LES RISQUES ECONOMIQUES DE LA TENSION
Depuis samedi 3 février, plus personne ne travaille au Sénégal, ou à tout le moins, à Dakar. Certaines boutiques n’ont pas remonté les rideaux qui ont été baissés le week-end dernier.
La décision du président de la République et de ses députés de reporter l’élection présidentielle, et donc de prolonger son mandat, n’a pas fini de faire des remous. Si les institutions internationales et les partenaires étrangers sont, dans leur grande majorité, plus ou moins complaisants et compréhensifs quant à cette évolution du pouvoir au Sénégal, les acteurs politiques sénégalais et les membres de la Société civile ne cachent pas leur opposition et leur volonté d’empêcher le chef de l’Etat d’exercer paisiblement la tranche de temps supplémentaire qu’il veut s’octroyer.
La majorité des partis de l’opposition, à l’exception du Parti démocratique sénégalais (Pds) qui soutient la candidature de Karim Wade, sont vent debout pour tenter de contraindre le Président à revenir sur les décisions qu’il a prises depuis le samedi 3 février dernier. Ils ont pu enrôler des syndicats des travailleurs dans leur combat. Sous le couvert de défense des droits des travailleurs, des confédérations ont appelé à des mouvements de grève, en demandant pour certains, que le pouvoir en place revienne sur ses décisions.
Le pouvoir en place de son côté ne manque pas d’alliés et de soutiens, aussi bien dans l’arène politique qu’auprès de l’opinion. Cela a fait que, malgré un sentiment rampant d’inquiétude concernant l’avenir, le pays semble suspendu dans l’attente de voir dans quel sens les choses vont évoluer. Et personne ne travaille plus. Pourtant, nous sommes dans un pays où tout est urgence.
Depuis samedi 3 février, plus personne ne travaille au Sénégal, ou à tout le moins, à Dakar. Certaines boutiques n’ont pas remonté les rideaux qui ont été baissés le week-end dernier. Si les voyagistes n’ont pas encore enregistré d’annulation de réservations en ce moment, ils sont néanmoins très attentifs à l’évolution des choses, conscients qu’ils sont de la volatilité de leur secteur, qui dépend plus de l’impression et des sentiments des gens. Les mêmes impressions suspendent la volonté de poursuivre des investissements dans d’autres domaines.
Les plus visibles sont dans le domaine des transports en commun. Après la sortie du chef de l’Etat, la société de transports publics Dakar dem dikk a pris la décision de suspendre certains itinéraires, le Brt a une fois de plus été saccagé à certaines de ses stations. Bien de petites entreprises privées, installées sur la Vdn, n’ont pas pu travailler convenablement, du fait des manifestations qui chauffaient sur cette grande artère de la ville. Tout cela se déroule sur fond de report sur report du début de l’exploitation de certains sites des hydrocarbures du Sénégal, comme le gaz de Grand Tortue Ahmeyin (Gta) ou du pétrole offshore de Sangomar. Prévues au départ pour le début du mois de janvier, les entrées en vigueur de ces projets ont toutes été repoussées vers la fin de l’année, pour multiples raisons politiques et/ou techniques. Il est à parier qu’un sentiment d’instabilité politique du pays ne va pas pousser à accélérer les choses, tout au contraire. Or, un autre retard dans l’exploitation de notre pétrole et de notre gaz ne va pas améliorer les conditions sociales et économiques dans le pays. De plus en plus, l’économie sénégalaise est en train de sortir de l’agriculture et du secteur industriel, pour s’appuyer sur les matières extractives. L’or est déjà la première matière d’exportation du Sénégal, bien loin de l’arachide ou des produits horticoles. Même si ces secteurs ne sont pas ceux qui produisent le plus de main-d’œuvre, ils rapportent le plus de devises dont l’Etat a besoin pour mettre ses projets en œuvre.
Sur toutes les tribunes du monde, Macky Sall passe son temps à défendre l’idée d’un traitement équitable des Africains dans l’allocation des ressources financières. Il a toujours indiqué que le risque n’est pas plus important en Afrique que dans d’autres pays, et qu’il n’y avait pas de raison que les bailleurs nous prêtent de l’argent à des taux prohibitifs. Jusqu’alors, personne n’avait pu avancer un véritable argument à l’encontre de ses déclarations. C’était avant la nouvelle situation créée par le report de la Présidentielle au Sénégal. Aura-t-on encore le moyen de dire que le risque chez nous est plus faible que dans certains pays occidentaux ?