses opinions, nous pensons qu’il faut en revenir au calme qui passe par l’élargissement de Sonko et sa participation à la prochaine élection présidentielle comme tous les autres candidats potentiels ou déclarés et notamment ceux d’entre eux qui viennent d’être réhabilités c’est-à-dire Karim Wade et Khalifa Sall.