LES ROIS FAINÉANTS DE LA GÉNÉRATION DU COVID
EXCLUSIF SENEPLUS #SilenceDuTemps - L’idée politique est morte au Sénégal. Macky et Macron ont construit des alliances sans assise doctrinale. Mais les idéologies demeurent : le Covid est une crise idéologique, politique et géopolitique (1/2)
#SilenceDuTemps - L’année 2020 restera un millésime inédit dans l’histoire humaine. La pandémie Covid-19 a été affublée d’un surnom angoissant de « Grand confinement » (« Great Lockdown »). La presque totalité de nos libertés a été encellulée, dont la plus élémentaire d’entre elles : la liberté d’aller et venir. Lorsque nous acquîmes le droit de sortir hors couvre-feu, celui-ci fut conditionné par un laissez-passer et/ou par un obstructeur nasal et buccal. Que restera-t-il de nos libertés dans nos démocraties libérales post Covid-19 ? Trop tôt pour en faire le bilan, mais, pareillement en temps de guerre, au moins celle de penser semble demeurer intacte, car elle est consubstantielle à l’homme, son étouffement est insensé : « La pensée est plus qu’un droit, c’est le souffle même de l’homme. » (Victor Hugo).
Et si le Covid-19 était un avertissement de l’univers adressé aux humains ? Avons-nous négligé la métaphore de Blaise Pascal ? Le roseau pensant a été fragilisé par de simples gouttelettes, transmises par la voie interhumaine. Il n’en fallut pas plus pour dérégler l’horloge quotidienne de nos libertés. L’univers, à travers le Covid-19, a repris l’avantage sur nous, car nous avons oublié de faire de la science et de l’humanisme. Jean-Paul Sartre en faisait le reproche au moment où l’Europe, entraînant le monde derrière elle, se préparait à basculer dans l’obscurantisme en 1939. L’univers, depuis mars 2020, a eu un avantage certain sur nous, car nous avons oublié que notre dignité consistait dans la pensée.
- Remuons nos méninges -
Le code Xel-19 Sénégal-Africa est bien un code (cri) de guerre. Ian Fleming aurait pu en faire un titre d’un épisode de James Bond. Dans ma présente contribution, c’est une proclamation à se creuser nos méninges : Dieufeu ndikol sa xel ! C’est en effet prendre conscience que si nous subissons à bien des égards cette crise sanitaire sans précédent, notre pensée reste la meilleure arme pour faire face aux défis soulevés par le Covid-19, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain. Nous devons nous réapproprier nos cerveaux que nous avons tant laissés en jachère ces dernières décennies à cause de notre candeur en notre génie humain, et de l’attitude démissionnaire des politiques envers les oligarques financiers, multinationales et institutions financières comprises.
Après le coup de massue du confinement, l’espoir d’un nouveau Sénégal renaissait : cela se reflétait dans mes éditos sur SenePlus d’avril et de juin 2020. On refaisait le monde ! Mais la politique politicienne a repris le dessus sur la pensée.
Norbert N. Ouendji soutient que l’Afrique n’a guère le temps de penser. Ce continent se limiterait au périmètre réduit et inactif de la survie et du suivisme. Et pourtant, « seules la créativité et l’imagination peuvent sauver l’Afrique », selon la prophétie de Me Abdoualye Wade. C’est le devoir de la génération Xel-19 (en référence au Covid-19) : elle porte le lourd fardeau de revitaliser une pensée neuve pour l’envol du continent africain. Ce challenge, exaltant, ne peut être accompli que par la jeunesse africaine sur les pas de leurs aînés, comme Frantz Fanon (Pour la révolution africaine).
- La pensée politique sénégalaise est aliénée -
Les émeutes de mars 2021 au Sénégal ne sont que les prémices d’une Afrique sur le chemin de la libération mentale : Je pense, donc je suis.
À ce jour, la pensée politique sénégalaise est aliénée. C’est toute ma démarche présentement : reprendre la maîtrise de sa pensée, fort de la crise du Covid-19. Xalatal ak sa xel ! Dans ma série éditoriale (« Histoire gagnante-gagnante »), j’insistais déjà sur cette prise de conscience psychanalytique, indissociable de la Renaissance africaine.
Avertissement aux lecteurs : Dans cet article, je ne me préoccupe que de la pensée politique sénégalaise dont je prétends qu’elle a été largement influencée par l’extérieur. Me Abdoulaye Wade l’a écrit dans son ouvrage « Un destin pour l’Afrique » : « Il n’est pas possible d’occulter les questions d’idéologie et de doctrine (donc de pensée politique) qui sont le ressort de toute action (humaine), surtout si l’on constate que les Africains pensent généralement qu’il n’existe en Afrique ni idéologie ni doctrine susceptible de sous-tendre notre développement et que, par conséquent, ils vont les chercher ailleurs. » La conséquence ? Un système politique amorphe pour trouver des solutions de sortie de crise du Covid-19.
