LE SUPPLICE DE LA FEMME SÉNÉGALAISE
Songué Diouf a commis un dérapage inacceptable, qui appelle des excuses de sa part et son retrait du débat public - Nous avons construit une société où être femme est un supplice, et nous devons tous en avoir honte
Au Sénégal, Songué Diouf, professeur de philosophie et chroniqueur dans un talk-show bien suivi sur une chaîne de télévision privée, a affirmé à l’antenne le 9 mars, au lendemain de la journée internationale des femmes : « Pour les viols, je coupe la poire en deux. Vous faites tout pour que nous vous violions. Et quand nous vous violons, nous allons en prison. Et vous qui avez tout fait pour que nous vous violions, vous restez libres. » Sur le plateau, comme seule réaction, des ricanements…
De tels propos sont graves et ne devraient jamais être tenus, a fortiori à la télévision. Ils m’ont surpris, car je connais l’homme depuis mes années au lycée, où il était un brillant esprit qui séduisait ses jeunes interlocuteurs. Depuis, j’ai gardé pour lui de l’amitié et de l’affection. Mais Songué Diouf a commis un dérapage inacceptable, qui appelle des excuses de sa part et son retrait du débat public par respect pour celles et ceux qu’il a heurtés, surtout les femmes qui ont subi l’horreur du viol.
Plus généralement, dans cette polémique, se font face deux groupes. Il y a ceux, choqués par ces déclarations, qui demandent des excuses, l’éviction du chroniqueur de la télévision, une action en justice pour apologie du viol. Ils sont dans leur droit et méritent un soutien sérieux. L’affaire est grave. A ce titre, elle doit faire l’objet d’une prise en charge qui dépasse le seul cadre des réseaux sociaux, voire des médias.
Quant à ceux qui défendent les propos de Songué Diouf, on trouve parmi eux toute une kyrielle de gens. Des idiots comme on en croise au quotidien sur Internet, qui ne méritent pas qu’on s’attarde sur eux. Mais aussi des individus censés réfléchir et avoir un minimum de bon sens. Et ce sont ceux-là qui font peur, en vérité. Ils se fendent de tribunes et de prises de parole dans nos rues, nos maisons, nos lieux de travail, pour soutenir l’apologie du viol. Ils trouvent un écho dans certains médias irresponsables qui hébergent leurs saillies misogynes.
C’est dans leurs rangs qu’il faut ranger le journaliste animateur du talk-show incriminé, qui soutient le professeur Diouf et le dépeint même sous les traits de la victime. Le renversement est grossier et sonne comme une nouvelle atteinte à la dignité des personnes qui ont été violées. Celles-ci sont assimilées à des bourreaux pour s’être habillées de façon « provocatrice ». Elles passent du statut de victimes à celui de vulgaires aguicheuses.
« Je ne me tairai pas »
Ceci rappelle les réactions déclenchées dans le pays en 2012 par la condamnation du journaliste mondain Cheikh Yérim Seck pour avoir violé une jeune fille dans une auberge. Beaucoup blâmaient la victime en demandant : « Que faisait-elle dans une auberge seule avec un homme jusqu’à être violée ? » Comme si le consentement féminin ne signifiait rien. Comme si le musellement des femmes ne devait jamais cesser.
Les propos de Songué Diouf sont terribles pour quiconque pense que nous pouvons construire une société différente qui respecte la simple dignité des femmes. Mais ils peuvent constituer un tournant majeur dans un contexte mondial de libération de la parole des victimes de viol, de harcèlement et d’agression sexuelle. En écho à #meetoo et #balancetonporc, des Sénégalaises ont lancé #nopiwuma (« je ne me tairai pas »). Intellectuels, hommes politiques – dont l’absence de réaction dans cette affaire est symptomatique du niveau du débat public sénégalais –, religieux progressistes ont une fenêtre de tir pour qu’enfin une révolution s’opère dans notre pays sur la question des droits des femmes.
Les voix de ces dernières ne doivent plus cesser de tonner à nos oreilles de mâles égoïstes. Leurs cris de révolte doivent irriguer l’espace public et faire vivre le débat dans notre pays, où l’interprétation de la religion et les rapports sociaux ont instauré le sexisme et la misogynie. Combien de femmes, de petites filles sont violées et réduites au silence dans nos maisons, souvent avec la complicité des familles ?
Pis, on vient de leur dire que c’est de leur faute, car elles sont habillées de façon sexy ou ont des formes généreuses, qu’elles l’ont cherché, que c’est bien fait pour elles. Nous avons construit une société où être femme est un supplice, et nous devons tous en avoir honte.
Hamidou Anne est un consultant en communication institutionnelle