LES PERTES POST-RECOLTES, FREIN AU DEVELOPPEMENT
Tout le monde reconnaît que si les pertes post-récoltes n’étaient pas si importantes, c’est un marché important qui pourrait s’ouvrir pour la transformation locale.
Depuis des années, les différents gouvernements qui se succèdent au Sénégal font de la sécurité alimentaire, ou même de l’autosuffisance alimentaire, l’un des piliers de leurs politiques. En 2007, après la crise alimentaire qui avait frappé le monde, provoquant des émeutes de la faim dans certains pays, le gouvernement du Président Abdoulaye Wade avait lancé sa fameuse Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), qui avait pour objectif assumé de doubler, voire de décupler les taux de production de certaines spéculations dont le riz, l’arachide et certaines céréales. Beaucoup d’argent a été mis dans ce projet, et plusieurs hectares de terres octroyés à des «entrepreneurs» qui, sautant sur l’occasion, se sont découvert une âme de paysan.
Au moment où le Président Wade quittait le pouvoir, les objectifs de la Goana n’étaient pas atteints. Ce qui a fait que dès son arrivée en 2012, le Président Macky Sall a enjoint à ses services de l’Agriculture, de dresser un programme pour réaliser l’autosuffisance en riz dans un délai de 3 ans au maximum. Il a ainsi été lancé le Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar). Ce dernier a entamé un processus visant à acquérir des semences certifiées, à augmenter les surfaces cultivables, la modernisation des méthodes de culture et la transformation à terme de la production.
Bien que les différents ministres de l’Agriculture qui se succèdent à la tête de ce département assurent toujours que le pays a atteint l’autosuffisance dans la production de riz, c’est le riz importé qui est principalement consommé au Sénégal. D’ailleurs, on peut dire que d’une certaine manière, le riz local est un produit de niche, et les urbains qui en consomment passent pour des snobs prétentieux, tellement le produit n’est pas facile à trouver quand on n’habite pas près de la vallée du fleuve Sénégal.
Le même problème se pose avec la principale spéculation commerciale : l’arachide. Les chiffres officiels semblent toujours en déphasage avec les réalités perçues sur le terrain. Pourtant, personne ne conteste que, dans le domaine de nos productions agricoles, le Sénégal ait les moyens de réaliser l’autosuffisance dans tous les domaines. Et les producteurs font la plupart du temps, leur part de travail. C’est en aval que se pose le problème
Les pertes post-récoltes sont l’un des plus gros freins à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire au Sénégal. Elles bloquent aussi les tentatives de transformation industrielle de la plupart des spéculations, car les industriels ne sont pas assurés de pouvoir disposer chaque année, de la quantité de produits dont ils ont besoin. L’ennui est que les pouvoirs publics abordent rarement la question, sauf s’il s’agit d’encenser un projet dans ce domaine. Pourtant, les chiffres officiels disent que la part de la population qui vit de l’agriculture au Sénégal est de 22%. L’agriculture en elle-même représente, bon an mal an, 15% du Produit intérieur brut (Pib). Le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (Cgiar en anglais) chiffre à plus de 100 milliards le coût annuel des pertes post-récoltes au Sénégal, soit entre 12 et 40% selon les produits.
On voit les dégâts de ces pertes en ce qui concerne plusieurs spéculations. L’une des plus symboliques est l’oignon. En 2022, les chiffres faisaient état de plus de 400 mille tonnes produites, pour un niveau de consommation ne dépassant pas 300 mille tonnes. Or, le pays a dû, cette année-là, importer près de 150 mille tonnes pour couvrir les besoins de la population. Une bonne partie de la production avait été perdue, faute de moyens de stockage. Une autre partie avait dû être bradée à vil prix, parce que les paysans ne voulaient pas voir leurs produits leur pourrir entre les mains. Les mêmes causes produisent les mêmes effets en ce qui concerne la mangue par exemple
Les récoltes peuvent atteindre 130 ou 150 mille tonnes. S’il n’y avait les pertes post-récoltes, dues à un déficit de lieux de stockage, les chiffres pourraient presque doubler, assurent les experts. Une manière de dire que si la mangue constitue 63% des produits horticoles exportés, son potentiel de production n’est pas atteint. Et tout le monde reconnaît que si les pertes post-récoltes n’étaient pas si importantes, c’est un marché important qui pourrait s’ouvrir pour la transformation locale.
Car le seul moyen d’espérer développer l’autosuffisance est de commencer à développer localement les productions agricoles, afin de booster l’emploi et rémunérer de manière convenable les paysans. Le dire de cette manière, ce n’est pas inventer le fil à couper le beurre. Cette évidence a été plusieurs fois déclamée au cours de séminaires et autres ateliers dans les hôtels de Dakar et de Saly Portudal, ou même ailleurs sur la Petite Côte. Des plans ont été élaborés pour la mise en œuvre des stratégies. Mais si rien n’est fait concrètement, le Sénégal sera toujours à la merci des producteurs étrangers, sur lesquels reposera l’essentiel de son alimentation. Et l’essentiel de l’argent que nous produisons dans ce pays, continuera à servir les programmes économiques des pays qui nous fournissent à manger