Même si, après la conclusion du présent article, je vous propose un projet d’organigramme portant sur des nouvelles institutions sénégalaises post Covid-19 (à voir en illustration de la seconde partie), il convient de ne pas se méprendre sur ma démarche : j’invite les jeunes sénégalais à développer, à leur tour, leur propre pensée, à ne pas s’inspirer de l’extérieur, mais à explorer leur for intérieur (histoire, culture…) pour refonder une pensée politique africaine, innovante et inspirante.
PREMIÈRE PARTIE
Mars 2020, semblable aux troupes obéissantes à leur chef de guerre, nous avons reçu l’ordre de mise en cantonnement dans nos quartiers. Seul, enfermé entre quatre planches et confronté au silence du temps, le ciel m’était tombé sur la tête. Épreuve d’autant plus redoutable pour celui qui même seulement quelques jours, connut les affres de l’embastillement, bien avant celui d’Idy, de Karim et de Khalifa ! Des images, en pagaille, ressurgissaient des profondeurs mémorielles : la cave, l’impassibilité d’une procureure aux ordres de là-haut, la fourgonnette au grillage, la chambre 2 (comme si nous étions dans un hôtel !), la mixité avec des tueurs de nonnes (sous bonne garde !), les tortures de toutes sortes, le bruit d’un essaim d’abeilles assourdissant à l’heure du parloir, la génuflexion dans un box des accusés débordé, la désolation des juges, l’invite d’un beau-frère à trouver un autre toubab, la mise à mort par un décret Sall (au sens propre et figuré du terme !), la petite corruption pour une sortie provisoire d’une cage Zoo du commissariat central, les prostituées « respectueuses » jetées en pâture dans des cachots, la séparation inhumaine avec un nouveau-né, les petites trahisons à la sénégalaise, et ce satané silence des droits de la défense dans l’intérêt d’une famille gouvernante…
Et puis, mes capacités cérébrales reprirent le dessus sur l’émotivité du Covid-19. J’enchaînai des éditoriaux dans l’espoir d’une nouvelle donne politique au Sénégal : « Pour un nouvel ordre politique sénégalais » et « Pour un gouvernement d’union nationale ». J’encourageai le leader du PDS, Karim Wade, à faire un pas, en ces temps difficiles, vers Macky Sall ; il le fit dans l’intérêt général du Sénégal malgré une grande et compréhensible rancœur. Le locataire du Palais de Roume reçut les chefs des partis. Un plan socio-économique d’une ampleur inédite vit le jour, aussi ambitieux que celui d’un pays riche. La Covid-19 avait ramené les hommes politiques à la raison et à la fraternité. Des discours, très prometteurs, prirent la mesure de la gravité planétaire, à l’exemple de « Revenons sur terre ! » de Macky Sall.
Malheureusement, au Sénégal, quelques mois après l’euphorie du monde d’après, la montagne-remaniement accoucha d’une souris-entriste ; les arrestations arbitraires reprirent leur vitesse de croisière (l’amour de son prochain, ressuscité par le Covid-19, s’est très vite éclipsé) ; les amis des amis du grand vizir, lui-même beau-frère du président, se partagèrent les marchés juteux du fonds d’urgence Covid-19 ; la pause-café-photo de Macky Sall devant l’entassement à perte de vue de sacs de riz importés et entreposés comme un trophée de guerre fit comprendre que l’autosuffisance alimentaire était un rêve pieux ; les promesses électorales s’empilèrent sur la pile des précédentes poussiéreuses (pour les jeunes) ; les martyrs pour la démocratie de mars 2021, rebelote de 1968 et 2011, tombèrent le drapeau sénégalais à la main, sans reconnaissance ; le sifflement des oreilles des Sénégalais sur le troisième mandat repartit comme en quarante ; les ciseaux de l’exécutif redécoupèrent Dakar, selon une technique de façonnage électoraliste, quelques mois avant les élections locales. Et la CEDEAO fut encore assimilée à un « machin » par les autorités sénégalaises dans le cadre de la condamnation de la loi sur le parrainage.
L’histoire de l’humanité a auparavant connu un genre d’hommes de pouvoirs : les « Rois fainéants ». Durant trois siècles, ils régnèrent, en France, en somnolant. L’emploi fictif parfait ! Grassouillets, ils avaient pris coutume, en guise de couronnement, de traverser leur royaume, confortablement affalés sur des chars à bœufs. Cette scène des « Rois fainéants » m’a donné une lecture politique de la récente affaire des voitures du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Laquelle nous conduira à la constatation du couronnement de la matière sur la pensée pour les « Rois fainéants ».
L’arrivée de ces tout-terrains 8x8, à Dakar, en début d’année 2021, correspondait à la vente des cartes des membres du PDS. Les voitures en question, rutilant aux côtés des charrettes tirées par des chevaux frêles, traversant certaines localités sans écoles ou presque, se parquant sans gêne auprès des enfants de la rue, valent, au minimum, à l'unité 40.000 euros, soit 26 206 800 FCFA. Si vous en ajoutez 16, le prix grimpe à 640.000 euros, soit 419 308 800 FCFA, sans compter les frais de transport et les taxes de dédouanement. Après l'éclatement de l'affaire, le PDS a apporté un démenti sur la date d'arrivée des véhicules en question, mais non sur leur nombre. Cela ne change rien d'ailleurs à l'analyse, nous pourrions aussi prolonger la réflexion sur l'acquisition du tout nouvel avion présidentiel.
- L'affaire des voitures, c'est loin d'être anecdotique –
Karim Wade, en réalité, a payé l’allégeance des fédérations du PDS en vue de la conquête du poste de Secrétaire général : on rejoue la note du clientélisme au titre du pouvoir. Les fédérations étaient jusqu'alors exsangues, celles-ci ont même appris le don de kits-tests de Karim Wade par la presse. Elles s’en plaignaient. Les voilà désormais au volant d'une Vroum ! Vroum ! Vroum ! De quoi oublier leur rancœur et de quoi promettre à vie leur fidélité au nouveau maître : Karim ! Karim ! Karim ! Le fils de l’ancien président, avec ses voitures tapageuses et pétaradantes, a imité les « Rois fainéants ». Tout comme eux, et le rituel de chars à bœufs, il a pris possession des fédérations, l’équivalent des territoires pour les Rois, par un don matériel. Et ce au détriment de la pensée, des idées politiques, d’un nouveau programme et d’une nouvelle vision politique. C’est le cadet de ses soucis en dépit de sa charge dans le nouveau secrétariat national du PDS (Élaboration des stratégies politiques) !
Cela renseigne ô combien sur l’état des partis politiques sénégalais en général. Lors de l’élection présidentielle de 2019, c’était à celui qui avait le convoi de 4x4 le plus ébouriffant. À ce jeu-là, Macky Sall s’était imposé. L’acquisition des voitures par les partis, leurs signes extérieurs de richesse et donc de leur pouvoir (avec leur siège pédantesque, à l’exemple de celui de l’APR grâce à ses généreux donateurs), se fait souvent au détriment de la gestion et rémunération de leurs propres ressources humaines. Les collaborateurs de ces leaders sont rarement ou mal payés. J’ai recueilli de nombreux témoignages en ce sens. À la présidence du Sénégal se produit le même phénomène, j’en sais quelque chose. Pourquoi donc ? Car le talent humain compte peu, il est possible d’en trouver pêle-mêle. C’est du menu fretin ! Cela nous renseigne ô combien sur l’absence de dignité de la pensée, perçue comme secondaire. Il n’y a plus de visionnaire au Sénégal : l’idée politique y est morte. La pensée senghorienne et wadiste fait partie du passé.
Le PDS n’est pas le seul parti à blâmer ; tous les partis politiques ou presque aiment les belles autos : Thomas Sankara et sa légendaire Renault 5 sont à ranger définitivement dans les garages-archives ! Les gouvernants, durant la période du Covid-19, ont mis à nu leur fainéantise. Le monde a raté son premier coup d’essai vers une nouvelle société post-Covid-19 : à savoir plus inclusive et plus humaniste. À la question du philosophe Edgar Morin, j’ai bien peur de lui répondre que, pour l’instant, aucune pensée politique indiquant une nouvelle voie n’est sortie de cette méga-crise. Pouvions-nous attendre mieux du président Macky Sall et de nos politiques en général ? A posteriori, il fallait être bien naïf pour croire que cette génération des « Rois fainéants » était apte à nous engager vers une nouvelle ère de prospérité humaine tant ils ont pêché par leur déficience d’idées, par leur appétence pour le pouvoir personnel et par leur absence d’éthique.
De surcroît, cette génération de « Rois fainéants » a été la source de nos malheurs consécutifs au Covid-19 : avant mars 2020, ils avaient classé la santé comme secteur non rentable. En plein Covid-19, à l’hôpital de Fann, une responsable d’un service a dû financer de sa propre poche une pompe à eau pour en disposer d’une. Aujourd’hui, au motif de préserver notre droit à la vie, nos libertés sont maltraitées.
Pour les « Rois fainéants » africains (on pourrait l’élargir aux autres continents), l’idéologie est passéiste. Au nom du pragmatisme Salliste et Macronien, du nom des deux présidents qui ont chamboulé le paysage politique de leurs pays respectifs, d’aucuns ont cru à la disparition des idées politiques. C’est faux, archi-faux. Les présidents français et sénégalais ont construit des alliances opportunistes, une armée mexicaine sans assise territoriale (et doctrinale). Mais les idéologies demeurent : le Covid-19 est, à n’en pas douter, une crise idéologique, politique et géopolitique.
- De la valorisation du capital humain -
La crise du Covid-19, c’est avant toute chose celle des « Rois fainéants ». Ils n’ont pas été capables de se pencher sur les questions fondamentales. Telles que la place de l’homme africain dans l’univers (entendu dans le sens environnemental) ; la valorisation du capital humain (richesse extraordinaire de l’Afrique) ; la considération des services publics essentiels de la vie : l’éducation, la santé et la culture. C’est aussi le questionnement de la liberté qui est au cœur de la crise sanitaire. Dès lors, il importe de s’interroger sur les bases d’une nouvelle doctrine libérale africaine axée sur l’épanouissement de l’individu en général et de sa personnalité en particulier. Comment concourir pour que les Sénégalais atteignent chacun dans leur vie de tous les jours une forme d’indépendance ? Me Abdoualye Wade a démontré que le libéralisme dont il s’inspirait est « la doctrine qui a le moins d’emprunts extérieurs » ; la doctrine libérale aurait, selon lui, « des fondements authentiques africains identifiés dans notre pensée (africaine). » Xel-19, c’est la liberté de penser et d’agir par soi-même, en puisant dans le patrimoine de la pensée africaine et en la refondant chaque fois que nécessaire.
Les « Rois fainéants » ne gouvernent plus ce monde, comme naguère lorsque le vrai pouvoir était exercé par les maires du palais. Les « Rois fainéants », en Afrique, se font rédiger leur constitution par des juristes étrangers. Ces lois fondamentales sont d’inspiration occidentale, et très souvent inadaptées aux réalités sociopolitiques. C’est le complexe du « Roi fainéant » de croire que tout ce qui vient de l’extérieur serait meilleur ! Le « Roi fainéant » n’innove pas, n’imprime aucun rythme, il suit, il court derrière, il copie, il réclame, il supplie : les exemples sont nombreux où Paris pense et agit à la place des « Rois fainéants » (voir mon édito : « Le mauvais œil de Dakar »). « La liberté, c’est l’indépendance de la pensée. », déclarait pourtant Épictète. Le Sénégal, à bien des égards, à cause des « Rois fainéants », n’a pas atteint cette fameuse indépendance de la pensée, et tout simplement l’indépendance, à défaut de mettre en œuvre son idée politique.
Cette renonciation à la pensée politique se mesure aussi sur le plan de l’économie alors que l’Afrique a tout pour réussir. L’enjeu de Xel-19, c’est de réaffirmer la primauté du politique sur l’économie. Le Covid-19 nous a fait comprendre que l’économie n’était pas au service des peuples. Les politiques africains doivent reprendre le contrôle de leur pensée, en privilégiant une économie de vie selon Jacques Attali, ou une économie du vivant selon Felwine Sarr (Liye takh nite di ndoundeu). Les facteurs de blocages des États africains ont tous attraits au capital humain - la santé, l’éducation. Dans les années 50 et 60, des améliorations dans la santé ont joué un rôle décisif pour aider l’Asie de l’Est à décoller économiquement.
Au tout début de la pandémie, un texte d’intellectuels africains « Face au Coronavirus, il est temps d’agir » insistait sur le besoin de ruptures dans la gouvernance d’une part et d’une nouvelle idée politique d’Afrique d’autre part. Nous y sommes : rompre avec cette génération de « Rois fainéants », échafauder une politique aux sources d’inspiration endogène, engendrer une gouvernance de confiance (Yor rine bou dal xeli). C’est à cet exercice de pensée neuve à laquelle je m’engage dans ce travail Xel-19 Sénégal-Africa. Je le partage avec vous, acteurs et/ou témoins de la transformation de la vie politique africaine post-Covid-19. Dans la deuxième partie, je m’intéresserai à la refondation de l’État post-colonial et post Covid-19, à celle de la démocratie devant aboutir à la mise en œuvre de nouvelles conditions de stabilité et de liberté, au Sénégal.
La deuxième partie du texte : "Les porteurs de drapeau de la génération Xel-19" est à lire ici
Emmanuel Nabiyou Desfourneaux est directeur général de l’Institut Afro-européen, éditorialiste à SenePlus, politologue et ancien Conseiller en droits de l’homme à la présidence du Sénégal.